Décidément les œuvres d’Ingmar Bergman n’ont rien à voir avec les caricatures sinistres que d’aucuns pensent y trouver.
Certes il fait froid, c’est pluvieux, il y a des drames et c’est souvent loin d’être comique. Mais ce qui domine c’est une grand élégance du récit et une recherche psychologique des plus abouties.
Le moindre détail devient ici signifiant comme dans la vraie vie. Et la caméra ne se gène pas pour se fixer sur cet objet, ce mur… L’histoire est claire, explicite et de plus on ne ressent aucune pesanteur. Aucun pathos ou moralisme n’est à signaler non plus. On est de plain pied dans le vivant, dans la vraie histoire de ces gens.
Trois personnages suffisent à remuer ciel et terre.
Il s’agit d’abord d’un couple de 35 – 45 ans. Ils ont réussi, ils s’apprécient et ils ont de beaux enfants. Seulement le mari professeur de médecine joué par Max von Sydow, n’a pas trop de temps à consacrer à sa famille, et puis il y a l’usure du temps, le train-train. Mais son épouse est fidèle et aimante. Elle l’épaule tant qu’elle peut et de bon coeur.
Le troisième côté du triangle c’est ce bel et grand Américain, joué Elliott Gould. Il est chercheur en archéologie et de passage par là pour ces travaux. Il a côtoyé le mari dans des circonstances qui nous seront révélées plus tard. Il est à présent invité en famille par nos deux Suédois.
L’alcool aidant, ce chercheur expatrié va faire des avances à la charmante jeune femme incarnée par Bibi Andersson. C’est direct et sans calcul. Il la désire et puis voilà. Il lui dit frontalement quand son époux n’est pas là pour entendre.
Mais qu’est-ce qui donc le motive à jouer ce jeu sur ce terrain mouvant ? Et d’ailleurs est-ce vraiment un jeu ? Il est possible que de se glisser dans les petites fissures d’un couple peut avoir quelque chose de grisant. La citadelle semble imprenable tant notre bourgeoise semble à l’aise dans son rôle. C’est un assaut dangereux et donc valorisant. C’est un exercice périlleux qui demande du talent. Et ce peut occasionner une déflagration qui n’est pas sans conséquence.
Et donc voilà de quoi ressentir beaucoup.
D’autres le verront comme une infamie, surtout les talibans de la monogamie. Mais il faut dire à décharge que si de tels évènements trouvent un terrain favorable, c’est que cela devait arriver. L’intrus n’est alors qu’un catalyseur. Cependant, il faut noter que ceux qui disent cela, se sentent à l’abri.
Le grand gaillard plante une graine de désir dans le coeur de la blonde.
La belle va se laisser convaincre assez facilement. Pas qu’elle soit en exploration et qu’elle veuille juste voir, ou bien qu’elle soit une coquine torturée par la chair. C’est simplement qu’elle se découvre une vocation d’amante sur le tard. Elle ne joue pas avec lui. Elle ne se pose pas trop de questions. Elle va céder sans faire de manières, et ce pour la première fois dans sa vie. Et elle aime avoir ces deux hommes à elle et étendre la sphère de son plaisir. Ici le bien être familial, là l’aventure enthousiasmante.
Mais les choses ne se passent pas si simplement que cela. Max a des impatiences et des exigences immédiates. Il semble torturé par l’envie d’elle. Il n’accepte pas qu’elle soit si proche ou si loin. Il l’engueule, il lui donne une claque. Il y a du bizarre là dedans.
La première fois, il n’arrive pas à l’honorer mais ils se découvrent une bienveillante tendresse. Quelque chose de chaleureux qui les protège tous les deux. Des mains qui se touchent, de simples baisers, des caresses, tout cela signifie énormément pour eux. Le cinéaste, visiblement de grande sensibilité, rend cela parfaitement bien.
La deuxième fois on pourrait dire qu’il la viole tant il s’empare d’elle bestialement. Il n’arrive pas à « gérer le tourbillon des sentiments ». Ce serait très immature parait-il de chercher des satisfactions immédiates. La société n’aime pas cette absence de distance, qui lui rappelle ces temps anciens si « sauvages ». On a là l’éternelle balance entre les compromis du « vivre ensemble » (quelle affreuse locution) et le maelstrom des forces brutes. Soit d’un côté les civilités dans ce qu’elles ont de contraignantes et de l’autre la libre expansion des sentiments. Ces force que l’on pense pouvoir développer à l’infini. Et notre liberté qui se heurte à celles des autres.
La Suédoise totalement décontenancée lui dit qu’elle le trouve « puéril ». Mais comme elle est très maternelle et protectrice, elle compense et lui pardonne facilement. Et peut être qu’elle peut s’accommoder de ce nouvel univers pulsionnel qui la change tant du sien.
Elle cerne son caractère peu à peu. Le constat est fait. Elle considère qu’il ne s’aime pas et donc qu’il est incapable d’aimer les autres. Pourtant ils s’aiment quand même tous les deux, mais à l’heure manière. Et quand ils ne veulent plus se voir, ils savent qu’ils se mentent à eux mêmes.
La rupture est proche. Elle se doute qu’il va la quitter. Et en effet il repart un temps dans son pays.
A l’occasion de ce retour de quelques mois, le grand gaillard découvre qu’il souffre physiquement de l’absence de Bibi : «Je en peux pas vivre sans toi. Je sais que ce genre de phrase peut paraître stupide. Mais c’est ce que je ressens ». Il n’y tient plus, il revient et il la redemande.
Elle accourt. Tout en lui disant : « personne ne m’a fait autant de bien que toi. Et personne ne m’a fait autant de mal que toi ».
Le mari trompé a été très indulgent pendant de longs mois. Il la met maintenant devant un choix radical. Elle cesse de voir l’amant et revient docilement au bercail ou bien elle part avec lui, mais il refusera de la reprendre.
Il va falloir qu’elle se décide. Et pourtant ce n’est pas son fort. Elle préférerait « vivre deux vies ».
Il serait trop facile d’appliquer des grilles de lectures morales ou psychopathologiques là dessus. Ce que Bergman souligne ici, cela survient à tout le monde, mais à des degrés divers. Soit que cela reste dans les fantasmes, soit que cela se situe dans une réalité plus ou moins forte, plus ou moins complète. Nous sommes ni ange ni bête, c’est bien connu.
Ce film a 50 ans au moment où j’écris ces lignes. Depuis, 99.9 % des films romantiques basées sur le trio amoureux ne sont pas arrivés à la cheville de cette œuvre inspirée là.
Mais je conçois bien qu’il faut du temps et de la maturité pour enfin entrevoir ce que ces films ont à nous donner. J’ai moi même été pendant très longtemps très fermé à ce genre.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Lien_(film,_1971)
Elliott Gould
Bibi Andersson
Max von Sydow