Le Messager. Losey. Sexe, amour, enfance, aristocratie, cœur et raison. 7.5/10

Temps de lecture : 7 minutes

Une fois n’est pas coutume. Commençons tout d’abord par la mélodie « Ta dam, ta dam… ».

Sans que nous nous en rendions compte vraiment, la musique d’un film à un énorme pouvoir sur nous. Et ce travail magistral de Michel Legrand le démontre. Son thème bien connu, est tellement associé au générique de l’émission Faites entrer l’accusé, qu’on s’imagine que vont surgir à un moment, la journaliste Frédérique Lantieri et Dominique Rizet. Nous avons tout le mal du monde à croire qu’il puisse avoir été créé pour Le Messager, qu’on en arrive à inverser la chronologie et on renâcle à mélanger ce cadre 1900 et maintenant. On peut appeler cela le talent. 3 Oscars tout de même !

Le grand Harold Pinter est responsable du scénario, et on sent sa patte inspirée.

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Nous sommes au tout début du XXème siècle. Le Royaume-Uni poursuit son essor économique vertigineux, dans une relative paix sociale, liée à ses solides institutions. Mais le syndicalisme continue aussi sur sa lancée. 1900 correspond pile poil à la création du Parti travailliste. Ces contre-pouvoirs se renforcent et ce n’est pas forcément une mauvaise chose.

Des décennies plus tard les uns et les autres ne seront plus dans l’affrontement idéologique manichéen et parviendront à respecter une paix opportune et durable. Tout cela a un prix, ici le rejet du bolchevisme d’un côté et le désir d’en finir avec les excès du capitalisme de l’autre.

Tout n’est pas rose dans l’Empire. Et les mœurs restent étroitement ficelées, ce qui est au centre de l’histoire et mérite réflexion. N’oublions pas que la reine Victoria n’est morte qu’en 1901.

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Le Messager de 1971, est un de ces rares films, où un enfant est au centre, sans que cela ne tourne au ridicule.

Fort heureusement le jeune Dominic Guard ne joue pas au grand. Les adultes paraissent bien plus affectés dans leur jeu. Lui, il est ce qu’il est. Un garçon de 13 ans d’origine modeste, qui fait irruption dans une maison de la haute aristocratie. Grâce à sa camaraderie avec un fils du clan sélect, il est quasi adopté pour ces vacances. Doté d’une forte personnalité et d’une prudente curiosité, il va son chemin et ne s’en laisse pas compter.

Il voudrait découvrir ce que signifie l’amour charnel et en quoi ce moteur semble si important. Il cherche à être initié par à un couple qu’il protège. Il leur sert de facteur en transmettant les rendez-vous, ce qui est inespéré pour les amants qui sont à distance, lui dans une ferme et elle dans le château.

  • C’est l’argument éponyme du film. Pourtant, si on prend le temps de réfléchir, il suffirait à ce couple de se transmettre un message sans intermédiaire, en le cachant à l’extérieur à un endroit convenu. Bref passons.

Mais, le petit a beau insisté, il ne sait toujours pas trop de quoi il retourne, ne comprenant pas le sens d’un hommage que fait un monsieur à sa dame. Lui qui appréhende à peine l’amour platonique, cherche obstinément un sens à tout cela. Il voudrait négocier ses services contre une définition claire. Mais on ne lui donnera jamais explicitement. Au final, il aura quand même droit à l’expérience de visu de ce « voyage » à L’Origine du monde.

  • J’ose à peine le dire, mais j’ai presque vécu cela, il y a fort longtemps (prescription). Un cousin éloigné qui avait alors 25 ans, une fois la nuit venue, m’a demandé si je voulais assister à « ça » en tant que spectateur à distance ; il s’agissait de lui avec sa belle jeune femme. Du haut de mes onze ans ou presque, j’ai été effrayé et je n’ai pas accepté. Cette histoire est toujours restée gravée dans ma tête.

Ces amours sont illicites. La mésalliance de Alan Bates et Julie Christie, était en ces temps là, on ne peut plus criante. Notre Lady Chatterley de la plus fine aristocratie, ne peut pas se commettre avec un roturier, paysan de surcroît. L’affaire est sans issue.

Et quand par mégarde, l’enfant trahit le couple. C’est lourd sur ses petites épaules. Mais la cause était déjà désespérée. D’une certaine manière, il fallait que ça s’arrête. Julie Christie a été bien trop loin. Elle finit même par susciter un grand émoi familial, on ne se rendant même pas à l’anniversaire des 13 ans de l’invité choyé Dominic. Dans ce milieu il est interdit d’échapper à une réunion du clan.

Il tombe en raison de la sagacité de la mère, cheftaine vigilante de la tribu et qui est incarnée par Margaret Leighton. Elle a des doutes, on le perçoit pas des regards discrets mais significatifs. Elle reconstruit patiemment le scénario. Une fois cette affaire de missive éventée, elle fondra comme un Spitfire sur Julie Christie. Ce n’est pas une querelle personnelle avec sa fille, mais une nécessaire contribution, au maintien de cet ordre établi. Le film ne choisit pas vraiment son bord. Chacun a ses raisons.

La mère fait partie de ces personnes instruites, qui ne s’attaquent pas inutilement a son prochain, sans avoir au préalable, constitué un dossier imparable. Plutôt que de bousculer, pour connaître la vérité, comme le ferait 99 % des gens, elle alimente patiemment et méticuleusement sa thèse.

  • Je comprends parfaitement cette méthode, que j’ai cherché à pratiquer, lorsque j’étais patron. Mais on n’est pas à l’abri d’incompréhension.

Mais pour la belle Julie, l’amour était plus fort que tout. Ce qui taraude le gamin. Et quand il lit un des messages qu’il convoie, il tombe de haut. Comment celle qu’il considère comme sa bonne amie, qu’il porte au pinacle, peut-elle se compromettre dans du charnel, ce qu’il voit encore comme le monde d’en bas ?

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L’actrice Julie Christie correspond à un certain idéal, qui n’est pas partagé par tous. On dirait qu’elle sort d’une BD de Jean Graton, dans Michel Vaillant, où les femmes ont uniformément une mâchoire large. Ce n’est pas pour moi, le comble de la féminité. Même s’il faut reconnaître, qu’elle a du charme avec ses grands yeux clairs, et son intelligence manifeste. Une des créatures de la bande dessinée s’appelle d’ailleurs Julie Wood. Est-ce que le même prénom devrait conforter une piste ?

Il serait inconvenant de faire la fine bouche. Et son sursaut émancipateur la rend encore plus intéressante. Ce n’est pas la femme potiche de jadis. Elle ouvre une nouvelle ère. Une façon d’être, qui tient plus des années 70, que de 1900

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Joseph Losey, je le connais surtout pour Monsieur Klein. C’est un film tournant intelligemment autour de la rafle du Vél’ d’Hiv’, que j’apprécie beaucoup.

  • Monsieur Klein, est assez innocent individuellement, en dépit de l’achat à bas prix de tableaux détenus par des juifs. Mais il porte tout le poids de la responsabilité de cette civilisation, qui a conduit à la Shoah.
  • Le jeune lui, veux accéder à l’arbre de la connaissance.
  • L’un et l’autre nous mènent dans les grandes mythologies.

Avec Le Messager, on a une romance complexe, qui embrasse plus que les simples sentiments. C’est le croisement d’un douloureux Coming-of-age et d’une émancipation amoureuse qui dépasse les clivages sociétaux et les barrières morales classiques. L’intersection de deux périls.

Le réalisateur procède d’une manière un peu inhabituelle. Il brosse un tableau campagnard, puis il met de toutes petites touches, qui peuvent d’abord ne pas retenir notre attention. Or chacun de ces petits détails va finir par nous éclairer. Sauf quelques allusions confuses entre le passé et le devenir tardif des personnages. On s’y perd un peu.

La mise en place se base sur un court flash-back antérograde. On commence par la fin, avec un tout petit éclairage. Cette façon de faire est embrouillée, vu qu’on ne connaît pas les noms des personnages et leur rôle. C’est donc un film exigeant pour ceux qui n’ont pas lu le synopsis avant. Il faut à tout prix maintenir son attention pour tenter un rattrapage.

A noter la curieuse fausse piste de la Belladone, dont on s’attend à tout moment qu’elle occasionne un drame. Pas besoin de convoquer Frédérique Lantieri et Dominique Rizet. « Ta dam, ta dam… », il n’y aura pas de crime, un suicide tout au plus.

A vol d’oiseau, on pourrait le considérer comme une romance. Un genre qui n’est pas mon préféré. Mais en traitant cette matière émotionnelle ainsi, même les cœurs endurcis, finissent par baisser leur défense et se laissent séduire. L’amour gnangnan des scénarios classiques, cède la place à une réflexion profonde sur l’amour et le sexe.

On peut parler de talent. Cannes lui a octroyé la Palme d’or. Ce n’est pourtant pas réellement un film complètement révolutionnaire et qui nous emporterait dans un élan épique. Il y a des réserves. Mais c’est quand même un très bon long-métrage, qui capte l’attention en permanence. Ce qui est un exploit quand cela dure deux heures.

  • Palme d’or : Un jury de professionnel qui de par sa nature changeante, d’une année à l’autre, épouse trop souvent l’air du temps, et peut se tromper lourdement. Mais quelques perles échappent à cette malédiction. En 1971, Cannes, sort à peine du bordel idéologique de Godard et consorts. Heureusement, il s’en remettra. Même le brillant Truffaut, se laissera entraîner, alors que c’est loin de correspondre à son caractère équilibré.

Bien que Joseph loosey , soit américain, ce film est profondément anglais. Son pays refuge, après avoir subi la chasse aux sorcières Cet admirateur de Marx, Trotski, et un temps de Staline, a échappé à une convocation de la House Un-American Activities Committee. Il est devenu plus anglais qu’un Anglais. Et pourtant, malgré son bord politique de gauche assumée, il est parti dans cette aventure des très privilégiés au royaume où « …tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. ». Il n’y ni mépris, ni critique sociale extrême de sa part. En tout cas à mon avis.

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Politique, progrès, compétition. Aristocratie. Méritocratie. Match France Angleterre. 7/10

Ce sujet qui découle du premier se situe à portée de clic :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Messager_(film,_1971)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Losey

https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Legrand

https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Royaume-Uni

https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Invitation_au_voyage

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