Le Schpountz (1938) 8/10 avis complet et résumé

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Pour un avis plus concis voir ce lien : Le Schpountz – Avis – Fernandel – Pagnol (1938) 8/10

Devant les portes des studios de cinéma, il y a pas mal Schpountz. Pagnol et son équipe en ont rencontré plusieurs, dont un de belle taille. Et ils lui ont joué un tour, ce qui a donné le point de départ de cette comédie.

Comédie ? Pas seulement, car il y a cette mise en abyme à plusieurs dimensions, qui veut nous dire quelque chose :

Un écrivain, Pagnol lui-même, s’est pris un jour pour un réalisateur. Et comme en réalité ces deux carrières ont été synchrones, il est devenu un professionnel de la caméra plus vrai que nature. Et pourtant c’est bien lui qui a créé ce personnage de cinéaste protéiforme et sans racines, Bogidar Glazunoff (Enrico Glori), comme son exact opposé. Miroir déformant.

Et puis le film parle de cinéma, les acteurs parlent de leur métier. Et chaque comédien est en fait le Schpountz d’un autre. En ce sens que les interprètes par nature jouent un rôle et qu’ils pensent être plus convaincants que leurs confrères. Miroir grossissant.

Et sans doute jouent-ils à être des acteurs dans la vraie vie et encore plus face à la concurrence. Et quand ils sont cabots comme le caricatural Galubert, ils se la jouent puissance dix. Miroir, mon beau miroir, suis-je toujours le plus beau ? Mais derrière les coulisses, l’imposant Napoléon n’est en fait pas si grand que cela.

Le bon gros Monsieur Meyerboom, nous fait un archétype du pdg hollywoodien. Il voudrait pourtant sortir de son rôle et devenir un « copain » de l’équipe. Et Pagnol, lui-même producteur est bien sûr aux antipodes de ce « phénomène » là.

Il le sait et donc il se permet de se moquer comme bon lui semble de l’image convenue du ploutocrate juif aux affaires, avec sa grande décapotable. Entendons-nous, il ne se moque pas du juif, mais de l’image véhiculée par les médias de l’époque. A noter que le piège est gros, puisqu’il s’agit de Léon Belières, un « bon Français » lequel fut décoré de la francisque en 1942. On est là encore dans une symétrie opposée… mais bien involontaire au final. Du virtuel au réel et vice-versa.

Et pour la voiture d’apparat, cela ne manque pas de sel, puisqu’il s’agit … c’est celle de Pagnol !

Ce n’est pas une voiture américaine, mais une française, la Peugeot 601 Eclipse, prétentieusement carrossée sur mesure par l’artisan Pourtout. Est-ce qu’il se moquerait des apparences à ce point ?

  • Le récit est plus tendancieux quand il nous expose des homosexuels tout poudrés, qui froufroutent en roulant des yeux, dont l’inattendu Pierre Brasseur. Là on ne voit pas trop la distance. Mais ne faisons pas d’anachronisme.

On ne peut pas ne pas citer Orane Demazis, petite monteuse ici, mais future femme éclatante de Fernandel dans le film… et surtout de Pagnol dans la vraie vie. Elle est de surcroit prise pour ce qu’elle n’est pas, une intrigante qui veut nuire au Schpountz. Elle savonnerait la planche et parce qu’il aurait rejeté ses avances, et parce qu’elle serait jalouse du fait de sa condition modeste. Et dans la vraie vie avec Marcel elle est comment Orane ?

Pagnol n’hésite pas à suggérer clairement dans le film qu’elle n’est pas très belle. Ce qui peut passer pour un moment de vérité « intime » dans cet océan de mensonges et faux semblants. Cela reste audacieux et casse gueule pour une personne qu’on aime. Et pan sur le nez de Narcisse ?

Qui du très sérieux oncle Charpin ou du neveu involontairement rigolo Fernandel est le Schpountz. C’est pile ou face. Si Fernandel se plante et retourne à Marseille la queue basse, c’est lui le Schpountz. Dans le cas contraire, s’il réussit, c’est Charpin qui se prend l’entonnoir sur la tête. Ne pas se fier aux apparences.

On le voit le jeu de miroirs est omniprésent. Et ils déforment à tous les niveaux.

* * *

Le film débute avec une longue scène de légende. Dans un jeu de rôle familial bien convenu, l’auguste Charpin finit par reprocher à Fernandel d’être davantage qu’un bon à rien, un mauvais à tout. Ces deux excellents acteurs s’escriment merveilleusement bien, sur des tirades bien senties de Pagnol.

Il y a le double-fond, c’est à dire d’une part la question de la reconnaissance ou non de parents adoptifs qui vous ont nourris, mais pour lesquels Fernandel ne fait pas grand-chose. Et d’autre part la possibilité ou non de sortir de son milieu, que l’on rêve ou non.

Il y a la forme, toute aussi prenante, car les dialogues de cette scène de reproches mutuels, qu’on a tous connus d’une manière ou d’une autre, ont été tellement répétés dans la vraie vie, qu’elle finit par avoir une valeur théâtrale. On sait pertinemment qu’il ne faut pas aller trop loin, que la surenchère finira par être néfaste… et pourtant on y va quand même.

Et l’argument des anchois des Tropiques fait mouche à tous les coups. Elles ont sérieusement tournées, on les fera passer pour une nouvelle spécialité exotique. Et les clients en redemandent ! Le commerce c’est aussi l’art d’enjoliver les choses. En cela le cinéma n’est pas loin. Encore faut-il qu’on ne dépasse pas les extrêmes limites du risque sanitaire.

  • Cette métaphore poissonnière filée est tellement parlante, qu’il m’arrive de la citer régulièrement.

Bien entendu, les variations stylistiques sur « Tout condamné à mort aura la tête tranchée », lorsqu’elles sont prises au premier degré, celui de la capacité d’un infinité d’interprétation, servent avant tout Fernandel. Et on lui doit un préalable fait d’une infinie fausse modestie. Il a du bien s’amuser.

Mais comme il s’agit en fait de se moquer de lui au deuxième degré, on est sur la corde raide. Rire ou pas rire, c’est la question. D’ailleurs une grande partie du cinéma de Pagnol est dans ce savant équilibre là. Des œuvres cubistes permettant de multiples angles de vue.

  • Cela dit, « objectivement » le vrai Schpountz est un malade mental. On parle de folie dans le film à plusieurs reprises. C’est un paranoïaque qui a une monomanie et qui est en proie au délire d’interprétation. Il infléchit tout ce qui perçoit et tout ce qui lui arrive à cette idée unique. Il peut embarquer son auditoire dans son délire, mais on voit rapidement que c’est profondément anormal. C’est nettement moins drôle qu’une simple obsession d’être un acteur.

Le film est long parce que Pagnol veut nous dire beaucoup de chose. Peut-être se disperse-t-il un peu.

Par exemple, il profite de la circonstance pour nous faire une dissertation réhabilitatrice sur le genre comique, en appelant Chaplin à la rescousse.

Il nous explique également ce que signifie être vieux, c’est un peu prématuré puisqu’il n’a que 43 ans. Dans le film grosso modo on est vieux quand tous vous disent vous et personne ne songe à vous emmener vous amuser avec la bande. Avec les vieux on ne rie pas.

  • Je préfère une autre définition, on est vieux quand plus personne ne vous touche. Mais là on est vraiment très vieux.

Le film se termine par l’émouvante intervention de Charpin sur le retour de l’enfant prodigue. Il a préparé son texte de longue date, mais quand il joue sa partition, les conditions ne sont pas celles espérées. Et donc il comment et adapte devant nous. A part que tout est conçu d’avance. Là encore on est dans le jeu dans le jeu, à l’infini.

On ne peut que penser à la célébrissime tirade de Raimu, pour le retour de la chatte pomponnette dans La Femme du boulanger également de Pagnol, et la même année. https://www.de-plume-en-plume.fr/histoire/le-retour-de-la-pomponnette

Il y a donc des atmosphères propres à notre grand auteur, et qu’on aime retrouver. Il a su préserver, ou reconstruire, une sorte de patrimoine national, fait de Provence authentique (on en sent le parfum), d’exigences républicaines (on en sent la nécessité vitale), de vertus familiales (comment se passer de ce foyer rayonnant ?) et de profonde humanité (on est souvent touché aux larmes par toutes ces belles réconciliations). Il n’a pas pour autant cédé au populisme de son époque.

Et en parcourant sa filmographie, qui rejoint souvent sa bibliographie, on peut affirmer qu’il a su se renouveler et explorer de nouveaux territoires.

Je pense ici à quelques-unes de ses réalisations : Merlusse, Regain, Le Schpountz, La Femme du boulanger, La Fille du puisatier, Naïs, Topaze, Manon des sources, Ugolin… il nous a fabriqué une grande et belle famille.

Il faudra attendre un peu pour que d’autres prolongent son œuvre au cinéma, comme pour La Gloire de mon père ou Le Château de ma mère. Œuvres d’une grande tenue. Les étranger(e)s à qui j’ai montré ces films ont tous (toutes) été conquis(e)s. En quelque sorte, c’est ça la France. Bien plus que le 14 juillet. Tiens c’est demain !

Pour un avis plus concis voir ce lien : Le Schpountz – Avis – Fernandel – Pagnol (1938) 8/10

https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Schpountz_(film,_1938)

Fernandel
Orane Demazis
Léon Belières
Fernand Charpin

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