Les Éternels (Ash is purest white) (2018) 7.5/10

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Un titre curieux français, dont a posteriori on voit à peu près le sens, mais qui ne donne pas une idée de ce qu’on va regarder. L’international « les cendres sont du blanc le plus pur » (Ash is purest white) est bien plus parlant, dans cet univers ou la purification par le feu, joue un grand rôle symbolique.

L’histoire se passe dans la Chine contemporaine, pas celle des cartes postales, mais celle qui est à la lisière entre la modernité triomphante et la Chine défigurée par le maoïsme.

Un jeune couple fusionnel de la pègre, doit affronter de nombreuses épreuves. Va-t-il en sortir conforté ou va-t-il se désagréger.

Le combat se situe entre un présumé code de l’honneur des malfrats et la réalité.

Le chef est un homme avisé, qui arrive à régner sur son clan, grâce à du charisme et une paradoxale honnêteté. Il est loyal avec ses hommes et sait les gouverner avec discernement. Il arrive à régler des différents internes en s’appuyant sur la sagesse des anciens. Ce qui donne dès l’ouverture l’épisode passionnant sous la tutelle du Seigneur Guan.

Sa compagne est tout aussi intelligente et sans doute plus entière. Elle sait très bien manipuler les autres. On s’en rendra compte à plusieurs reprises, avec en particulier avec le numéro lucratif de haut vol, de la « fausse couche ».

Ils sont complémentaires et très satisfaits l’un de l’autre.

On ne connaît pas trop leur secteur précis d’activité. Mais en bonne mafia, cela revient à intimider à la demande des personnes qui nuisent à leurs protégés. Ils sont assez bien rétribués pour ces services. Pourtant ils aspirent à voir les choses en plus grand, sans doute en s’intégrant dans les secteurs économiques porteurs, comme la construction.

Dans cette ambiance, moins engoncée que celle du Parrain, les interactions avec les autres bandes sont directes et violentes. Il y a une nette contestation de la suprématie du jeune Caïd.

Cela finira par un règlement de compte en pleine rue, où le héros, certes courageux et pugnace, aura le dessous. Il se bat seul contre de nombreux adversaires et finit par être submergé.

Son amie n’a qu’une solution, c’est de faire cesser la mise à mort en brandissant un pistolet. Elle ne fait que de tirer des coups de feu en l’air et tout se calme. A l’échelle de ce qui se passe en occident, cela peut paraître bien léger. Mais il faut bien voir qu’en Chine, le simple fait de posséder un pistolet est d’une extrême gravité. On voit bien l’emprise policière sur la société.

Et donc, le couple se retrouve immédiatement en prison. On ne rigole pas avec ça. La fille qui est bien consciente des conséquences de son acte, écope de 5 ans fermes et le garçon un peu moins.

Elle s’est donc sacrifiée pour son aimé.

A la sortie de l’établissement carcéral, son homme n’est pas présent. D’ailleurs, il cherche à l’éviter. Elle aura un mal fou à le recontacter.

Et quand elle y parviendra, elle constatera qu’il l’a plus ou moins chassé de sa mémoire.

C’est une battante et elle parviendra dans un jeu subtile à le reconquérir, au moins un peu.

Mais un AVC va rendre le jeune homme sérieusement infirme et dépendant. N’écoutant que son coeur sa femme va le prendre en charge. Il a perdu de sa superbe, il est aigri. Qu’à cela tienne, elle fera son maximum. Elle investira dans un traitement spécialisé en clinique. Et là quelques manœuvres d’acupuncture finiront par le faire progresser et réduire son handicap.

  • On ne peut pas dire que le film soit très rigoureux sur l’angle médical. On s’attendrait davantage à une hémiplégie qu’une paraplégie avec un accident vasculaire cérébral et on peut se permettre d’avoir des doutes sur les petites aiguilles comme traitement.

La trame du film est une chose. Et ce long-métrage est plein de bonnes idées. Il y a par exemple ce père syndicaliste anticapitaliste qui est privé de micro par sa fille. Ou ce petit commerçant mythomane dans le train qui se prend pour un grand organisateur. Et qui n’hésite pas à parachuter qu’il va organiser des circuits touristiques sur des sites visités par les extraterrestres. Ou ces clins d’œil / pieds de nez, à l’occidentalisation de la société.

On sent qu’il y a eu un sérieux travail, à tous les niveaux. La prise de vue de ce monde de l’entre deux, est superbe. Du néoréalisme chinois en quelque sorte.

Mais la psychologie et la peinture qu’en fait le réalisateur et scénariste Jia Zhangke atteignent des sommets, qui plus est dans le non-dit. Le réalisateur, toujours borderline, est juste toléré par le pouvoir chinois. Il a déjà vu certains de ces films interdits

Dans ces prenantes interactions entre les personnages, il faut souligner l’utilisation du temps long et de silences, le tout aidé par une chorégraphie subtile. C’est singulier et novateur. On a l’impression d’être soi-même mis en demeure de penser en même temps. Et la balle peut tomber à tout moment d’un côté ou de l’autre du filet. On sent dans sa chair et dans son âme, les cheminements, les inflexions, les revirements et la nécessaire prise de décision.

Il y a bien ici ou là quelques maladresses et/ou provocations. Par exemple l’AVC nous est envoyé dans la figure sans transition. Le héros est vaillant puis le plan suivant, il est dans une chaise roulante sur un quai de gare où la femme le rejoint. L’explication ne viendra qu’après.

Un très bon film.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_%C3%89ternels_(film,_2018)

Zhao Tao
Liao Fan

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