Ce titre me disait vaguement quelque chose. Preuve qu’on a du pas mal en parler en son temps.
C’est une histoire qui se passe le 16 juillet 1942 à Paris.
Ernst Junger soldat allemand et écrivain de premier plan, était lui aussi dans la capitale occupée. Pour cet intellectuel, il ne s’est pas passé grand-chose ce jour là. Dans son journal, il écrit juste un court passage poétique sur des fleurs. Le film commence avec ce contrepoint là.
Mais en réalité, c’est une date mémorable, celle de la rafle du vel d’hiv.
Le film nous montre tout un éventail de situations extrêmes. Ne soyez pas choqué si je vous dit que le récit est élégant. Il parle au cœur et à la raison, et ce de manière équilibrée. On est dans le registre de « la banalité du mal », et c’est plus crédible et plus compréhensible comme cela.
L’auteur nous présente ce terrible épisode, à travers les yeux d’un jeune homme français, qu’on pourrait qualifier de « juste », d’une certaine manière.
Cet étudiant provincial, aux discrètes tendances anarcho-communistes, semble informé de ce qui se trame. Il s’est mis dans la tête de sauver des juifs ou plutôt une juive.
Il déambule toute la journée sur les lieux de rafle. C’est le parcours de tous les dangers.
- A force de passer et repasser, et de se mêler de « ce qui ne le regarde pas », il finira par alerter un mouchard. Mais il sera sauvé par un proxénète, incarné un court instant par Michel Auclair.
De nombreux juifs sont tétanisés. Bien qu’ils découvrent au fur et à mesure, ce qui se passe réellement, ils demeurent dans une totale inaction. Mais ça, c’est profondément humain. L’inimaginable reste longtemps hors de portée. La peur paralyse.
Il y en a un qui se jettera sous les roues d’un de ces bus iconiques.
On assiste à plusieurs tentatives infructueuses de l’étudiant. Les juifs, hommes ou femmes, se méfient. S’agit-il d’une manœuvre sournoise de la police ? Est-t-il intéressé d’une manière ou d’une autre ?
Pourquoi cette insistance à vouloir secourir de jolies femmes ? Elles seraient plus faciles à sauver. Il est quand même un peu grisé, en tout cas désinhibé, par cette situation.
Il approche ainsi Judith Magre dans une boulangerie. Celle-ci qui est française et femme de colonel, pense qu’elle n’est pas concernée. Il ne s’agirait que de la déportation des juifs étrangers. Elle se trompe.
« Alice Sapritch » raflée elle aussi, n’est bien évidemment pas la première cible du beau jeune homme.
Le film est l’occasion de nous montrer aussi tout un spectre de faiblesses, de lâchetés et de saloperies.
Un rabbin reclus dans son appartement, entraîne tout son clan à sa perte. Trop respectueux des consignes des autorités, il fustige celle qui ne porte pas son étoile jaune. Il attend avec obéissance le retour programmé de la police. Il proclame bien sûr que « Dieu seul peut nous aider ». Mais que vont devenir ces nourrissons ? Jetés ici par la fenêtre ? Envoyés d’emblée dans le four crématoire ?
Un curé ne cède pas à la miséricorde élémentaire. On assiste à une scène déchirante avec une mère accrochée à sa soutane, mais abandonnée à la rafle par l’homme d’église.
Certains policiers trop consciencieux vont révéler leur fond, en disant par exemple qu’ils reviendront « nettoyer » ou en lâchant : « ce qu’on veut c’est qu’ils foutent le camp, et vite ».
Des voisins crient leur haine. D’autres ont pitié.
Des charognards se précipitent pour piller les appartements désertés.
Christine Pascal interprète la belle juive sur laquelle vont se concentrer les efforts salvateurs du jeune homme. La petite ouvrière est totalement apeurée. Elle ne parvient pas à comprendre qu’elle est menacée elle aussi.
Elle se retranche derrière de faux espoirs.
- Le magasin juif qui l’emploie, n’est-il pas indispensable et donc protégé, car il fournit la Kommendentur ?
- Les juifs, s’ils sont français, ne sont ils pas épargnés ?
- Ce tract qui proclame vouloir aider les juifs et les incite à se rendre à une adresse, ne peut pas être un piège grossier.
- Le reste de sa famille déjà prisonnier a forcément besoin d’elle. Elle doit les rejoindre.
Le jeune homme s’acharne a lui démontrer le contraire. Ce n’est pas facile. C’est aussi une question de confiance. Mais qui croire dans ces temps épouvantables ?
Rapidement ces gamins vont se rapprocher l’un de l’autre. Mais une barrière insurmontable demeurera.
L’héroïne lui dira qu’elle pense qu’il n’agit que pour se donner bonne conscience, pour faire une bonne action. Et non pas en fonction de vraies personnes, qui sont en face de lui.
Ils s’interrogeront, sans pouvoir donner de vraie réponse , sur « c’est quoi les juifs ? » Elle bredouillera « c’est nous… on est un peuple »
Elle dira aussi : « quel avenir pouvons-nous avoir toi et moi ? Je ne suis qu’une pauvre juive ».
Il lui parle de Paris qu’il déteste et de la campagne où il voudrait qu’elle le suive. Et c’est sans doute une bonne idée.
Leur escapade est presque terminée, ils sont sur le pont entre la rive droite qu’ils peuvent enfin quitter et la rive gauche porteuse d’espérances. Il pourrait l’héberger dans sa chambre d’étudiant.
Elle hésite, puis prend sa décision…
Elle semble tellement sincère dans son rôle, qu’on finirait par croire, que ces évènements lui sont vraiment arrivés. Un non sens puisqu’elle est née après.
- Cette émouvante actrice (*), finira par se jeter par la fenêtre en 1996, à 42 ans, lors de son dernier séjour en psychiatrie. Son psychiatre a été condamné par la justice pour cela.
- On a parlé à son sujet d’anorexie et de dépression.
- Primo Levi aurait choisi de mettre fin à sa vie, lui l’emblématique rescapé des camps, en 1987. Et même si cela en a le parfum mélancolique, le sort de l’actrice est bien une autre histoire.
Elle laisse une belle filmographie derrière elle, comme interprète mais aussi comme réalisatrice.
Le réalisateur d’origine bulgare, Michel Mitrani, n’avait que 12 ans à l’époque. On ne peut pas parler de souvenirs, en ce qui le concerne.
Un très beau film, même si la fin est un peu maniérée, d’où le 7,5/10. Mais c’est dans le style de l’époque.
Il y a là un peu de Truffaut dans la façon. Et ce n’est pas encore l’excellent Monsieur Klein sur le fond et la forme (Losey -1976) – Je ne cite pas le coup de tonnerre « Lacombe Lucien », qui traite d’un sujet différent, même si c’était en 1974, comme « Les guichets du Louvre ».
J’espère lui avoir rendu au film – au moins un peu – les honneurs qu’il mérite.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Guichets_du_Louvre
Christian Rist
Christine Pascal
Judith Magre
Michel Auclair
Alice Sapritch