Les Invincibles. Depardieu, Baer, Efira, Prévost, Atmen Kelif, Jésus. 7/10

Temps de lecture : 7 minutes

La Vie de Jésus, La Vie de Brian, La Vie de Moktar…

Cela peut vous sembler farfelu de mettre en parallèle ce trio de personnes là ; un pas trop rigolot et deux autres qui sont des comiques, dont l’un est un Monty Python et l’autre un beur qui excelle à la pétanque. Pourtant les trois empruntent quasiment le même chemin.

Si vous analysez bien la trame de nombreux scénarios, vous verrez que ce schéma du « petit » rejeté par tous et qui a droit à son chemin de croix, puis qui réussit au-delà de ce qui est permis à un simple humain, est assez classique dans notre culture judéo-chrétienne.

Ce “principe” soutient la plupart des films « héroïques », qu’ils soient de guerre, de cape et d’épées, d’exploits sportifs, de forces surnaturelles en tous genres, comme dans l’Heroic fantasy, ou tout bêtement des péplums biblique ou herculéens. Ce qui compte c’est l’intervention divine à taille presque humaine. On peut y inclure les sauveurs solitaires des films catastrophe avec leur Deus ex machina.

C’est en fait un thème christique bien connu. Nous sommes là en 2013 dans une réalisation de Frédéric Berthe, mais on raconte cette fable encore et encore, depuis plus de 2000 ans.

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Entrons dans le vif, tout en gardant notre regard synoptique.

Des obscurs, des sans-grades, donnent naissance à Moktar, quelque part dans un territoire perdu de la république. Voilà un point de départ que vous pouvez traduire ainsi en langage biblique : les parents immigrés de Moktar ne roulaient pas sur l’or et sans doute que leur « dieu le fils » de la pétanque, est né dans une sorte d’étable. D’ailleurs le père est absent, comme dans le cas de Joseph.

Les maghrébins qui auraient une forte fécondité, sont jugés par certains comme les responsables principaux du grand remplacement. Or ce nouveau-né est né sous une fâcheuse étoile. « On ne veut pas de ça chez nous » qui disent les méchants. Il échappe de peu à ce virtuel et médiatique, massacre des innocents.

Par la suite on le perd un peu de vue. Il doit errer dans la zone, dans les cages d’escalier, avec douze loosers comme lui.

Devenu grand, Moktar reste modeste, alors qu’il a un don venu du ciel, pour ce sport de boules.

Manifestement, il fait des miracles et grâce à cela, il se hisse dans le domaine des dieux. « The sky is the limit ». Il est guidé par le Très-Haut, qui lui apparaît sous les traits de Gérard Depardieu, son coach mastodonte, aux formes surhumaines.

La bonne fée Virginie Efira est évidemment pour Momo, l’équivalent de ce que fut Marie Madeleine pour Jésus. Cela fait d’ailleurs jaser dans les deux cas.

Le prophète à forte notoriété Jean le Baptiste vit dans la simplicité. Il est figuré par l’omniscient Michel Galabru, le patron de la fédération que Baer voudrait court-circuiter. Les vieux sages du sport comme ceux de la prophétie, ne sont pas les bienvenus. Le slogan « place aux jeunes » est martelé. Ces redoutables loups aux dents longues veulent s’accaparer l’or en tant que marchands du temple, avec leurs produits dérivés.

Et comme Momo devient officiellement le délégué sur terre du divin Gérard, en tant que Messie, il fait de l’ombre à d’autres, bien plus petits que lui.

Les grands prêtres comme Édouard Baer possèdent tous les codes et ne céderont jamais leur place. Pour la forme, ils le soumettent à la question. A priori, il a un profil dérangeant. Les membres de la Dream Team institutionnelle, lui préfèrent des pharisiens du sérail.

Ils sont aidés par le perfide Daniel Prévost, qui a tous les traits d’un Satan.

Tous les coups sont permis chez ces hypocrites. Ils accusent notre saint homme de blasphème, pour mieux le faire chuter. Je traduis : dans le film on lui met de la coke dans un bagage et on le dénonce à des flics, qui sont de mèche. Il ne voit rien venir, alors qu’il reçoit le baiser de Judas. Descente aux enfers et montée sur le Golgotha, tout en même temps.

Le Fils de l’Homme commence à avoir des doutes. « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » demande-il à Dieu le PèreDepardieu, son omniscient coach sportif. « Gérard » est lui même dubitatif. Mais comme il connaît la fin du film, il croit toujours à la bonne étoile de son fils, malgré ce dur chemin couronné d’épines.

Momo sera crucifié. C’est à dire que les instances sportives lui enlèvent toutes possibilité de concourir en compétition internationale. C’est la mort pour un sportif de haut niveau comme lui.

Dieu le Père le fera ressusciter en Algérie. Il reviendra dans le jeu. Et sera bien entendu de niveau mondial. Il vaincra le mal, dans son habit de lumière. Et s’assoira sur le podium trinitaire, en bonne place.

Dans ce film l’intrigue est donc fort simple et surtout bien connue. Sans qu’on s’en rende compte cette « scie » millénaire a fait du travail dans nos têtes et nous la subissons en permanence.

Mais cela ne s’arrête pas là, car le Saint-Esprit a soufflé bénéfiquement sur le scénario.

Les acteurs Gérard Depardieu, Atmen Kelif, Édouard Baer, Virginie Efira, Daniel Prévost, Bruno Lochet, Michel Galabru… sont tous très bons. Les textes sont calibrés au centième de millimètre et ils s’adaptent parfaitement à ces personnalités bien connues. C’est du sur-mesure.

Chacun fait son numéro, mais c’est ce qu’on attend d’eux.

Le désormais pachydermique Depardieu est immense, comme il se doit. Les philistins-trissotin lui reprochent certaines prises de position Et ces imbéciles mélangent l’homme et son travail. Ils se permettent des jugements hâtifs sur ses prestations filmées, alors que Gérard est au firmament en tant que comédien. C’est dans les cordes de la Cancel culture qu’ils chérissent. Prenez garde car vous ne le remplacerez pas par cet autre « comique » qu’est Mélenchon. Pour le reste, il suffirait de lui tirer un peu les oreilles du gravos pour qu’il revienne dans le bon chemin. Pourquoi tant de haine facile ?

On retrouve ici avec bonheur sa belle faconde et sa joie de vivre. Il nous met son le nez son effrayante hyper-méga-obésité, sans que cela devienne indécent ou comique. Il s’agit plutôt de l’offrande de sa mise à nue, au sens philosophique du terme.

Baer n’est pas en reste. Il décline toutes les combinaisons savantes d’un génie manipulateur du show-business. Et là, c’est le grand écart, quoi de plus repoussant pour la classe dirigeante que ce sport considéré comme réservé à des péquenauds bedonnants et buveurs de pastis. Mais on se moque désormais des bobos qui ricanent. Baer est d’autant plus légitime, qu’il semble être tombé dans le chaudron médiatique tout petit.

C’est un florilège de bons mots, qu’il oriente comme il veut, comme le ferait tout bon escroc. Grâce à sa maîtrise de cette novlangue palindromique des happy few, il énonce habilement tout et son contraire, en fonction des circonstances. Les skuds et les flatteries vont bon train et grâce à sa maîtrise du flux, personne ne peut les arrêter.

Le comique a toujours épinglé les travers du moment. Mais seulement quelque artistes sentent où est le vent présentement. Il était temps qu’on échappe au Splendid, voire pour les plus retardataires à Bourvil et de Funes. Ce film est donc le bienvenu. La prochaine marche existe déjà, elle est dans la discrétion d’un Östlund, chez qui l’humour est en filigrane et qui n’a pas besoin de vedettes identifiables pour le véhiculer. Ce qui change tout. Fini les rentes de situations.

De multiples trouvailles agrémentent le spectacle. Ne manquez pas la scène d’Édouard Baer avec son viticulteur personnel. J’ai déjà entendu des choses comme cela en vrai. Le réalisme, qui épingle cette classe de nantis bobos, est confondant. C’est aussi l’art du contre-pied / contrepoint, comme pour cet émirati sponsor qui ne veut pas d’un arabe pour représenter la pétanque. Pour le reste, c’est à vous de le découvrir.

Virginie Efira est parfaitement à l’aise avec ce milieu et ces gags. Elle est en mesure de décliner et/ou traduire ce néo-blabla professionnel. En tant qu’ordonnatrice de spectacle, elle fait aussi bien qu’Édouard. Cependant, elle n’a pas vendu son âme encore. Et donc elle manifeste son recul critique, quand c’est nécessaire. La blanche se liera sans problème au basané frisé, après qu’on nous ait bien montré leur abyssale différence. Le film n’a pas peur d’être un peu woke dans ses thèmes.

Daniel Prévost semble physiquement un peu faible, mais il tient le coup et se montre parfaitement à la hauteur. Il est indispensable au film. Sa prestation est désormais parfaitement rodée. On l’applaudit comme il se doit.

Bruno Lochet est obéissant comme un bon Deschiens. Lui aussi tient à peu près toujours le même rôle. Mais il le fait bien. Mine de rien, il a une solide formation de comédien.

Galabru n’est plus de la dernière fraîcheur. On sent la difficulté à jouer. Mais cela conforte le personnage d’une certaine manière. Il décède 3 ans plus tard. Entre temps il a enduré l’épouvantable calvaire agonique de son épouse.

Et Moktar/ Atmen Kelif ? Un ancien Deschiens, redevenu anonyme ? CQFD ? Non, mais l’acteur ne nous semble pas encore assez récurrent à l’écran, pour qu’on discerne une personnalité claire. Il en faudrait plus pour qu’il suscite cet intérêt de la retrouvaille, quasi « familiale », des figures bien identifiées, et qu’on aime bien. Pourtant il en a fait des films, mais sans doute pas autant de premiers rôles que cela. Accroche-toi, aucun doute que cela viendra ! Cependant, pour plaire au grand public qui baigne dans une palote doxa moraliste, il ne faut plus faire de faux pas.

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Ne comptez pas sur moi pour être plus clair, vu que ces choses là, aux charmes religieux, doivent rester des Mystères.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Invincibles_(film)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Atmen_Kelif

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