Liban – Un pays dans la tourmente (2020) 6.5/10

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Le film commence par l’explosion dans le port de Beyrouth. Cette vidéo est incroyable.

On ne peut pas s’empêcher d’associer déflagration et attentat, quand on voit des images de ce pays déchiré. C’est un réflexe compréhensible, quand on tient compte de toutes les bombes qui l’ont frappé. Mais pour une fois, il est peu probable que l’on puisse associer cela au terrorisme.

De ce qu’on entend sur Liban, les problèmes actuels seraient dus à un système politique verrouillé et corrompu, qui favoriserait les blocages multiples et l’impossibilité de réaliser une vraie unité, avec cette mosaïque d’appartenances plus ou moins conflictuelles.

Unité, parlons-en !

Ce pays qui faisait partie de l’empire ottoman a été créé de toutes pièces au lendemain de la deuxième guerre mondiale et mis sous un protectorat français et britannique. Mais en réalité même sous le joug turc, il y avait pas mal de tiraillements. En 1936 il aurait pu devenir indépendant, mais cela n’a pas été avalisé par la France.

Ce qui le caractérisait dans ces nouvelles frontières, c’est qu’il était composé d’une majorité chrétienne. En tout cas au début. Et donc il était alors facile de le faire gouverner par ce bord là.

Mais il était une composante de la Ligue Arabe par ailleurs. Et puis il a recueilli de très nombreux réfugiés palestiniens, dès les années 50. Progressivement la balance démographique a penché en défaveur des chrétiens. Et puis le système libéral a été discuté par les pro-Nasser qui sont contre l’économie de marché. La politique géo-stratégique s’en est mêlée.

La guerre des Six Jours de 1967 avec l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza par Israël a amèné encore plus de Palestiniens. Lesquels ont clairement eu des revendications politiques.

Là, le documentaire semble choisir son camp. Les Palestiniens sont présentés uniformément comme des terroristes et les Israéliens comme des sauveurs des chrétiens.

Quel que soit l’angle de vue, il faut reconnaître les immenses tensions internes désormais. Mais c’est alors plus géo-politique et clanique, qu’inter-ethnique et/ou spécifiquement confessionnel. Mais ce brûlot reste difficile à décrypter.

Ce qui est sûr c’est que les Palestiniens présents dans le pays sont de plus en plus impliqués en interne et en externe. Et bien entendu il y a des exactions sanglantes.

En interne, ils tendent à prendre un certain pouvoir. En externe, ils s’agitent vigoureusement et entraînent avec eux des composantes « révolutionnaires » dans le monde entier. La violence augmente très dangereusement.

L’extraterritorialité des camps de fedayins leur donne une indépendance dans le pays où ils se trouvent. Ce qui n’est pas sans poser de problèmes. Surtout si des puissances étrangères les arment largement.

De la même manière, les Israéliens se mêlent de plus en plus de ce qui se passe dans ce pays. Ils vont même l’occuper partiellement et ils ne feront pas de cadeaux. Ils déclenchent de nombreux raids qui feront de nombreuses victimes civiles également.

C’est en théorie pour contrer le terrorisme qui les menace. Mais il y a également une volonté de semer la confusion et de conserver les territoires occupés, en élargissant la zone d’influence, dans ce que certains appellent la doctrine sioniste (Grand Israël) – on le comprend mieux maintenant, avec tant de recul, en constatant l’absence totale de volonté de restitution.

Cette opposition farouche entre Palestiniens et Israéliens, a des répercussions sur le pays des cèdres, qui n’avait vraiment pas besoin de cela.

Et l’histoire va se compliquer d’autres facteurs, au fur et à mesure que le temps passe. Il y a d’une part l’ingérence manifeste de la Syrie, avec une vraie nouvelle occupation des lieux. Et d’autre part, on verra la montée en puissance du Hezbollah, avec ses revendications politiques et religieuses en interne, en rapport avec l’influence externe croissante des chiites iraniens.

Et les rivalités entre les grandes familles – qui peuvent être intra-chrétiennes – n’ont pas fini.

En 1975/76 c’est la franche guerre civile. Le rapport numérique c’est inversé et désormais les musulmans forment une majorité. Et la répartition du pouvoir n’en tient pas compte. Il favorise encore les maronites.

On assassinera les leaders, comme pour Bashir Gemayel en 1981 (assassin maronite proche des Syriens ?) et plus tard pour Rafic Hariri en 2005 (assassinat commandité par la Syrie ?).

En 1982, il y aura les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila à Beyrouth-Ouest, pourtant sous protection israélienne. Les tueries ont été faites par des phalangistes chrétiens, avec certaines complicités.

OLP va devoir partir pour la Tunisie. Voilà un des problèmes qui semble réglé. La présence syrienne est également menacée. Le Hezbollah va finir par se substituer grandement à ces deux autres composantes arabo-musulmanes et tendra à dominer. Mais la limitrophe Syrie ne sera jamais loin. La puissante Arabie Saoudite sunnite a son mot à dire également.

Les USA vont s’en mêler et ils vont s’en mordre les doigts (la destruction de l’ambassade américain en 1983 est considérée comme le premier attentat suicide du genre)

Les crises, les attentats, les interventions externes diverses, des compromis non respectés, vont se succéder. En attendant, le jadis prospère Liban va commencer à s’effondrer.

Le blocage actuel est quasi complet. Le pays endetté et meurtri se désespère, mais personne ne semble vouloir s’accorder sur une solution réellement démocratique plutôt qu’un partage du gâteau.

Et compte tenu du passif meurtrier, la réconciliation semble hors de portée. Les Libanais qui peuvent se le permettre fuient à l’étranger, de plus belle. Constat de faillite.

Le récit sur Arte apporte certains éclairages. Mais on ne peut pas dire qu’il rende la situation si lumineuse que cela.

Petite touche personnelle. J’ai connu l’accueillant Liban de 1970. Il correspondait vraiment à cette image de petite Suisse locale, avec bon développement économique et social à l’européenne et un certain esprit de tolérance. Mais c’était sans doute une illusion car je me souviens que déjà on parlait de multiples attentats à la bombe.

Vraiment dommage que ce pays qui disposait de tant d’atouts en soit là maintenant.

L’impressionnant succès de la diaspora montre pourtant son fort potentiel humain.

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/07/09/le-liban-une-nation-en-perdition_6045720_3232.html

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