L’incorrigible. Citations Audiard, Belmondo, Guiomar, De Broca. 8/10

Temps de lecture : 7 minutes

Le septième art, au septième ciel.

L’Incorrigible de 1975 est un très grand film. Voilà une affirmation bien carrée, qui a de quoi en surprendre plus d’un.
Je pourrais vous renvoyer au film et vous demander de le revisiter, si vous êtes passé à côté. Mais il vaut mieux que j’essaye de vous expliquer mon point de vue au préalable :

La très belle réalisation de Philippe de Broca et la rigueur scénaristique, maintiennent notre attention en éveil, d’un bout à l’autre de ces 95 minutes. On ne s’ennuie pas, c’est le moins que l’on puisse dire.

La comédie est relevée, avec de beaux virages bien négociés. Les gags pertinents sont incessants, mais l’intrigue « policière » tient parfaitement la route, elle aussi. Confer le pied de nez à 500.000 de francs, faite au préfet Daniel Ceccaldi.

La qualité des acteurs est évidente. La palette est large et leurs interactions sont finement interprétées. Je ne les ai jamais vu si en forme.

A signaler, en particulier, les échanges magnifiques entre l’élève Jean-Paul Belmondo et le maître Julien Guiomar. Le jeune escroc flamboyant s’instruit auprès du vieux truand plein de sagesse, pas pour les techniques mais pour l’art de vivre qui va avec. Et il se pourrait que le débutant puisse égaler, voire dépasser l’homme mûr qui en a tant vu.

Ce Belmondo de 42 ans, développe un génie inégalé dans les variations vestimentaires et de maintien. A chaque nouvel habit, une autre personnalité. Et il en change de vêtements ! C’est tout sauf du frégolisme tapageur !

A ceci ce rajoute une tendre histoire histoire de coeur, mais qui n’a rien de mièvre, comme on peut le voir si on va jusqu’au au final. Jean-Paul Belmondo, délinquant notoire, dépend de son juge d’application des peines, en la personne de la frêle Geneviève Bujold. Les gammes développées par Belmondo pour tenter d’en venir à bout et recouvrer plus de liberté, forment un faisceau verbal incroyable. Cela fuse dans tous les sens, mais sans jamais se disperser ou paraître gratuit.

Et puis il y a ces « vedettes », parfois dans de tous petits rôles, qui montrent qu’on ne se fiche pas de nous. Catherine Lachens, Élizabeth Teissier, Anémone mais aussi Charles Gérard en bandit pusillanime.

Andréa Ferréol nous fait un grand numéro en diva mangeuse d’hommes… C’est brillamment amené, avec d’une part de singuliers débordements de vie pleine et entière, et d’autre part cette ambiance compassée et parfois étriquée, qu’on croit devoir imposer pour les concerts de musique classique. Le contraste est saisissant. La démonstration est aussi parfaite que le coup de pied aux fesses du grand maître Zen à son élève qui cherchait la vérité depuis si longtemps (Confer Lao-Tseu / Michel Audiard).


On ne peut pas ne pas citer le flagrant délit organisé par Bebel, qui fait croire qu’il est un avocat, alors qu’il est déguisé en travelo, pour secourir Mme Pipi, Madeleine Barbulée. Vous noterez l’habile détournement du un franc symbolique. Que c’est bon et rafraîchissant de se balader dans ces clichés et ces réalités transfigurées là.

La prestation de Maria Meriko en gitane est un autre morceau d’anthologie. Avec d’abord les roulottes et le décorum voulu, mais aussi du flamenco réellement de grande qualité et des propos qui désacralisent juste ce qu’il faut ce cadre, qui pousse à reculer les frontières de nos rêves.

Pour le reste, voir la distribution, j’en passe et non des moindres.

Mais ce ne sont pas juste ces atouts véritables, qui me font le plus mettre ce film au pinacle.

Le plus important selon moi, est la fusion de tout cela dans le texte. Avec cette collision voulue entre notre vénérable culture classique et ce qu’on pourrait croire le vécu ordinaire. Le langage savant est clairement assumé ici alors qu’il est singulièrement oublié de nos jours. Cette mise en avant dans un tel cadre, fait vraiment réfléchir.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, dans cette démonstration « philosophique » au sein de ce qui pourrait paraître une comédie légère, il n’y a aucune parodie, aucune moquerie. C’est étrangement signifiant, rien à voir avec « les femmes savantes » et tous les « trissotins » du monde.

Si vous prenez le temps d’apprécier ces belles tirades, vous verrez que ce sont des réflexions sensées et véritables, mais dépouillée du côté barbant et docte qu’on utilise parfois. Elles valent le détour. Ou bien ce sont des phrases paradoxales, qui flirtent entre nos fantasmes et nos réalités. Ces petites choses, pas si vénielles que cela, car elles occupent une grande partie de notre temps.

On assiste à une mise en perspective culturelle, plus figurée et donc moins textuelle, avec la quasi maltraitance du supposé triptyque du Greco de Senlis, transporté un peu n’importe comment dans Paris. Là encore l’infini respect qu’on pourrait avoir pour l’œuvre est bousculé par les voyages en deux roues ou sur le toit d’un taxi d’une pâle copie à la manière de, mais aussi par les doutes sur son authenticité.

On doit ces petit miracles verbaux, quasiment à chaque plan, à notre Lao-Tseu national, le grand Michel Audiard.

Je n’ai pas peur de dire que nous sommes un cran au dessus des Tontons flingueurs (1963) en ce qui concerne l’abstraction et la profondeur. Et pour cause, lors de cette création de 1975 Audiard a perdu son fils François. Là encore la réalité percute la pensée et la fiction.

Je reprends texto les extraits de Wikipédia et Wikiquote

  • Belmondo : Eh ben faites pas cette tête-là, chef… Le gardien de la prison de la Santé : On savait bien qu’vous partiriez un jour, mais on s’disait : y f’ra p’t-êt’ une bêtise, y butera un gardien, et puis voilà, le jour où ça arrive, ça fait mal… Belmondo : Vous avez raison, le plus dur, c’est pour ceux qui restent.
  • Freddy : Y’a p’t-être une belle affaire. J’connais un mec qui cherche un bateau. Tu pourrais p’t-être lui vendre le tien. Belmondo : Mais j’n’ai pas de bateau, moi… Freddy : B’en, c’est pour ça que c’est une belle affaire !.
  • « J’absoudrais un étranger de me sortir un tel sophisme. Mais toi ! Toi, le compagnon de l’ermite, le témoin du sage, toi qui aurais pu être mon disciple si tu n’étais pas que fantasmes et courants d’air… » (Guiomar à Belmondo)
  • Belmondo : Moi aussi, j’ai longtemps été seul. J’ai eu une jeunesse atroce dont j’aime mieux pas parler. Un père alcoolique, maman usée par les lessives. Je la revois dans la forêt couverte de givre, ramassant du bois mort, moi accroché à ses haillons.
  • Bujold : Vous étiez combien, chez vous ? Belmondo : Hôff… Au moins quinze. Bujold : Quinze ?!… Belmondo : Et puis alors des hommes ont commencé à défiler à la maison. Des militaires, surtout. Faut dire que maman était très belle. Vous l’auriez vue sur le grand escalier du vestibule, avec son boa autour du cou, en plumes de paon…
  • Bujold : Ah. Pour ramasser du bois, c’est pratique, ça…

  • Madame Florinda : Des hommes comme Victor, quand on en trouve un, on le garde. C’est une lanterne magique, Victor. Il ne vous a jamais fait voir la Mosquée Bleue ? Bujold : Où ça ? Madame Florinda : N’importe où ! Gennevilliers, Malakoff ! Une fois, il m’a fait traverser le Bosphore à Bougival !
  • « Je suis de la race de ceux qui rient dans les supplices. » (Belmondo à Guiomar)
  • « Cette petite Marie-Charlotte Pontalec est ce que nous avons eu de mieux depuis Hélène Dupont-Moreau. » (Guiomar à Belmondo)
  • « Enfin, Raoul ! Tu peux m’imaginer dans un dîner ! Chemise à jabot, pantalon à soutache, la taille prise au milieu des plantes vertes, les femmes s’esclaffant sous mes saillies, les hommes, eux-mêmes ! pris sous le charme. » ( Belmondo à Charles Gérard / Raoul)
  • La tirade de Belmondo: « Mon père, je ne l’ai connu qu’à cheval parcourant les champs de bataille… » est inspirée du poème de Victor Hugo, Après la bataille.

J’ai retrouvé la précieuse tirade de Guiomar lorsqu’il privilégie le malheur, l’ennuie et la tragédie à la gaîté et au bonheur. Une vraie leçon, digne des auteurs classiques !

  • Guiomar : « Il faut s’emmerder, Victor [=Belmondo], si on veut faire durer le temps. Moi, je peux me regarder des heures dans la glace : je dégage un ennui épouvantable. Le teint cireux. Les dents jaunes. L’œil glauque. Ajoute à ça des bourdonnements d’oreilles et un grand chagrin d’amour, crois moi : ça fait des heures longues. Toi, tu n’oses même pas te regarder puisque tu es gai donc frivole donc inconséquent. Victor, tu es une bulle. Ta vie coule comme une eau vive… Faut dire que la mienne fuit comme un vieux robinet. La semaine prochaine, j’avancerais mes barrières. Peut-être bientôt, n’en aurais-je plus besoin, ayant rejoint la sagesse absolue, l’immobilité totale, là, dans ce fauteuil, ramassé sur moi-même, dense comme un œuf.
  • Belmondo : – C’est pas un fauteuil que j’aurai dû t’offrir, c’est un coquetier. »
  • Guiomar : « Tu parles comme un enfant Victor. Tu vois l’amour à travers les mandolines et les vers de mirliton. L’amour, le vrai, le shakespearien, l’amour ne se susurre pas, il se hurle. J’ai hurlé comme personne, ça m’arrive encore. Antinéa. Ah la garce ! Tu te souviens quand elle courait toute nue dans la baie du Mont Saint Michel ? Et que je hurlais son nom du haut des remparts de l’abbaye : Antinea, Antinea !! A propos, tu sais la dernière nouvelle ? Le sable a encore gagné sur la mer. Dans 50 ans, le Mont Saint Michel sera au milieu des terres.
  • Belmondo : – Le décor de tes amours au milieu des betteraves…
  • Guiomar : – Oh ça, c’est d’un goût ! Ne serait-ce qu’à cause de ton vocabulaire, tu ne connaîtras jamais l’atroce volupté des grands chagrins d’amour. Mais tout le monde n’a pas la stature d’un tragédien… Contente-toi du bonheur, la consolation des médiocres.
  • Belmondo :- Tu as raison de me remettre à ma place Camille. Tu es fait pour les alexandrins et la pourpre et moi pour les shampouineuses et les pinces à vélo. Bas les masques ! »

https://librecritique.fr/le-magnifique-belmondo-sublime-jacqueline-bisset-de-broca-8-10/

https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Incorrigible

https://fr.wikiquote.org/wiki/L%27Incorrigible

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