Ludwig, Crépuscule des dieux. Avis histoire. Visconti. Helmut Berger, Romy Schneider. 7/10

Temps de lecture : 7 minutes

Des infidélités à l’histoire vraie ou supposée.

Notre condottiere Luchino Visconti est un des plus puissants cinéastes lyriques que je connaisse.

  • Il turbine à fond, quand par chance, il est dans cette machinerie à dés-objectiver là. C’est en grande partie pour cela qu’on l’aime. Pour ce souffle qui déplace des montagnes et qui met en bas ce qui est en haut et inversement.
  • Il a une haute idée de la noblesse, dans tous les sens du terme. Et dans sa composante la plus idéaliste, pas question de se cramponner à la basse réalité. Dans ce sentiment noble, ce qui compte se sont les dépassements, de soi… et des autres. Et là notre artiste fonce vite dans l’air raréfié, en direction des rêves les plus fous, là où il n’y a plus grand monde. Il arrive qu’on le perde un peu…
  • Dans son art il privilégie donc les effets grandioses et ascensionnels. C’est forcément plus enthousiasmant que la stricte réalité, souvent si plate. Le comte de Lonate Pozzolo (Visconti) n’a pas à s’embarrasser des contingences et des contraintes du néo-réalisme égalisateur. Il le prouve assez ouvertement d’ailleurs.

Illustrons cela.

Dans Mort à Venise, le livre de Thomas Mann, prix Nobel, le héros central est un écrivain renommé en phase de doute. On attend qu’il se remette au boulot, d’où l’escale à Venise.

Mais Visconti, en 1971, en fait un grand musicien, à la fois créateur notoire et chef d’orchestre à la page. On passe du discret écritoire, recroquevillé au fond d’une petite mansarde, à la grande rampe des salles de concert en vogue.

Plus facile à filmer.

Et comme si cela ne suffisait pas le réalisateur met en avant Gustav Mahler avec lequel la symbiose est parfaite. Avec le son ça en jette. D’autres musiciens sont appelés à la rescousse d’ailleurs : Modeste Moussorgski, Ludwig van Beethoven, Franz Lehár…

Le détournement est flagrant. Visconti nous a menti… pour notre bien.

Qui trop embrasse, mal étreint.

Deux ans après, en 1973, pour Ludwig, la démarche est similaire. Mais à la base, l’œuvre ressemble davantage à une biographie. En tout cas, vue de loin.

Le souverain Ludwig ne tourne par rond. Pourquoi ? Visconti nous jette de nombreuses pistes en pâture. Faites vous-même le tri.

Ce film dure 228 longues minutes. On a le temps d’en raconter des choses. Pourtant Visconti semble étirer le temps, comme si de pesantes lenteurs, des pluies incessantes, des paysages ternes, pourraient mieux nous faire partager ce climat de malheur, ou nous faire tomber la tête la première dedans. Mais faut-il vraiment pleurer pour Ludwig ?

Ce qui frappe, c’est l’écriture claire, mais avec ce qu’il faut d’ellipses, de subtilité et d’allusions. Visconti feint de reconstituer un puzzle. Il faudrait qu’on le comprenne, chemin faisant, chacun à notre manière.

Il y a toutes les pièces ou presque, mais dans un certain désordre voulu. Luchino ne veut pas décider à notre place.

Ainsi, toute petite chose : on ne comprend qu’au bout d’un moment que la première scène est celle du couronnement de Ludwig. Cela se passe dans un appartement royal somme toute assez restreint. Nous les Français, on s’attend plutôt à des cathédrales pour ces rites là. Déroutant. Bon, il y a quand même le pape. Il va falloir qu’il se batte s’il veut un bout de canapé.

En plus, on nous case Othon son jeune frère en premier plan. S’agit-il de Louis jeune ou d’un autre ? C’est perturbant.

Dans son style bien à lui Helmut Berger va se révéler remarquable. Ce n’est peut-être pas le vrai Ludwig, qui finira obèse et passablement grotesque. Alors qu’ Helmut fait tout dans ce rôle pour conserver sa dignité et sa force, même en sans-dents. Il a de part en part de l’œuvre, cette étrange lueur sauvage dans les yeux et ce port altier de dignitaire au sommet de la meute. On perçoit ainsi une homosexualité triomphante de l’acteur et du réalisateur, alors que le roi faisait lui tout pour la cacher – cette absolue nécessité de la discrétion à ce sujet l’a tarabusté dès le début de l’adolescence.

  • J’ai vu jadis ce regard à la Helmut Berger chez un ami d’enfance, que je rencontrais très épisodiquement et dont seule la disparition m’a fait apprendre qu’il avait eu le SIDA.

Devenir Roi de la Bavière autonome à 18 ans, c’est bien entendu une épreuve. Ludwig se verse du champagne pour se donner du courage. Première allusion à des failles. Ici l’alcoolisme. Celui-ci s’installera pleinement par la suite. A ce stade, dans le film, l’imbibition régulière est donnée pour plutôt ludique.

Après, c’est l’arrivée appuyée de Romy Schneider en légendaire Sissi. Ce n’est pas la première fois qu’elle s’y colle. Ce chapitre de la fréquentation de l’impératrice d’Autriche-Hongrie et du roi de Bavière dure un bon moment. Il s’agit de montrer une Sissi telle qu’on se la représente et non pas telle que cette peste était.

Le jeune roi réactif et encore assez serein, montre déjà quelques autres bizarreries tout de même.

Mais c’est amené gentiment et franchement. Et vu comme cela il n’y a rien de grave.

D’abord il est puceau et Sissi s’en amuse. Il se réfugie derrière son catholicisme pour s’en excuser.

D’après les non-dits assez explicites, la volage Sissi aurait mis un terme à son innocence sexuelle. Bon, c’est du cousinage et cela peut encore passer. D’ailleurs chez les Wittelsbach et les cercles couronnés tout proches, ça y va la consanguinité. C’est dit et cela porte un clou supplémentaire dans le cercueil de l’enfermement mental du Roi.

Mais aussi, cela voudrait sans doute aider à comprendre la démence précoce du frère Othon. Et par voie de concomitance, la sienne ?

Ce fil d’un amour naïf et entier de Louis pour Sissi, perdure une bonne partie du film. Autre faille, plus sentimentale et immature que pathologique cette fois ?

Sissi qui est casée, et impératrice tout de même, voudrait passer le relais à sa sœur Sophie. Laquelle est mignonne ici, mais il faut considérer cela comme un mariage de raison. Le roi velléitaire finit par se défiler, casser les fiançailles, au détriment de l’avenir dynastique. Autre crevasse révélatrice ?

Vient alors Wagner, l’idole du jeune. Dans ce rôle, Trevor Howard est parfait, déjà car très ressemblant. Mais aussi pour son jeu intelligent et madré. Le musicien sans-le-sous vit un moment aux crochets de la Bavière, protégé de Louis, mais il finira par se faire lourder en raison de ses demandes d’argent incessantes. La différence d’âge est très importante.

Richard, le « révolutionnaire » prend le roi pour un crétin. Sissi n’avait pas non plus été frappée par l’intelligence de son cousin. Autre élément révélateur ? C’est un des rares « diagnostics » qu’on répugne à utiliser en psychiatrie, alors que c’est parfois une piste sérieuse.

Le vieux sage est un copain de Bakounine, alors ce gamin fantasque de 18 ans à peine, cul bordé de nouilles, ne lui fait pas une forte impression. Il a assez de fans excités comme cela.

Et puis les lettres du jeune au vieux tendent à montrer une homosexualité naissante du petit vers le grand. Embarrassante dans ce cas, car elle n’est pas partagée et semble assez malsaine. Autre déchirure significative pour le roi ?

Cela dit le monarque éponge ses dettes considérables et l’aide à monter son grand Tristan et Isolde. On peut mettre ce dernier point à son crédit. La liaison de Wagner et la femme mariée Cosima von Bülow sera le point de départ d’un scandale qui va discréditer l’artiste à Munich. Louis lâche l’affaire. Dernier éclat de lucidité ?

Par la suite Louis participera financièrement à l’édification du théâtre de Bayreuth tout dédié au Maestro. Pour le pathologique, il faudrait clarifier pourquoi Ludwig se prend pour Lohengrin.

Le roi a régné. Dans ce domaine il n’a sans doute pas fait grand-chose de lui-même. Lucidité quant à ses faiblesses ? Depuis la victoire de 1870, Otto von Bismarck le Prussien, rêve de créer l’empire allemand, en réunissant les beaux morceaux disjoints. Fin stratège, il finance les châteaux délirants de Ludwig. Il obtiendra la réunification. La cuisine politique peut-elle expliquer une partie des délires du souverain ?

Ludwig bascule encore un peu plus. Il ne s’occupe plus que de ses constructions hallucinées et de ses gitons.

  • Le Château de Neuschwanstein a ceci de particulier que des touristes pensent que le château de la belle au bois dormant, version Disney, lui a servi de modèle. Le contraire serait moins anachronique. Cet édifice mastoc de style incertain et sans doute néo-romantique est aussi farfelu qu’une mauvaise mise en scène de Wagner.
  • Le château de Linderhof est plus classique. Mais il cache des recoins wagnériens et loufoques lui aussi. Dont la grotte de Vénus digne de Tannhäuser.
  • Le château de Herrenchiemsee montre une influence versaillaise caractérisée. C’est à double détente. Le roi souvent rigide aimait l’absolutisme de notre grand Louis. Mais il faut se souvenir aussi de la capitulation de la France signée dans la galerie des Glaces du château de Versailles.

Louis à la dérive, finira par être poussée vers la sortie. Il sera enfermé suite à des avis d’experts. D’ailleurs cette procédure est le fil du film.

Et là encore Bismarck y serait pour quelque chose. Le lendemain on le retrouve noyé et son aliéniste Bernhard von Gudden étranglé.

Alors on peut y aller bon train du conspirationnisme et toutes ces choses. Encore des pistes non entièrement balisées et passablement casse-gueules. De nos jours on aime ce hors-piste.

Comme vous pouvez le voir, malgré près de 4 heures d’exposé, les propositions d’explications sont nombreuses. Parfois convergentes, parfois divergentes, elles ne nous forcent pas vraiment à nous positionner. Les plus futés des spectateurs sentent bien qu’il leur manque des éléments pour reconstituer vraiment le puzzle. D’ailleurs des pièces sont fausses.

Pour vraiment comprendre Ludwig il faut analyser en profondeur sa « maladie » et/ou sa « psychologie » et/ou son insertion dans son époque. Autant que faire se peut. Il est regrettable qu’il y ait si peu de travaux sensés sur ces points, en tout cas dans la littérature sérieuse francophone, telle qu’elle apparaît sur le Net.

Pourtant, je pense avoir trouvé. Je vous laisse cela pour un prochain épisode.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ludwig_:_Le_Cr%C3%A9puscule_des_dieux

https://fr.wikipedia.org/wiki/Luchino_Visconti

https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_II_(roi_de_Bavi%C3%A8re)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Condottiere

https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Wagner

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