Version longue restaurée – deux heures de malheur qui font notre bonheur.
Un « monstre » sacré.
Il y a des moments, où dans sa vie de petit critique amateur, on serre les fesses.
Comment s’attaquer à un tel monument ?
On va tenter rester factuel et d’éviter de s’emballer.
Ce film est de 1931. C’est le premier film parlant de l’auteur des Dr Mabuse. C’est tout au début de ce cinéma qui parle « couramment ».
Et déjà le Fritz Lang utilise certaines finesses de la technique sonore.
- Comme le hors-champ.
- Les appels maternels à la fillette qui va vers son sinistre destin, transcendent les scènes initiales, et cela même en l’absence de la mère. On les entend dans l’escalier, dans la rue…
- On tellement habitué à cela maintenant, que l’on ne se doute pas comme la technique peut être subtile et ce qu’il a fallu inventer.
- Le leitmotiv sifflé par le méchant vient de Peer Gynt d’Edvard Grieg.
- Ce joli thème devient vite inquiétant car il accompagne toujours la montée de la pulsion criminelle (*) . On est prévenu. Cela sert aussi à ça la musique dans un film.
La mise en place est inventive, avec un montage savant, des plans novateurs, des éclairages intelligents.
- Par petites touches alternées, par allusions, le réalisateur campe le drame.
- Dès le tout début de l’histoire.
- La petite fille qui sera assassinée, certainement après avoir été violée, se contente au début à jouer innocemment au ballon. Elle déambule de plus en plus hors de la zone de sécurité, toujours en jouant à la balle.
- Dans la grand rue, ce jouet sera lancé et relancé contre une affiche de mise à prix du tueur en série. Vainement. L’histoire nous est amenée sur tous les supports possibles.
- La fillette est abordée par le tueur à l’apparence bonhomme. Ce « gentil » monsieur lui offre bonbon et baudruche.
- Au final le ballon roulera tout seul dans un terrain vague, dans une ambiance lourde de signification. Inutile de montrer un cadavre pour comprendre. Ces choses simples, il a fallu que le cinéma les inventent à une époque.
- En parallèle, on voit le petit peuple qui s’enflamme contre le monstre.
- Tout est habilement chronométré, tout est raccord. Notre émotion est intelligemment canalisée. Toujours à la lisière du peut-être, peut-être pas. Du grand art.
Vient le fond de l’affaire.
- La traque du meurtrier.
- On voit les difficultés de la police à coincer une personne qui semble tuer au « petit bonheur », sans plan prémédité. Le commissaire tâtonne. Faute de mieux, elle bouscule sans relâche les bas-fonds et les délinquants traditionnels.
- La pègre s’indigne. Elle ne peut plus « travailler » tranquillement. Et comme les autorités sont inefficaces, elle entreprend de régler son compte à celui qui indirectement perturbe leurs affaires.
- S’en suit une compétition de brainstorming des deux côtés. Qui va trouver la bonne piste ?
- Les deux.
- Les policiers vont finir par comprendre qu’un tel personnage qui a tué de nombreuses fois ne peut être qu’un homme malade qui a du laisser un sillage dans des asiles. Par recoupements, ils finiront par se rapprocher du vilain.
- Mais c’est la pègre qui le trouvera en premier. Grace à un improbable réseau de mendiants. Et surtout grâce à l’aveugle qui a vendu la baudruche et reconnaît le sifflement de Peer Gynt.
Et puis il y a cette remarquable poursuite dans les rues, avec des plans cinématographiques audacieux.
- Le criminel finit par se réfugier dans les combles d’un immeuble de bureaux.
- Quand les employés seront tous partis, les brigands entreprendront une chasse avec une débauche de moyens. Percement de plafond etc. Sans doute trop de moyens au regard de la cible.
- Tout au long de la traque on verra le magnifique Peter Lore se transformer de petit bonhomme insignifiant à impressionnante bête traquée. Là encore, le sonore fait des miracles. Avec ses cris de bête, son plaidoyer. Mais le visuel est impressionnant aussi, avec les expressions hallucinées de l’acteur. Ses fameux yeux exorbités, ses postures, qui feront de lui un méchant à perpétuité. C’est à dire dans la quasi totalité de ses rôles.
Peter Lorre se retrouve devant un jury de la pègre.
- Les cadors, les mères et la cour des miracles qui les l’accompagnent veulent sa mort.
- Une sorte d’avocat de circonstance plaide pour la folie et l’irresponsabilité.
- La bête humaine ne veut pas mourir et tente une défense désespérée en mettant en avant ses pulsions incontrôlables. C’est une mise à nue. Il en devient poignant.
- La police investit la salle juste avant la mise à mort.
- Un vrai procès s’en suit.
- Le film s’arrête judicieusement un peu avant le verdict.
- On ne saura donc jamais ce qui va lui arriver.
- Quel que soit le point de vue, on pourrait se sentir frustré. Ce non-verdict est risqué pour le cinéma de l’époque et même de maintenant.
Pourtant c’est bien le grand problème avec ces tueurs en série.
- La plupart d’entre nous réclament vengeance, un point c’est tout. C’est « humain » !
- Et puis il y a la douleur sacrée des mères. Ces saintes Mater Dolorosa.
- Mais la justice n’est-elle pas là justement pour nous élever au-delà de la simple vengeance et de la haine ?
- Et les psychiatres sont généralement plus nuancés. Ne faut-il pas être « fou », pour commettre de tels actes ?
- A noter que le curseur qui était davantage en faveur de la folie jadis, se déplace très nettement vers la responsabilité ses derniers temps. Les statistiques judiciaires le prouvent. Ainsi, les opinions sont assouvies et la mise à l’écart d’un Ogre ne fait de tort à quasi personne.
En réalité, ce débat sur la responsabilité est quasiment impossible à trancher. Fritz Lang l’a bien compris.
Et ce n’est pas un débat juridique finaud qu’attendent les spectateurs, mais des émotions extrêmes.
Voilà, je pourrais m’arrêter là.
Mais je ne résiste pas à vous citer une anecdote personnelle.
- A l’âge de 6-7 ans, les parents étant partis le soir, j’ai allumé en cachette le poste de télévision. Et le hasard m’a fait tomber sur M le Maudit, en plein milieu de l’action. Ne connaissant ni les tenants et les aboutissants, je me suis retrouvé nez à nez avec cette incroyable bête traquée dans les sombres logettes des combles. Pour moi Peter Lorre n’était alors qu’une simple proie des truands. Une sorte d’archétype de la terreur qui sera à jamais gravé dans ma tête.
- A l’époque mon verdict peu avisé aurait été, ni coupable, ni irresponsable, mais « victime ».
Qu’il est difficile de juger un homme !
(*) on retrouve ce thème de la belle musique confisquée, avec la Neuvième dans Orange mécanique.
Un remake de Losey n’a pas été une bonne initiative : M meutrier Losey (1951) 6/10 Fritz Lang, bien mieux.
https://fr.wikipedia.org/wiki/M_le_maudit
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