Madame Bovary (1991) 8/10 Huppert

Temps de lecture : 4 minutes

Voilà une autre tentative de porter à l’écran un des plus grands romans de la littérature française. Il faut dire que c’est très tentant, surtout pour ceux qui ont compris que le bouquin a quasi un découpage de cinéma. Bien avant son invention, l’auteur a transmis cette « vision » très technique.

Revu ici :

Deux épisodes permettent d’illustrer ce point.

– D’abord les comices agricoles (la foire) où le dialogue de séduction de Rodolphe et les réticences décroissantes d’Emma sont entrecoupés d’interventions triviales à l’estrade. La lecture montre parfaitement ces sentiments réciproques qui surmontent le brouillage par les bruits de foire. C’est très réaliste et le cinéma n’a aucun mal à transcrire cela littéralement.

– Et puis bien entendu, on ne peut s’empêcher de citer l’épisode du fiacre à Rouen, qui emmène Léon et Emma. La suggestion est à son comble. Il suffit de demander encore et encore au cocher d’aller en avant, sans destination définie, pour comprendre ce qui se trame dans le véhicule aux volets clos. On « voit » cela très clairement en lisant et donc il n’y aucune difficulté à le transposer dans le long métrage.

L’histoire de Mme Bovary, simplifiée brutalement, est limpide. Une jeune femme se précipite dans le mariage avec un semi-notable de province. Il est terne. Elle s’ennuie. Une sourde passion la ronge. Elle prend un amant… puis un autre. Lesquels sont contents de l’aubaine, mais n’ont absolument pas envie de s’engager, ni de l’aider quand cela deviendra nécessaire. Cette petite chose rêve de grandeur, au-delà de ce qu’elle peut assumer. Elle veut vivre son conte de fée et s’achète de manière irréfléchie des biens de luxe. Une fois couverte de dettes elle ne pensera s’en sortir que par le suicide. Une vie en feu de paille. Elle laisse derrière elle une famille saccagée.

Moralement, selon les principes dominants du siècle, elle est mal. Et ses amants, qui ne se soucient pas des conséquences, ne valent pas mieux.

Mais il faut y regarder à deux fois. Une jeune femme élevée chez des sœurs, en vase clos, dans les règles du dégoût du sexe et d’une supposée mission de femme au service de l’homme, dans un contexte de mariage procréatif et patrimonial, a forcément des œillères. Peut-on lui en vouloir d’avoir suivi – dans un premier temps – aveuglément le choix implicite de son clan ? Est-ce vraiment de sa faute si elle est tombée sur un besogneux sans horizons ? N’a-t-elle pas, dès lors, un devoir de révolte ?

En poussant plus loin, ce roman très intelligent, et très bien écrit, est fondamentalement novateur. Il y a là un embryon de femme moderne qui va germer dans les temps à venir. Et au-delà de la femme émancipée qui s’annonce, il y a aussi l’homme en général, c’est à dire l’individu, qui va tenter de s’affranchir des vieilles règles sociales et de la tutelle cléricale. Il s’agit maintenant de « réussir sa vie » et c’est nouveau.

A l’époque, les lecteurs sentent parfaitement cela, quel que soit leur bord. Le livre sera donc interdit un moment. Il y aura un procès.

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Je vais être franc et direct, je n’aime pas beaucoup le cinéma que nous fait Claude Chabrol. C’est souvent inutilement froid et ennuyeux. C’est en partie fait exprès pour s’accorder avec sa vision pisse-froid du microcosme provincial. Autant de défauts qui peuvent devenir des qualités quand on traite de l’ambiance assez sinistre autour de Mme Bovary.

Isabelle Huppert correspond assez bien à une des images que l’on peut se faire de l’héroïne. Et pour tout dire, on marche facilement. Elle est à la fois sensible, naïve et trop entière. Et comme elle n’est pas trop moche, elle conserve de l’attrait auprès des hommes. C’est en fait une jolie proie assez facile. Elle se nourrit de promesses de belle vie ailleurs et de beaux serments.

Jean-François Balmer est parfait en médecin simple et attentionné. Il pense qu’en restant à sa place, en observant les codes, tout ira bien. La docilité est la vertu cardinale. Pas de quoi susciter l’enthousiasme après de ces femmes. Ce genre de personnage en tout ou rien, s’écroule facilement en découvrant que le monde est fait de nuances et de pièges.

Christophe Malavoy fait un Rodolphe convaincant. Séducteur rusé mais plaisant. Amoureux efficace. C’est l’individualisme poussé à l’extrême. Le but à atteindre ? Pas forcément. On en voit aussi les mauvais côtés.

Lucas Belvaux est Léon, le petit jeune qui aura sa chance et appréciera la volupté que cette femme mariée lui donne, bien cachés au sein de leur petit nid hôtelier.

Jean Yanne sert très habilement ce rôle de pharmacien/commerçant républicain et anticlérical. Pragmatique, calcule les uns et les autres en fonction de ses intérêts. Qui mieux que lui peut incarner ce personnage envahissant qui « sait tout » ?

A noter aussi la fine interprétation de Jean-Louis Maury en Monsieur Lheureux, le marchand tentateur qui fait tomber Emma dans ses filets et précipitera sa chute.

Deux heures dix qui passent facilement.

Du bon travail, mais je me dois de vous recommander avant tout le livre. Lisez-le, relisez-le, ce n’est pas du temps perdu. A partir de là on pourra développer plus avant, si vous le souhaitez.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Madame_Bovary_(film,_1991)

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