Vu de loin, il s’agit d’un récit sur le désœuvrement et la petite délinquance, à l’état brut.
Pas de thèse la derrière. Pas d’explication. Débrouillez-vous !
Ce cinéma vérité est plus fort qu’un documentaire. Mais qu’est-ce qu’il est réfrigérant, par moment !
Une banlieue sale et triste de Lisbonne sert de décor. C’est un quartier insoupçonnable, que ne voient jamais les touristes.
Une petite famille décomposée vit dans un appartement lugubre et mal entretenu. La jeune mère doit assumer seule ses deux enfants. Elle peine à le faire. Elle reste au lit et démissionne le plus souvent. Elle reçoit de temps en temps son amant. Grosse fatigue.
Son fils de 14 ans est le personnage central de l’histoire. C’est un beau jeune garçon réactif, mais dépassé par les évènements. Il fait la moue en permanence.
Il part en vrille. Il se conduit mal. Il n’assume rien. Il répond avec insolence aux adultes. Il ne respecte personne, même pas sa mère. Il est encore trop petit pour être vraiment dangereux.
Il lui reste juste, un certain attachement avec son grand-père. Lequel est en train de se consumer à l’hôpital. Mais le gamin, déjà suffisamment perturbé, ne veut même pas le voir.
Sans que sa mère soit clairement informée, il sèche tous les cours. Avec un de ses copains de vadrouille, il vole un scooter devant l’école. Imprudent, il se fait repérer. Il se laisse happer par cette course à l’abîme. En partie involontairement.
Il y a cependant quelques petits soubresauts, mais qui ne sont pas vraiment des prises de conscience.
Sentant le filet se resserrer et pour tenter d’en finir, il brûle la pétrolette. Pas qu’il ait des regrets, mais plutôt par prudence. On est loin de l’autocritique et de la rédemption.
Dans un lit avec une fille de son âge, après quelques approches maladroites, il a un jeu de mains savoureux et intense. Ce premier moment sexuel, arraché de justesse, n’est montré qu’indirectement. Mais ce morceau d’anthologie est on ne peut plus clair. Sans doute une des seules « respirations » dans ce film étouffant.
Mais pour le reste, il a toujours ce regard plein de reproches. Jamais un rire, ni même un sourire. Comme pour un enfant soldat.
Il ne s’agit pas ici de pointer précisément le désœuvrement et le je-m’en-foutisme, comme seuls pères de tous les vices. Pas plus qu’il n’y aurait de seules responsabilités, dans les écueils semés par la déliquescence familiale.
Ce n’est pas parce qu’il n’a rien à faire et que son milieu est défavorable, qu’il est dans cet état. Ou plutôt, pas seulement.
S’il trouvait une occupation « sérieuse », il ne serait sans doute pas mieux loti. Le problème, c’est qu’il parait habité d’une sorte de nihilisme de fauve en cage, qui semble ne pas pouvoir s’arranger. Il y a une part ontologique à ne pas négliger, dans son mal-être.
Qu’adviendra-t-il, quand il sera vraiment confronté aux tracasseries d’une vie ordinaire. Je le vois mal s’accommoder de la tutelle besogneuse d’un apprentissage, par exemple. Et puis, il a goûté à la facilité. Tu veux une mobylette ? Tu la prends. Pas facile de revenir en arrière, surtout avec un futur salaire de misère.
Cela va donc au-delà d’une problématique de la paresse et du laisser faire. Mais ce sont de vraies questions.
Il a encore enfoui en lui des désirs. Il lui reste de la volonté. Mais tout est à fleur de peau, sans recul, sans calcul. Comment cela pourrait-il se finir bien ?
Sans réels outils, il est une proie de choix pour ceux qui voudraient l’enfoncer davantage dans la délinquance et au-delà. Sa vie serait pire, mais cela il ne le sait pas encore.
Là dessus, son grand-père meurt et avec lui le seul lien qui le retenait au dessus du vide. Ce film angoissant nous laisse là.
Le gosse joue remarquablement ce rôle ingrat. Lui, le comédien, il est sauvé.
Peut-être est-ce là le salut possible… transformer cette hargne sauvage, qui bien entendu ne soumettra plus jamais, en vertus artistiques.
Cela fait penser un peu au Doinel de Truffaut, cette histoire là. Le turbulent et fugueur Jean-Pierre Léaud avait lui aussi 14 ans quand il a joué dans Les Quatre Cents Coups. Il a été sauvé… un bon moment. Ce n’était qu’une rémission.
Moi-même, j’ai commencé à être dans cette insécurité là, peu après cet âge.
Même s’il semble totalement s’effacer au profit de son acteur David Mourato, le jeune réalisateur Joao Salaviza, né en 1984, n’est pas un inconnu.
Il a été remarqué à Cannes précédemment, où il a empoché, le Prix du jury – Un certain regard, et la Palme d’or du court métrage.
J’aime bien cette puissante sobriété, elle semble la marque de fabrique de cette nouvelle génération de réalisateurs européens. On voit cela aussi chez l’excellent Östlund (né en 1974) et quelques autres.