Jim Jarmusch est à la fois philosophe et moqueur. Il scrute avec la précision d’un chercheur et d’un entomologiste facétieux, ces 3 équipes embarquées dans des trips assez hallucinés. Cela se passe dans Memphis, la ville emblématique d’Elvis, en 1989. Mais on pourrait le décliner dans d’autres lieux symboliques. Le propos est assez universel.
C’est le film qui suit après l’incroyable Down by Law de 1986.
Far From Yokohama
Les uns sont là parce qu’ils le veulent profondément. C’est le cas de ce très jeune couple japonais lié par la vénération un peu bêtasse pour feu Elvis Presley et autres légendes de Sun Records. C’est le voyage de leur vie. Un Japonais qui porte la banane et qui s’identifie à ces idoles est un peu comique en soi. Mais Jarmusch ne le rend pas ridicule. Il comprend cette nécessité d’adolescent attardé de vouloir s’accrocher à un point fixe consensuel.
Ils sont assez inexpérimentés en amour. Ils tâtonnent. Ces approches débutantes et mal assurées sont bien rendues. L’union physique vient à bout de leurs balbutiements.
Ils sont venus là en attendant que quelque chose de miraculeux se produise. Les lieux leur doivent cela. La plupart de touristes « croyants » ont au début ce sourire si particulier.
Le contraste est saisissant entre ce Memphis somme toute assez délabré et refroidissant et leurs Memphis rêvé. Mais bien entendu la légende l’emporte. Ce gap entre la carte postale et la réalité, nombre de touristes l’ont éprouvé. Mais ce qu’ils ramènent dans leurs bagages sera toujours empreint de l’image idéalisée. De retour ils se doivent de continuer à propager la fiction acceptable. Inutile de casser les idoles.
Ils arrivent à un hôtel pas cher et un peu miteux, qui sera le point de convergence des trois histoires.
A Ghost
Nicoletta Braschi, cette Italienne pleine de charme et de retenue incarne Luisa. Elle est là en escale, en train de ramener son époux défunt dans son pays natal. Profondément seule et ballottée au milieu de ce Memphis de nul part, elle se laisse faire par le tout venant. Le vendeur de journaux l’oblige à acheter des kilos de revues. La mater dolorosa accepte. Un paumé lui fait le coup du fantôme d’Elvis. Elle n’y croit pas, mais donne la petite rançon au malhonnête. Et finalement elle aura droit à une courte et improbable apparition. Trop gentille elle hébergera dans la chambre du fameux hôtel une autre paumée qui est liée à la troisième histoire. Une bavarde insupportable qui vient de se séparé de son homme.
Lost in Space
Cet homme s’embarque avec deux acolytes dans une folle virée alcoolisée. Cela tourne mal et le gars descend un boutiquier. Presque un acte gratuit, qu’il regrettera bien sûr, mais qu’il met sur le dos de la séparation. Vue les litres d’alcool qu’ils ont ingurgité, ils sont dans une sorte d’irréalité et inconscients de leurs actes.
Ils rejoindront le même hôtel dans une sorte d’unité de temps, figurée par le même laïus à la radio dans les trois histoires, sur fond de Blue Moon, interprété par Elvis Presley. C’est une fantaisie agréable que l’on ne comprend qu’à un moment quand le puzzle prévisible est reconstitué.
Il n’y a pas vraiment de conclusion, comme dans la vraie vie. Et le Mystery Train, chanté par Elvis Presley est l’objet d’une translittération, dans le premier et dernier plan, avec le train qui amène les Japonais à Memphis et le même qui repart à la fin.
En conclusion, voilà un film expérimental non dénué d’intérêt. Certains s’ennuieront devant la banalisation de l’imprévu le plus inattendu. Mais cette nonchalance et cette non implication devant les évènements est voulue par l’auteur. C’est quasi houellebecquien par moments.
La musique du cru était bien entendu indispensable.


https://fr.wikipedia.org/wiki/Jim_Jarmusch
- Mystery Train, Elvis Presley
- Blue Moon, Elvis Presley
- Domino, Roy Orbison
- The Memphis Train Rufus Thomas
- Get Your Money Where You Spend Your Time, Bobby Blue Bland
- Pain in my Heart, Otis Redding
- Soul Finger, Bar-Kays
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mystery_Train_(film)
