Ni juge, ni soumise (2018) 8/10 Gruwez, instruction libérée sur paroles

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Là, il faut vraiment saluer cette incroyable performance. C’est unique en son genre !

Il s’agit d’un reportage in vivo dans le quotidien d’une femme juge d’instruction belge, Mme Anne Gruwez. Elle a un certain âge, de l’expérience, et plus grand-chose à prouver. Proche sans doute de la retraite, elle a décidé de se montrer en parfaite transparence, laissant même apparaître ses défauts.

Confiante, elle a pris le parti de ne rien nous cacher dans sa manière d’instruire. Elle déshabille la procédure, tout en se montrant comme une femme simple. Elle parle parfois avec des mots crus. Elle se dope aux sucreries. On la sent plutôt directe, voire naïve, dans sa forme. Elle est droite dans ses bottes quant à la procédure, mais elle tempère ses décisions avec le coeur et ses intuitions.

Ce n’est pas une “Personnalité hors du commun” comme je l’ai vu écrit parfois. C’est une juge qu’on pourrait même qualifier d’ordinaire. Sa particularité, c’est qu’elle occupe une position inédite dans le projecteur médiatique. Elle doit cela à son courage, mais surtout au fait qu’elle ait eu le privilège incroyable de nous montrer certaines choses interdites aux autres… On peut dire aussi que les réalisateurs Jean Libon et Yves Hinant ont su bien manoeuvrer grâce à une certaine inconscience (?) de sa part.

Cette opération vérité ne va pas sans créer des problème. A l’origine, sa hiérarchie lui a donné le feu vert, mais par la suite il y a eu rétractation du président du tribunal. Il a commencé à paniquer. Il a cherché à contrer cette expérience inédite. Mais c’est lui qui a perdu. Elle a eu le soutien de ses collègues du même rang.

On assiste donc à de véritables échanges entre des prévenus, leur avocat et elle-même. Elle y va fort, tout en restant courtoise. Mais elle n’hésite pas à faire sentir son point de vue. Ses positions sont parfois discutables. On sent des partis pris. Mais elle bétonne avec sa vue synthétique de la loi.

  • Cette catégorie de juges peut se le permettre car elle a des outils puissants et une grande indépendance. Parfois d’ailleurs cela conduit à des catastrophes judiciaires.

Cette parfaite publicité des débats a du forcément poser des questions de confidentialité. Et je ne sais pas comment elle a pu se sortir de là. Il faut au minimum l’adhésion des accusés et des témoins. A moins qu’il y ait une part de reconstitution. En tout cas c’est raccord.

  • On pourrait être légitimement choqué par la pleine exposition des multiples consaguinités de cette famille à problème, ainsi que par la leçon qu’elle leur fait à ce sujet. Mais comme le mal est fait, ce sujet tabou reste bien intéressant.

Ce film documentaire est instructif. Il donne une image fidèle de la justice en action, en tout cas dans cette phase intermédiaire.

Je citerai 4 exemples :

D’abord cette femme infanticide qui a manifestement agi dans un épisode de délire de schizophrène paranoïde. J’ai connu dans ma vie professionnelle un cas qui était très proche du sien. Et donc, sa situation incompréhensible pour le grand nombre, m’est apparue parfaitement claire et limpide. Et là notre juge parle de « prison », alors que tout porte à croire que cela se terminera à l’asile. La problématique responsabilité / irresponsabilité est ici criante et pourra aider les non-initiés à mieux comprendre. En tout cas, je l’espère.

Il y a aussi ces multi-récidivistes qui plaident leur cause avec toujours les mêmes arguments. Ils ne veulent pas revenir à la case prison. Si c’était une première fois, ces brigands persuasifs, pourraient nous faire croire à leurs promesses de ne plus jamais recommencer. Là ce sont des cas de conscience, où il me semble que la juge sait faire parler le métier avec intelligence. Ce qui n’empêche pas les menaces d’un jeune qui parle d’aller en Syrie à la première occasion. Grand moment également.

Je poursuis avec ce cold case sur lequel elle s’acharne. Il s’agit du meurtre ancien de deux prostituées. C’était avant les miracles possibles de l’ADN. On nous montre les difficultés pour exhumer cette affaire. Avec des suspects déjà morts, d’autres partis loin d’ici. L’épisode du cimetière est montré sans fard. Du beau travail, qui peut choquer de nombreuses personnes, mais qui pour nous est juste une routine.

Cerise sur le gâteau. Anne Gruwez fait le constat avec une « professionnelle » que les prostituées qui vieillissent doivent se convertir en « maîtresses » pour survivre. C’est la clientèle des masochistes, des coprophages et autres bizarreries humaines. Alors que la pratiquante expose les perversions qu’elle inflige à ces clients, la juge voit cela avec un plaisant recul et une certaine admiration pour le travail bien fait ! On est loin du moralisme de circonstance.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ni_juge,_ni_soumise

https://fr.wikipedia.org/wiki/Anne_Gruwez

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