Orfeu Negro, favelas, Camus. Orphée Eurydice. Mythe, réalité. 8/10

Temps de lecture : 5 minutes

Coup de tonnerre sur la croisette en 1959. Les éclairs fusent. Le film musical Orfeu Negro brûle tout sur son passage. Il y a là une telle sincérité, une telle nouveauté et une si magnifique promotion des artistes colorés brésiliens, qu’on est transporté dans un autre monde.

La samba est omniprésente et souligne par sa scansion, ce qui tient de la mythologie grecque. Dans ces temps là, la musique et la danse accompagnaient le récit.

L’excellente transposition passé / présent rend encore plus forte et plus tangible cette histoire.

Palme d’or au Festival de Cannes 1959 méritée, écrabouillant au passage les films de François Truffaut, d’Alain Resnais, de Richard Fleischer ou de Luis Buñuel. Il est également Oscar du meilleur film étranger. Il faut saluer le travail préalable au théâtre de Vinícius de Moraes, Orfeu da Conceição.

***

La lyre d’Orphée est remplacée par un guitare plus actuelle. Avec cet instrument, ce dragueur impénitent, enchante ses conquêtes et fait lever métaphoriquement le soleil. Mais dans le récit antique, elle lui donne aussi le pouvoir de résister au chant des sirènes, qui s’en prennent à lui. Et son côté magique se retrouve dans les yeux des jeunes enfants de Rio qui veulent y croire, alors qu’Orphée ne semble vouloir que les faire rêver. Ce retour au réel du mythe est d’une actualité bienfaisante. Que c’est bien vu !

Il y a plein d’autres détails de la fiction initiale, habilement humanisés et rendus plus intelligibles par les auteurs.

Mais venons en à la descente aux Enfers. Orphée s’est enfin fixé, finie la vaine itinérance du beau mec. Mais là, la belle qui est l’objet de toute sa vénération, lui échappe.

Eurydice a senti venir la mort sous la forme d’un déguisement macabre du carnaval de Rio. Orphée veut la récupérer, il affronte l’enfer et sa complexité, sous la forme d’une cérémonie Vaudou. Et il entend Eurydice lui parler de l’au-delà. Mais bien sûr il ne doit pas se retourner. C’est en fait une grosse officiante en transe qui transmet le message. Et en effet s’étant retourné, il la voit et perd toute illusion. Il fallait y penser ! C’est proprement remarquable.

Ne pas se retourner, signifie conserver ses rêves et ses illusions. Tous ces charlatanismes étant basés sur une supposée foie totale, que bien entendu personne ne peut atteindre. Et si cela ne marche pas, ce n’est que la faute du demandeur qui n’a pas cru assez. La métaphore est belle, puisqu’elle annihile cette affaire de statue de sel en la pilonnant.

***

La danseuse américaine Marpessa Dawn en Eurydice et le footballeur Breno Mello en Orphée, sont certes de bons acteurs, mais finalement ils ne sont que des gens normaux. Ils ne sont magnifiques que parce qu’ils sont transfigurés par la grâce que confère le récit. Figés sur une photos, ils ne sont pas si beaux que cela, mais leurs expressions, leurs mouvements et bien d’autres choses, les rendent égaux à des divinités. La distribution est jugée bien trop « noire » dans ce Brésil métissé.

Le réalisateur et coscénariste Marcel Camus a fini par épouser la gentille Marpessa Dawn / Eurydice, puis se remarie avec la méchante du film Lourdes de Oliveira, preuve d’une œuvre fusionnelle.

Bizarre que les innombrables metteurs en scène qui se sont attaqués à ça, n’aient pas eu la sagacité de transposer cette affaire à un niveau plus compréhensible. Peut-être qu’eux mêmes n’y comprenaient pas plus. Et puis ce saint respect de l’œuvre a permis d’échapper un temps aux pitoyables extrapolations de la modernité.

On cite souvent Orfeo ed Euridice/ Orphée et Eurydice, l’opéra de Christoph Willibald Gluck ; mais des Orphée et Eurydice il y en a eu des dizaines, et conçus par de grands compositeurs.

***

Orphée negro c’est une savante opposition mythologique.

D’un côté une promesse d’amour universel, l’innocence, la vertu, une bienheureuse naïveté, tous les matins du monde, une beauté éclairée par le haut et même la sainte Vierge descendue parmi les hommes.

De l’autre une féminité dévorante, possessive, éclairée par le bas, une prostituée sacrée

Entre cet amour total à engagement corps et âme, et cet amour totalitaire qui vise à circonscrire l’autre, personne ne peut vraiment gagner.

L’un correspond à l‘âge d’or de l’amour, avant la sortie du paradis qui en réalité ne peut jamais être retrouvé. La chanson occidentale lui donne la place dans Deux enfants au soleil de Jean Ferrat divinement reprise par Isabelle Aubret. Et en face c’est l’amour humain, une fois le fruit de l’arbre de la connaissance consommé avec son réalisme et ses désillusions.

Et c’était comme si tout recommençait

La même innocence les faisait trembler

Devant le merveilleux

Le miraculeux voyage de l’amour

L’amour de l’âge d’or est virtuel, mais il contient des promesses de félicité. Cette innocence primordiale, virginale, serait très recherchée par l’homme. Et plus tard, le yin et le yang ne dédaigneront pas un amour plus fougueux, plus réaliste, et peut-être moins exigeant. Enfin viendra l’amour du couple, avec son souci de procréation, il fera une transformation de la passion en tendresse, dans le meilleur des cas.

Et donc nous ne sommes pas confrontés à un combat à mort entre toutes ces entités, mais à des stades qui se succèdent l’un l’autre.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Orfeu_Negro

https://fr.wikipedia.org/wiki/Orph%C3%A9e

https://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Camus

Envoi
User Review
0 (0 votes)

Laisser un commentaire