Orient-Express, voyage d’une légende. Stupre, lucre. Train de bois et mettetal. 6/10

Temps de lecture : 6 minutes

Un peu léger ce documentaire de 2018 sur l’Orient-Express, même si le réalisateur Louis Pascal Couvelaire a cru bon convoquer des personnalités pour certains commentaires.

Le problème, c’est qu’on connaît déjà pratiquement par cœur toute cette longue histoire, avec les avancées et les déboires de la compagnie et des repreneurs. Bien sûr, certains ont plus estompé les défauts que d’autres, comme ce premier train qui n’arrivait pas à Constantinople, mais était relayé par d’autres moyens de communication.

Si on part sur une « légende », il y a de fortes chances qu’il y ait des embellissements.

L’invocation d’une « légende » vaut celle du « secret » ou du « trésor » ou de la « malédiction »… qui encombrent les chaînes thématiques. Il faudra un jour qu’on s’arrête avec ce racolage sommaire.

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La Compagnie des wagons-lits qui est la première en charge du bidule, commence avec Georges Nagelmackers. Il n’a pas inventé tant que cela, puisque les trains de nuit Pullman existaient déjà. Il a piqué ici ou là des idées, mais c’est quand même fatigué pour les autorisations et bon nombre d’obstacles consécutifs au manque de normalisation en Europe.

Comme les Frères Schlumpf et leur collection prestigieuse de voitures du plus haut luxe (dont les Bugatti) à Mulhouse, Georges était persuadé qu’il fallait adosser son train exceptionnel à des hôtels exceptionnels. Tu viens de leur hôtel cinq étoiles, tu prends le train et tu remontes dans un hôtel cinq étoiles. Le tout appartenant au même groupe. Et donc le luxe le plus élitiste pouvait rester en vase parfaitement clos. Ce qui était recherché dans cette quête effrénée d’avant-guerre qui a exacerbé les tensions sociales.

  • Je dis cela mais je suis loin d’être socialiste. Simplement un trop fort gradient entre les êtres humains, n’est plus motivant ; la saine émulation n’a plus de sens au-delà d’une certaine limite. Surtout si la vraie misère, pas la difficulté à s’acheter le dernier I-Phone, est d’une côté de la piste. Et la faille inéluctablement se transforme en abyme, où tout le monde tombe.
  • Je suis comme bien d’autres attirés par la beauté de cette réalisation. Je n’ai pas attendu ce documentaire pour m’extasier sur les Lalique et les boiseries de qualité. J’aime le haut de gamme et les sièges confortables. Je suis plus narquois devant ces éloges aux mini latrines individuelles.
  • Le luxe qui consiste lui à multiplier par 4 le prix du haut de gamme, juste parce qu’on a apposé un logo de marque, me fait plutôt sourire, par sa bêtise. Il n’intéresse plus guère que certains jeunes qui se ruent sur les belles imitations, souvent des faux impeccables. Le luxe n’est plus un centre de recherche avancé, voire une locomotive, mais une rente surfaite.
  • Mon problème n’est pas là. Ce qui me chagrine c’est qu’il n’y a pas beaucoup de réflexion dans ce docu-fiction. Une fois de plus on se cantonne à du très formel, de la doxa, du codé pompeusement, du dithyrambique et du conventionnel.

Et l’ Orient-Express que devient-il ? Il a été au terminus en 1977 (tout le monde descend), lorsque est survenue la fin des trains à vapeur et l’essor de plus en plus vertigineux l’avion. L’avion démocratisé ? Eh oui et c’est un autre paradoxe non exploité ici comme il se doit.

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Il y a quand même un peu de nouveau et c’est assez central dans leur démonstration télévisuelle. Le reportage met en avant la découverte récente par M Arthur Mettetal de rames oubliées, qui sont plutôt en bon état. Ce ne sont pas les plus anciennes, mais les plus abouties, dans la longue séquence de ce train. D’où l’idée qu’il pourrait être lucratif qu’elles reviennent, sourire aux lèvres, dans le circuit commercial. Miam miam il y a encore du pognon à se faire. Soit en faisant circuler les trains, soit en vendant ce rêve à d’autres.

Il est clair qu’on nous prépare un coup pour le proche avenir, avec des investisseurs décidés à rempiler pour cette énième résurrection du train. Guillaume Pepy n’est pas le dernier à avoir pris le train en marche. Et ce mondain de Jean des Cars qui blablate.

  • Cet écrivaillon, qualifié ici de journaliste, n’arrive pas à le cheville du dandy Robert de Montesquiou. Voudrait-il lui aussi qu’on remette ce train sur les rails ou son apparition est là pour qu’on ne l’oublie pas trop vite ? Des personnages comme lui, on en a connu des tas, plus des fous du roi que des égaux des grands, comme avec tous ces Jacques Chazot, Michou, Régine, Orlando, Kardashian… qui monopolisent la télé pour trois fois rien … et qu’on doit recruter pour trois fois rien, tant leur égo est démesuré. Bon, je m’emporte, cessons là.

Fallait-il vraiment essayer de nous faire rêver aussi artificiellement, avec sans doute des arrières pensées ? Et le pouvait-on avec ce sujet vieillot ?

Actuellement on serait plutôt à la recherche de nouvelles idées sur le sujet. Mais le feu d’artifice ne se produit pas. Ce train a décidément de gros sabots.

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Voici le résumé de thèse doctorale du jeune M Arthur Mettetal, ce gros malin qui a compris qu’on n’avait qu’à chercher des wagons à toit blanc, sur des clichés aériens, voire google earth ?

L’Orient-Express véhicule encore aujourd’hui de nombreuses représentations associées à l’âge d’or des voyages ferroviaires. Voyageurs illustres et intrigues occultent l’histoire économique, technique et politique du premier transcontinental européen.

Avant d’être l’objet culturel que l’on connaît, l’Orient-Express est avant tout un service ferroviaire d’une compagnie de chemins de fer, la Compagnie Internationale des Wagons-Lits. L’étudier revient donc à l’intégrer à une histoire d’entreprise.

Cette thèse a été conduite en distinguant trois niveaux d’analyse : le train en tant qu’objet technique avec ses voitures luxueuses et son intégration au sein d’un système technico-commercial particulier, la compagnie ferroviaire qui l’a exploité entre 1883 et 1977, et enfin l’Orient-Express en tant que patrimoine et marque commerciale.

Notre travail réintègre l’entreprise et son train au sein de l’historiographie du tourisme et du luxe, de l’histoire économique, technique et commerciale de la fin du 19e siècle et la première moitié du 20e siècle.

Cette thèse s’attache également à analyser le processus de patrimonialisation de l’Orient-Express et de son histoire, s’ancrant ainsi dans le champ du patrimoine industriel et ferroviaire.

Effectuée dans le cadre d’une convention CIFRE, elle explicite le rôle que peut jouer le chercheur en sciences sociales en entreprise, notamment au travers de ses différentes postures. Au-delà de son apport académique, cette thèse vise à démontrer qu’il est possible de produire un travail historique solide en entreprise, qui conduit à l’étude d’un patrimoine et à sa construction en s’appuyant sur une recherche-action fondamentale et appliquée.

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Tout cela est bien mercantile !

Poursuivons avec ce qui devrait en théorie faire encore rêver de nos jours. Pour la rapidité du transport et son confort et tout le toutim, on repassera. L’avion a plombé les ailes… du train.

Il y a cette classique évocation du luxe et les aventures avec les Madone des sleepings ; un abord quand même pas mal éventé. En clair, l’Orient-Express ne fait plus tellement fantasmer. D’autant plus que le Venise-Simplon-Orient-Express de maintenant a des ambitions encore plus limitées.

  • Anecdote très curieuse, mais qui montre l’attrait vaguement persistant pour les premières en train couchette, en tout cas il y a de cela encore quelques années. Alors que déjà on n’y croyait plus guère.
  • Pour ma part, je me suis « forcé » à le croire et ce fut la première et la dernière fois. « Les enfant allez vous coucher ». Eh oui un couple improbable, de personnes qui ne se connaissaient pas, mais qui partageaient seuls le même compartiment de nuit, a convenu qu’il fallait absolument céder à la tentation plus en raison des circonstances que par une attirance irrésistible. Le jeune aspirant médecin que j’étais, bénéficiait de billets pour rejoindre la côte d’Azur. Par simple déclaration, j’avais proposé un domicile là bas, alors que j’habitais en Alsace. Il y a prescription pour l’un et l’autre des mes méfaits/bienfaits.

En la matière, le train couchette américain de mort-aux-trousses de Hitchcock de 1959, où Eva Marie Saint provoque sexuellement Cary Grant est plaisant. Film bien plus « excitant » que la version cinéma de 1974 du Crime de l’Orient-Express par Sidney Lumet, avec Albert Finney ou de la version télé de 2010 avec Hercule Poirot joué par David Suchet.

Les reconstitutions sont correctes et se basent sur plusieurs types d’Orient-Express. Le premier n’était pas bleu !

https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Nagelmackers

https://fr.wikipedia.org/wiki/Orient-Express

https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis-Pascal_Couvelaire

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A8res_Schlumpf

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