OSS 117 : Rio ne répond plus (2009) 7/10

Temps de lecture : 7 minutes

Il est indéniable que l’on est d’abord en présence d’un pastiche des OSS 117 des années 1950-1960, et autres films à la James Bond. On pourrait même s’arrêter là et voir cette comédie sans se prendre la tête.

Tous ces longs métrages d’avant et de maintenant, rendent particulièrement criants et/ou ridicules certains défauts de l’époque. On le doit au premier degré quand il s’agit du cinéma passé et au deuxième degré pour les farces présentes, dont celle dont on cause.

Sont épinglés, l’esprit colonial méprisant, le racisme ordinaire, la place ridicule laissée aux femmes, une foi assez aveugle en nos dirigeants, une surévaluation de la position mondiale de la France et j’en passe.

Mais si ce n’était que cela, on en aurait bien vite fait le tour. L’intérêt de l’exercice d’Hazanavicius tient dans la capacité à pousser au maximum les curseurs, non pas pour faire rire davantage, mais plutôt pour montrer les limites de notre propre rire. Le réalisateur co-auteur nous fait approcher les fécondes frontières de l’absurde, mais toujours avec une certaine logique. C’est dans la lignée des grands Charlot.

– Un exemple : notre héros semble avoir compris pourquoi les survivants de la diaspora juive, avec la création d’Israël, ont bénéficié d’une terre. Alors pour calmer le chef nazi qui veut un Vème Reich, et par un curieux souci d’équité, il lui propose de discuter avec ses chefs parisiens pour que ces proscrits du IIIème Reich aient également un endroit à eux pour se développer. C’est surtout pour se moquer d’une tendance à mettre la balle au centre quel que soit le sujet. Et comme on finit par jouer franchement dans l’absurde, cela en devient plutôt fin et drôle.

– Dans le même esprit, on peut citer la captation du discours de Shylock au profit des tortionnaires (William Shakespeare, Le Marchand de Venise) comme s’il fallait adopter le principe ambiant que toutes les discriminations se valent et qu’il n’y a pas lieu d’avoir des compétitions victimaires. C’est une provocation futée, non pour réhabiliter les Nazis, mais pour faire réfléchir à nos penchants relativistes (tout se vaut).

  • « Un Juif n’a-t-il pas des yeux ? Un Juif n’a-t-il pas des mains, des organes, des dimensions, des sens, de l’affection, de la passion… »

… devenant :

  • « Un Nazi n’a-t-il pas des yeux ? Un Nazi n’a-t-il pas des mains, des organes, des dimensions, des sens, de l’affection, de la passion… »

– Tout à la fin, OSS a vu très incidemment que le chef du bureau (Pierre Bellemare) où il travaille était sur une liste de collabos, celle qu’il était chargé de chercher. C’est anodin (?). Et ce qui sera habilement monté en épingle, c’est la capacité des ces habiles personnes compromises de rester en place et de savoir minimiser tout cela auprès de leurs subalternes. Et pour cela il suffit des quelques tirades. La critique de cette discrète manipulation accompagnée de la nécessaire soumission à l’autorité dépasse le cadre historique. On montre là des travers qui sont consubstantiels aux compromis de l’équilibre social. C’est très gaullien ce pardon intéressé. Et c’est une charge indirecte à l’histoire reconstruite par les vainqueurs et/ou se qui sont passés à travers les gouttes. On a tous vu cela dans notre quotidien, à notre petite échelle.

Les malins sympathiques, doués pour la pirouette, comme le précurseur du télé-achat Pierre Bellemare, qui aurait pu vendre des casseroles ou des bas infilables à n’importe qui, s’en sortent toujours mieux. On s’attroupe même pour voir leur show disculptif. Qui oserait critiquer le talentueux animateur qui sait si bien dissimuler… ses casseroles ?

Et on est donc à nouveau dans le degré supérieur où il s’agit de tirer des leçons autour et non pas au centre de l’abjection (ce n’est pas le cas de Bellemare en tant que tel !). Il en faut de la finesse aux réalisateurs et aux acteurs, pour faire fonctionner ces horloges complexes là.

On n’en est pas non plus au premier degré de l’humour comme arme contre les préjugés. Le choux à la crème dont se gave la critique ciné peu ambitieuse.

Ce ne sont pas les poncifs qui sont moqués, ça tout le monde sait le faire. Non la cible c’est le cliché transposé, inversé, remodelé avec retour à l’envoyeur.

– Ainsi ce n’est pas temps une mise en cause du côté coureur de Dujardin, que celle de l’exacerbation de la chasse féministe, mais qui repose ici sur le biais anachronique d’un tel regard du présent. Et comme cette inversion est amenée avec subtilité, certains n’y verront que du feu.

Exemple : quand il entend la belle gradée du Mossad, exiger une égalité homme femme de traitement, il rétorque comme un macho ordinaire, qu’on verra bien ce qu’il en sera quand il faudra porter de lourdes charges. Ce qui n’est fondamentalement pas faux, même si cela n’épuise pas le sujet de l’inégalité de traitement. Et c’est bien pourquoi cet humour sur le fil du rasoir est si intéressant.

– Le racisme est traité de la même manière. Avec de petits coups de griffes presque invisibles aux excès de l’antiracisme. Mais bien entendu la façade frontale nous montre le racisme basique. Comme avec ces blagues douteuses sur les « jaunes ». Mais qui étaient vraiment monnaie courante à l’époque, sans forcément qu’elles soient haineuses. Tout le monde se moquait des particularités ataviques supposés de tout le monde. C’était au départ un jeu. Mais on sait la facilité des glissements dans ces domaines.

Force est de constater que les domaines qu’on peut traiter avec humour diminuent de jour en jour. Je n’ose imaginer ce qu’on pourrait penser maintenant de nos livres des 100 blagues du milieu d’une bonne partie du vingtième siècle ! Heureusement que désormais, on nous précise de quoi on peut encore rire, grâce à la police de l’humour. Vivement des camps de redressement !

– Le cas délicat de l’homosexualité (*). C’est devenu un tabou. On ne sait plus jusqu’à où on peut critiquer ou se moquer, si de besoin. Pourtant personne n’est tenu d’aimer l’homosexualité. On peut encore « discriminer » dans son propre choix sexuel. Pour le reste, on parle de tolérance, de norme et de normalité (**).

Notre brave Dujardin qui a pris du SVP (LSD) par mégarde, se trouve dans une situation homosexuelle. On voit cela dans les derniers James Bond aussi.

Ce que d’autres pourraient considérer comme un abus de faiblesse à son endroit (quel endroit ?), ne semble pas avoir été aussi désagréable que cela.

Mais pour lui c’est juste un écart expérimental hors norme qu’il doit à tout prix dissimuler, pas un changement de bord définitif.

Et la situation n’est pas montrée de manière risible. Ce qui est souligné c’est juste son embarras quant au regard des autres. Lui peut s’en accommoder. Et ceux qui ont juste tenté l’expérience aussi. Ce n’est donc pas une attaque homosexuel contre un hétérosexuel « straight », mais plutôt une petite lucarne qui a été ouverte… et qui a été refermée.

De plus il découvre que l’homo en question n’est pas foncièrement différent des autres hommes, comme de nombreux juifs ne portent pas leur origine sur leur figure, comme il le croyait. C’est dit aussi dans le film.

– La trop grande confiance dans l’universalisme et les droits de l’homme à toutes les sauces est abordée frontalement. On voit le désarroi du héros quand il n’arrive pas à toucher les grosses brutes brunes avec ses messages d’amour généralisé. Ce qui vaut pour eux, vaut sans doute pour la grande masse. Sans doute que les auteurs ont flairé le virage d’une époque qui commence à fuir cette religion para-chrétienne naïve qui est loin de marcher à tous les coups. Tout juste si on nous demande pas de tendre l’autre joue.

– Une métaphore filée nous embarque sur le thème de l’humour juif. Et de fil en aiguille sa définition devient insaisissable. Ne reste que la mélancolie, l’incompréhension et des attributs de la judaïté. Et quand Dujardin sort de mauvais jeux de mots sur le Chinois nommé Lee = lit, cela finit par tomber à plat. Malaise.

Mais comme c’est une blague qui n’engendre pas la gaîté et qui ne parle pas de saucisse (= Kasher), – ce qu’il a retenu lui comme critères – alors il a l’illumination qu’il vient de faire une blague juive.

On est bien dans le méta-humour, celui qui arrive à rire de l’humour lui même, et ce n’est que là que cela devient bougrement intéressant. Et c’est pour cela qu’en de moins bonnes mains. Un troisième opus qui se contente de rire des défauts grossiers de groupes d’individus n’a guère d’intérêt.

Je ne l’ai pas vu, mais en lisant les critiques d’OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire, surtout par leur façon de tourner autour du pot, on sent bien qu’il doit être assez médiocre.

On a cela avec Goscinny. S’il disparaît des Astérix, il n’y a plus cette élévation de la conscience et il ne reste plus qu’une carcasse vide qui se parodie elle-même.

L’opus précédent, OSS 117 : Le Caire, nid d’espions, avait lui l’effet de surprise, ce qui est un gros avantage. Mais on y trouvait aussi un je ne sais quoi de plus. Je me garderais bien de le disséquer pour savoir de quoi il s’agit. Il y a des œuvres qu’on s’interdit de mutiler.

Sans aller jusque là, on peut juste signaler qu’à Rio on rigole bien souvent, mais pas de manière paroxystique, comme par exemple avec la reprise de Bambino dans le premier numéro au Caire.

Les amateurs de références retraceront avec bonheur toutes les emprunts évidents aux films prestigieux du passé, tant sur la prise de vue volontairement datée que sur des scènes cultes. Il y a quand même pas mal de boulot !

  • (*) Homosexualité et discriminations en droit privé
  • https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01232052/document
  • (**) Une des frontières à ne pas franchir, là encore, doit se situer au niveau des messages ou des actes haineux. A l’inverse nul n’est contraint à adresser des messages d’amour à ce qui ne l’attire pas.
  • On condamne donc les discours injurieux, diffamatoires et d’incitation à la discrimination.
  • Grâce au principe constitutionnel d’égalité, on ne doit pas avoir de mal à ne pas discriminer en fonction de l’orientation sexuelle au long cours. Mais ira-t-on pour autant jusqu’à la pratique de quotas ?
  • L’incrimination des discours homophobes doit être clairement définie. Pourquoi n’y aurait-il pas une sorte de droit au blasphème ? Ce qui est aussi une liberté. La jurisprudence va très loin parfois.
  • Le droit au respect de la vie privée est bien entendu un principe sacré.
  • Définir l’orientation sexuelle, c’est graver dans le marbre un état supposé immuable. C’est déjà un problème en soi. Même si la situation peut être protéiforme et changeante. Il existe également du borderline comme le sadomasochisme ou de francs crimes sexuels liés à la pédophilie.
  • Et puis la République cherche à intégrer et ne reconnaît donc pas l’existence de groupes distincts. C’est une difficulté juridique.
  • Inégalité de traitement en faveur des homosexuels ? « L’imputation de cette orientation sexuelle, qu’elle constitue ou non un fait avéré, est considérée par les juges comme portant atteinte à la vie privée et, par suite, ouvre droit à réparation; cette solution est bien spécifique à l’homosexualité, dans la mesure où l’allégation d’hétérosexualité ne fait pas quant à elle l’objet d’une protection identique »

https://fr.wikipedia.org/wiki/OSS_117_:_Rio_ne_r%C3%A9pond_plus


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