Petite réflexion à la suite du visionnage de Reese Witherspoon à la recherche d’elle même dans Wild (2015) Dans le temps on appelait cela un pèlerinage.
Le plus connu, et le plus solitaire d’entre eux est celui de Compostelle. Toutes ses variantes consistent à tenter de se ressourcer (reborn), dans le dénuement, l’ascèse, la souffrance et la solitude. Il ne manque plus que la couronne d’épine et l’autoflagellation pour que le « bonheur » de l’itinérant soit complet.
Dans ces expéditions auto-punitives, on peut varier les « plaisirs » à l’infini.
Des bouddhistes font le tour d’une montagne de l’Himalaya à genou. Des pèlerins chrétiens finissent leur voyage dans la même « apothéose » méniscale sur les marches portugaises.
D’autres voyagent plus immobiles : cela peut être un simple ralentissement, comme ces sadhus qui s’accrochent de lourdes charges -voire un tracteur- aux parties génitales.
D’autres sont carrément en circuit fermé. Comme ces musulmans qui font le tour de la pierre noire sacrée. Ou sur quelques cm², comme ceux qui auraient vécu des années en équilibre précaire sur une colonne dans le désert. Si on a l’esprit aventureux en espace clos, on peut même s’offrir les joies du cirque, un petit trajet en martyr poursuivi par des lions.
L’imagination de l’homme est infinie quand il s’agit de souffrir ou faire souffrir.
Nous sommes donc en face d’une vraie philosophie du néant.
En somme, ce sont là tous ces principes mortifères justement combattus par l’ami Nietzsche.
Bien sûr qu’il existe d’autres formes de périples spirituellement formateurs.
A l’époque de Platon, les péripatéticiens faisaient le tour de la cour en échangeant des idées.
Un simple voyage culturel peut lui aussi, apporter un supplément d’âme.
Et même, la vue de la mer pour un montagnard ou de la montagne pour un habitant du littoral, donne un agréable coup de fouet mental. Par contre un insulaire finira de se lasser de « la mer toujours recommencée ». Et l’habitant de l’Altiplano rêvera d’un milieu moins hostile. C’est comme cela, jamais content !
Nos ancêtres les premiers homo sapiens, se sont sans doute plus déplacés par nécessité que dans un esprit touristique, mais nous leur devons beaucoup d’avoir osé aller se faire voir ailleurs.
Mais le départ ne peut être résumé à du nihilisme ou une fuite rédemptrice, avec la conclusion convenue que l’on ne fuirait que soi-même (et patati et patata). Même si c’est le cas dans le film.
Le « voyageur » solitaire, et j’en ai été un sur une longue période, est souvent tenté de sortir d’un cercle dans lequel il peut avoir le sentiment d’être piégé. Un peu comme s’il avait la volonté d’élaborer une salutaire méta-structure, faite de nouveaux axes de valeurs. Il espère ainsi redevenir maître de son destin et sauter au dessus des obstacles. Cette démarche n’est généralement pas consciente. Elle tient plus du ras le bol et de l’intuition.
Le petit clerc confiné dans sa routine professionnelle, familiale, sentimentale, peut aspirer à un renouvellement profond de la donne. Rebattre les cartes. Certains y parviennent. D’autres ne font que dérailler et s’inventer une nouvelle vie.
Les résistants de la première heure, ceux qui ont rejoint la France Libre, étaient de ces explorateurs insensés, totalement à contre courant des dogmes et de la sagesse ordinaire. Mais tout le monde n’est pas animé au fond par l’esprit de révolte.
Les découvreurs eux aussi « sortent des sentiers battus ». Je ne sais pas si c’est un mythe ou une réalité, mais on dit que des grosses têtes de la silicone valley auraient traîné leurs jeans du côté de Katmandou jadis.
Mais le voyage stricto sensu n’est pas obligatoire, l’important c’est d’arriver à s’extirper du quotidien, de la doxa. Proust le faisait du fond de son lit. Voyage autour de sa chambre. C’est la notion de retraite qui compte, plus que le mouvement.
Reste le problème de la solitude du marcheur.
Nous avons un marcheur célèbre et récurrent des plateaux de télévision, Tesson. Il s’exprime intelligemment et a souvent des choses à nous dire.
Mais comme dans ses périples « solitaires », il est déjà dans l’élaboration d’un livre pour lequel il espère de nombreux lecteurs, il n’est pas vraiment seul. Son public est autour de lui, même dans les endroits les plus reculés de la terre.
C’est vrai aussi pour beaucoup de marcheurs qui filment leur voyage.
D’ailleurs la mode envahissante qui consiste à faire une vidéo partagée de tous nos actes quotidiens est le plus souvent un combat contre la solitude. Pas gagné d’avance, les réseaux sociaux, leurs défilés d’égo, leurs rires forcés, sont des lieux plus désespérés que l’on croit.
On l’a vu, l’approche solitaire favorise un certain recueillement et la réflexion.
Mais il y a des limites.
Notre « amélioration » s’inscrit dans un contexte social. On ne rit pas seul. On ne s’enthousiasme pas sans un minimum de communication. Nos valeurs sont au fond un système partagé qui nous permet juste de bien vivre ensemble. Nous sommes « heureux-récompensés » ou «malheureux-punis » selon le « bénéfice/déficit» estimé de nos actions. L’échelle du moment est établie par la collectivité. Pas la peine de faire la généalogie de la morale pour comprendre cela. Ce sont des mécanismes très primitifs qui permettent aux espèces de se développer. Le loup solitaire n’a aucune chance sans la meute. Il doit donc lui aussi respecter ces règles collectives. Le bonheur de la mère bienveillante qui regarde son enfant satisfait, doit beaucoup à la longue lignée de mammifères sociaux qui l’ont précédé. Et c’est bien comme cela.
La solitude en soi est donc une impasse.