Un film dont le sujet est le voyage dans le temps. Mais dans sa forme traditionnelle de la randonnée du héros qui veut corriger le passé.
C’est basé sur une nouvelle du célèbre auteur de SF Robert A. Heinlein : All You Zombies
Bien entendu, le récit n’échappe pas aux impossibilités liées aux paradoxes spatio-temporels. Mais il tente vaille que vaille de corriger les brèches qu’il a ouverte, ou plutôt de les masquer. Ce n’est pas très réussi.
Le scénario pousse jusqu’à l’absurde certains dangers bien particuliers de cet exercice de haute voltige.
Avec au dessus du panier le risque bien connu que le voyageur dans le temps fait encourir à sa famille et à lui-même.
- Par exemple, si le petit-fils voyageur tue son grand-père alors le descendant ne peut pas exister. C’est le paradoxe du grand-père.
- Et s’il prend à l’explorateur la mauvaise idée de flirter avec sa mère telle qu’elle était dans la passé, toute jeune et bien désirable, alors il peut devenir son propre père. On pourrait appeler cela le paradoxe du fils-père.
Ici l’aporie est menée dans ses derniers retranchements.
- Une femme « X » à l’instant T est enceinte d’un homme « Y », qui n’est autre qu’une elle-même de l’instant T plus quelques années, mais qui a changé de sexe. Leur enfant « Z » sera kidnappé et positionné à l’instant T moins quelques années. « Z » se révélera être la future femme X. Et donc X = Y = Z. L’autogenèse en boucle creuse.
- Mais l’existence de « Z » quelques années avant même sa naissance (bébé déplacé dans le temps passé) est impossible, d’abord parce qu’un même bébé ne peut exister avant d’avoir existé, ensuite parce qu’il ne peut pas avoir deux âges différents à la fois, et enfin parce que cette naissance est conditionnée par une rencontre future et non sui generis.
- Ainsi le phénomène est sa propre cause. Ce n’est pas mieux quand l’inventeur de la machine à remonter le temps s’envoie ses propres plans dans le passé. Et donc il n’a rien inventé. Et qui donc alors l’a inventé ? On appelle cela le paradoxe de la prédestination (d’où le titre ?).
Par ailleurs le justicier professionnel « A » fera des allers-retours à travers les époques pour empêcher un certain « B » de poser ses bombes meurtrières. Mais « B » n’est autre que « A » avec quelques années de plus. Sa fonction est de modifier le passé et ne peut donc se concilier avec ce principe premier qu’il ne faut en aucun cas modifier le passé sous peine d’altérer le futur. Et que dire quand « A » veut tuer soi-même en version « B » ? Et comment ne pas avoir envie de prendre l’air quand on nous suggère qu’il se pourrait bien que A= B = X = Y = Z.
J’appellerais cela l’illusion des poupées russes pseudoscopiques et polysexuées (*) – Mais cela n’engage que moi.
A noter que de manière générale le scénario peut choisir entre deux possibilités de déplacement dans le temps.
- Soit les voyages engendrent des personnages identiques mais avec des âges différents et qui peuvent être concomitants. Et alors en effet « X » peut coucher avec « Y ». Le problème est alors qu’il y a forcément persistance de ces clones de voyageurs semés ici ou là. Et que ces entités ont nécessairement des avenirs différents et plutôt inconciliables.
- Soit une même personne ne peut pas être double et dans les mêmes lieux à la fois. Alors les traces de l’un se substituent à l’autre. Le présent et le futur sont redessinés pour s’adapter aux changements du passé.
- Et qui est le personnage détenteur de la conscience de soi, quand il se trouve à plusieurs endroits temporels sous des formes multiples. Et au fait, de quoi est-il conscient ? Lequel emporte avec lui ses souvenirs, et quels souvenirs. Quid des souvenirs du futur vers le passé ? Y compris après plusieurs allers-retours.
- Le problème ne s’arrange pas quand la mémoire des épisodes passés tend à persister à des degrés divers, pour chacun des avatars de l’entité ou pour certains d’entre eux. Ce qui est en général le cas dans ces films.
- Une échappatoire consisterait à faire cohabiter des mondes parallèles où chacun des destins pourraient se réaliser. Mais comme les parallèles ne se rejoignent pas, on voit mal comment on peut sauter d’un univers à l’autre et y changer quoique ce soit.
Prédestination n’est pas un film très adroit. D’abord il est déséquilibré. Au début on se place clairement dans la science-fiction. Mais par la suite, il y a l’épisode du bar avec ce récit longuet de Madame X qui est devenue Monsieur Y, qui se veut ancré dans du réel. Et la complexification artificielle de XYZ et AB n’arrange rien. J’ai vu Ethan Hawke dans de meilleures dispositions. L’androgyne Sarah Snook ne joue pas très bien.
On sent bien que la critique égarée par ces quiproquos relativistes, ni comprend plus grand-chose. Et donc, dépassée elle se croit obligée de crier au génie. On ne sait jamais, c’est peut-être un chef d’œuvre. On ne veut pas avoir l’air bête.
Alors que ce n’est en fait qu’une resucée des thrillers faciles, basés sur le qui est réellement qui ? et à qui se fier ? Avec de la poudre de perlimpinpin temporelle pour tenter de rendre moins indigeste le pesant gâteau. L’idée qu’il puisse y avoir une authentique dimension psychologique ne me traverse même pas l’esprit. C’est juste de la frime.
Moi, je ne marche pas.
Si cela vous intéresse, voir ici plusieurs critiques de films qui traitent de ce sujet. Vous trouverez aussi un rapport sur l’Histoire de la science-fiction (2018) Le voyage dans le temps (time travel), un épisode télé que l’on doit à James Cameron.
- (*) les poupées russes pseudoscopiques et polysexuées : c’est vraiment un truc d’initié ça.
- – Les poupées russes on connaît. C’est une série de figurines creuses analogues qui se contiennent l’une l’autre, de la plus grosse à la plus petite. Cela a aussi à voir avec la théorie préformiste, où les êtres d’une même lignée sont supposés emboîtés les uns dans l’autre jusqu’à l’infiniment petit. Manquerait plus que de parachuter une bombe pareille dans des temps différents !
- – La pseudoscopie, c’est une impression très bizarre de ce qui est dedans est en dehors, que l’on n’éprouve qu’en regardant des images non mises dans le bon ordre droit gauche, avec un stéréoscope. Impossible à décrire par les mots, il faut l’éprouver. Et donc avec les poupées russes pseudoscopiques, on ne sait plus très bien qui contient l’autre, qui précède l’autre, puisqu’on peut ressentir le dedans comme étant en dehors.
- – Polysexuées ? Je pense que je n’ai pas à faire un dessin.
Qui sait, j’ai peut-être trouvé là, une super machine à sillonner la courbure espace-temps.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9destination_(film)