Queimada. Brando colonialiste Woke ? Pontecorvo doctrinaire marxiste ? 7/10

Temps de lecture : 4 minutes

Film de défense des minorités opprimées et qui anticipe le wokisme ?

Pensum marxiste ?

En fait un peu de tout cela, mais ce n’est pas du tout pesant. Cette histoire démarre dans les derniers temps du commerce triangulaire. Elle est trop crédible, pour ne la juger qu’avec le seul filtre de l’idéologie.

Queimada est sorti en 1969, année d’espoir et de tentatives d’émancipations en tous genres.

Marlon Brando y est tellement présent, qu’on a l’impression qu’il a écrit le scénario et contribué à la production… ce qui n’est pas tout à fait faux. L’acteur a sorti des sous de sa poche, pour sauver ce film qui était au bord du gouffre.

Globalement on peut considérer que sa prestation est assez ambiguë. On s’attend à un Marlon courageux et perpétuellement défenseur de la veuve et de l’orphelin. Mais cela il ne le fait réellement qu’une fois. Le plus souvent, il défend ses intérêts pécuniaires et ne se soucie que dans une certaine mesure du sort des exploités. Puis il se mêle de faire évader le chef de la révolte alors qu’on ne lui demande rien. Mais il accepte sa fin funeste. Pour ne rien arranger, par son regard lointain et par sa dégaine, on nous le figure en héros romantique. Justicier occasionnel, salaud régulier ? Il y a comme un flottement. Est-ce une maladresse de scénario ou un flou volontaire ?

Pendant ces 132 minutes moins une, il est un héros triste mais lucide. Il est de mèche avec la colonisation aux Antilles. Mais son rôle de profiteur free-lance peut l’amener à armer la révolte, avec la protection des puissants. Finalement, bien que les chemins soient tortueux, cela reste toujours dans son propre intérêt.

Notre gaillard des tropiques est partagé entre son métier de mercenaire, qui le contraint à mater les autochtones et le respect profond qu’il porte à ces pauvres hères. Ces derniers sont confondants de réalisme. Le réalisateur a pris sciemment du tout venant, des miséreux, des illettrés. Même Márquez, le personnage principal bis, était un paysan totalement novice et affolé.

Rien n’est vraiment manichéen dans le film, qui baigne pourtant dans un pur marxisme. Cela tient à la liberté des personnages.

Les descendants d’esclaves noirs, qu’il pensera parfois protéger, ne joueront pas le jeu. Et lui-même suivra ses intérêts au mieux, même s’il doit commettre des crimes « légaux ».

Une amitié inconfortable s’esquisse entre lui, l’aventurier sans scrupules, et Evaristo Márquez le chef rebelle. Ce dernier s’improvise en une sorte de Toussaint Louverture, alors qu’il n’est pas formé pour cela et qu’il n’en a pas les ambitions. D’où des flottements et des reniements, quand il s’agit de s’emparer des « outils » de la civilisation. Il sent les choses plus qu’il ne les comprend.

Mais les actes l’emportent sur les états d’âme et donc la rupture entre ces deux fortes tête sera inévitable.

La solution « finale » de Brando consistera à tout brûler (Queimada). Ce qui ne réjouira pas non plus ses commanditaires, qui voient déjà les dix ans qu’il leur faut, pour rendre à nouveau productive la canne à sucre. Sans compter de la pénurie de forces vives, esclaves réels ou économiques, qui ont été massacrés.

Le réalisateur communiste Gillo Pontecorvo nous a donné des films révolutionnaires comme La Bataille d’Alger qui fut interdit en France et Kapò. Ce cinéma d’engagement n’a pas produit d’œuvres « confortables ». Si vous aspirez au repos plan-plan passez votre chemin.

Finalement ce film, avec tous ces morts pourrissants, ces villages brûlés, ces atrocités, est franchement effrayant. Dès le début, il faut s’accrocher avec cette hyperbole mariale, de la femme et ses enfants qui tirent le chariot où gît le mari injustement décapité.

Mais on peut aussi être envoûté par la fascinante beauté de la désolation et de la mort. Ce récit mortifère, bien qu’il pousse à l’extrême les ressorts classiques de l’indignation, touche à l’intemporel. Voilà un travail hybride pour le moins troublant.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Queimada_(film)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Gillo_Pontecorvo

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