Séjour dans les monts Fuchun. Avis. Gu Xiaogang, Qian Youfa, Wang Fengjuan. 7/10

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L’emprise sociéto-familiale est au coeur du sujet. Qu’on la croit bénéfique ou non.

Quatre frères d’âge mûr sont liés étroitement, mais soumis à l’autorité, comme le veut la structure familiale chinoise traditionnelle, de type communautaire, autoritaire, égalitaire et exogame.

Comme la mère des quatre fils est en train de tourner sénile, elle n’a plus de rôle à jouer. Le couple de restaurateurs est devenu le guide du groupe. En effet il comporte l’aîné de fratrie. Celui-ci fait ce qu’il peut pour maintenir à flot son entreprise mais c’est en réalité sa femme qui prend les décisions. Elle est devenue la personnalité dominante de tout le groupe et fait fonction de leader.

Ce système est résumé ainsi dans la pensée de Todd : « Les valeurs de ce type familial sont donc l’autorité (soumission des fils à l’autorité du père) et l’égalité (partage de l’héritage entre les fils). Elles éclairent l’implantation du communisme au XXe siècle »

Cet égalitarisme se traduit par le respect des frères l’un pour l’autre. Ils sont consultés régulièrement ; en particulier pour la garde de la maman dépendante.

Le plus jeune se débrouille mal. Il est dans les petites combines et finit par se couvrir de dettes auprès de la petite mafia locale. Il met ainsi tout le monde dans le pétrin. Les recouvreurs vont exiger que le restaurateur couvre la dette en lieu et place de ce frère qui s’est planqué.

Celui-ci finira par revenir au sein du groupe, malgré le mal qu’il lui a fait. Il semble sorti d’affaire, mais en fait il s’est lancé dans l’organisation de jeux illégaux et se fera faire pincer.

  • On a là un film soumis à la censure chinoise « autoritaire ». Les dirigeants n’ont aucune raison de laisser croire que le crime pourrait être impuni.
  • Gu Xiaogang est un cinéaste d’à peine 31 ans, mais qui a déjà compris comment marcher sur des œufs. Il nous fait là de la « nouvelle, nouvelle objectivité », mais pas trop.

Un autre fils vivote comme pêcheur grâce à la rivière éponyme. Il n’a plus d’épouse et vit pour son fils mongolien. Ce n’est pas de gaîté de coeur. Si sa propre mère ne l’avait pas empêché, il l’aurait jeté à la rivière à sa naissance. Le jeune a 19 ans maintenant, alors qu’on lui prédisait 3 ans de survie, et il est là à tout moment. D’ailleurs on le voit polariser les premières images, celle de l’anniversaire des 70 ans de la douairière.

Le cadet est bonhomme et se laisse convaincre de convoler en juste noce avec une personne qui lui correspond. Il réalise cette trajectoire socialo-affective idéale où il est convenu qu’après un certain temps un homme doit se ranger et fonder une famille. Ce n’est pas juste une convention ou une projection « bourgeoise », mais le respect du commandement implicite de perpétuation de l’espèce dans les conditions qui ont prévalu pendant des siècles, dans le monde de type monogame.

Dans un tel contexte de « judicieux » accouplements, la parole des parents est sacrée. Au cas où l’on désobéirait à leur conseil appuyé du choix de partenaire (l’injonction), le « coupable » est rejeté du groupe par l’autorité. Laquelle considère qu’elle n’a pas de retour sur son investissement éducatif.

Même si ce n’est pas écrit dans le droit, tout le monde doit s’y plier.

  • Cette mise à l’écart était jadis la pire chose qui puisse arriver. Car en privant le sujet des ressources du groupe, il était condamné à la déchéance, à quelques rares exception près.

C’est la cas de la fille du couple de restaurateurs, qui n’existe plus auprès de ses parents, car elle a rejeté une proposition de mariage fortement suggérée par eux. Cette union de familles aurait pu les aider à prospérer ou au moins sortir la tête de l’eau.

La fille est touchée au coeur par cet ostracisme, mais elle tient tête. Mais désormais ce couple d’instituteurs peut vivre de manière autonome et se priver de la bénédiction familiale. C’est l’économie qui permet cette mutation. Plus tard cela s’arrangera.

  • Si le microcosme familial correspond au macrocosme de la Chine, c’est métaphoriquement une dissidente.

J’hésite à le dire, mais il est difficile pour nous Européens de mettre tout en place rapidement dans ce film. Rien que la scène du repas d’anniversaire dans ce grand restaurant peut nous paraître confuse. L’ensemble de la famille est réparti sur différentes tables au milieu des autres clients. Les uns et les autres se lèvent pour apporter des cadeaux et on ne sait pas trop qui est qui.

  • Du coup, je vous prie de m’excuser si je me suis mélangé les pinceaux entre certains protagonistes.

Il doit nous manquer quelques codes et nous n’avons pas cette capacité à discerner les différentes physionomies. Il nous faudra faire des efforts. Comme c’est sans doute le cas pour certains spectateurs asiatiques pour nos longs métrages.

Derrière tout cela, il y a deux courants qui parfois s’opposent, parfois se complètent.

  • D’abord celui du fleuve qui permet à chacun de se ressourcer, en cas de besoin. Ils y nagent, ils y pêchent, ils mettent leurs défunts bien en face. Ce « courant » incarne la tradition et l’héritage.
  • Puis il y a la destruction créatrice. Les immeubles anciens sont remplacés par de nouveaux, avec des expropriations autoritaires. A l’horizon, il y a campus, métro, TGV… Le Parti a une vision large et ne souffre pas la contradiction. Ne comptez pas sur les recours ici. Mais il y a des dédommagements sérieux, ce qui a permis à certains de spéculer en achetant in extremis. Ce « courant » là, se veut le sens de l’histoire, même si souvent (pas ici) il doit détruire à jamais un habitat ancestral. On sent tout en haut de la fièvre, comme si la Chine devait s’éveiller complètement très rapidement, question de vie (domination du monde), ou de mort (retour au dodo).

On est frappé à quel point les histoires de pognon prennent de la place ici: cela correspond à plus de 80 % de l’histoire. Une des filles s’en offusquera directement. Il y a un choc prévisible entre l’égalitarisme niveleur et la compétition qui laisse les petits de côtés, sans états d’âme.

Le jeu et la divination sont des centres d’intérêt bien connus par là bas, et qui ne sont pas si éloignés l’un de l’autre. Dans les deux cas, il faut croire obstinément à sa bonne étoile.

Le bouddhisme apporte son lot de détachement, mais aussi son fatalisme superstitieux. Si nos destinées sont écrites dans le ciel, à quoi bon s’y opposer. Par contre il peut être intéressant de savoir ce qui nous attend à l’avance.

Il y a quelques maladresses.

J’étais tenté de mettre moins de 7/10, mais compte tenu des conditions de travail et de la jeunesse du réalisateur, il faut encourager cette voie prometteuse.

Deux heures trente, c’est sans doute un peu long. Mais la saga familiale peut difficilement être exposée plus rapidement (il aurait fallu sacrifier un ou deux frères pour écourter). Et puis le tournage a duré deux ans ; j’imagine le nombre d’enregistrements.

https://www.herodote.net/I_D_ou_vient_la_diversite_des_systemes_familiaux_-synthese-1998.php

https://www.herodote.net/III_Le_role_des_structures_familiales_dans_le_contenu_des_crises_de_transition_et_des_ideologies_dominantes-synthese-2000.php

https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9jour_dans_les_monts_Fuchun_(film)

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