The Guilty « le coupable » (Den skyldige) (2018) 8.5/10 Möller

Temps de lecture : 6 minutes

Attention titre polysémique, mais cela vous le comprendrez en regardant le film  ! D’ailleurs vous feriez mieux d’aller le voir avant de me lire.

La chaîne Arte justifie à elle seule le redevance, quand elle diffuse des œuvres d’une telle qualité (replay).

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Au Danemark, le 112 est le numéro de la police qui concentre les appels à l’aide de toutes sortes.

Ces coups de fils désespérés ne sont pas du gâteau. Il y a de tout. Des drogués incohérents qui sont dans un état critique. Des cyclistes bourrés qui sont mal tombés. Des mecs en goguette qui ont été dévalisés par une prostituée. Sans compter les fantaisistes…

C’est un travail redoutable que de décrypter ces S.O.S., puis de les hiérarchiser. Le système danois a mis des moyens conséquents sur la table. Ces nordistes peuvent compter sur une informatique de pointe, des fonctionnaires intelligents et dévoués, et un réseau sur le terrain suffisant et d’une belle réactivité.

  • Son efficacité a de quoi nous faire rêver, nous les petits français, en tout cas ceux qui se sont confrontés à la réalité du système. Mais nombre d’entre nous sont encore bercés d’illusions, dans notre déclin à peine masqué.

Un policier de terrain s’est mis en fâcheuse posture. On l’apprendra sur le tard, il a tué un délinquant et ce n’était pas vraiment en légitime défense. Demain aura lieu le procès. Il a suborné un collègue pour donner une version plus acceptable. Il espère s’en sortir ainsi.

En attendant il a été relégué à ce poste téléphonique au central, à distance du public. Ici il ne peut pas faire de mal.

Ce gars futé est bien entendu à bout de nerf et très mal dans sa peau. Pourtant il tente de faire bonne figure. L’excellent acteur Jakob Cedergren réalise là un rôle d’anthologie. On est loin des simagrées qui valent des Oscars. C’est bien plus élevé que cela.

Quasiment tout le film se passe dans ce lieu clos. Plus de 95 % repose sur ce seul acteur et ses interactions au téléphone, strictement que cela. Moins de 5 % concerne ses échanges avec ses collègues. L’ambiance est laborieuse.

Toute l’action qui se passe à l’extérieur doit être devinée. C’est un pari fou.

Pari incroyablement réussi grâce à une interprétation magistrale, un séquençage et une réalisation hors pair. On peut même y rajouter un doublage en français qui respecte les intentions des auteurs et des interprètes.

A travers le filtre exclusif du combiné, nous participons à la recréation très virtuelle d’une réalité. Et l’humain, débarrassé d’images conjoncturelles, est mis à nu. Le film retrouve les vertus du livre et de son potentiel d’imagination.

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Venons-en à l’intrigue centrale. Les gars sont fatigués, c’est bientôt la relève. Une femme appelle. Ses propos sont hachés et peu compréhensibles. Elle est manifestement hors d’elle et terrorisée.

Notre policier est surpris qu’elle s’adresse à lui avec des « ma chérie ». Il se ressaisit et comprend vite que l’interlocutrice feint d’appeler sa petite fille, mais a numéroté le 112. Elle est manifestement sous la coupe d’un homme près d’elle. Il conduit et donc ne peut pas tout contrôler. Elle bernerait ainsi un ravisseur, qui lui aurait fait cette seule concession.

Le flic entame une série de questions où elle pourra répondre par de très neutres oui ou non, sans être démasquée. Il en résulte que la femme serait kidnappée et véhiculée dans une camionnette blanche.

Par tout un système, et des coups de fils bien orientés, le limier arrivera à découvrir son identité et celle de son « agresseur ».

Ces « devinettes » finissent par montrer que c’est son ancien mari qui conduit le véhicule, qu’il se dirige vers le nord, et que les enfants ont été laissés seuls à la maison… Le gars a un passé violent. Il a fait de la prison. Il n’a sans doute pas accepté la séparation et de ne pas avoir plus la garde des enfants. C’est classique. La situation est critique.

L’enquêteur momentanément sur la touche en raison de la procédure contre lui, et qui a saisi l’urgence de la situation, voudrait bien prendre la direction des investigations. C’est son job d’avant. Il pense avoir les idées claires ; il y a indiscutablement une extrême urgence. Depuis sa « tour de contrôle », il a pu « cuisiner » habilement la toute petite gamine. Il lui promet qu’elle reverra sa mère. Il veut qu’on intervienne en allant chez les gosses mais aussi chez le suspect.

Une équipe, officielle cette fois, se rend chez ces très jeunes enfants, livrés à leur sort. Et elle va découvrir une sinistre réalité.

Mais sa hiérarchie ne peut accepter son constant interventionnisme. Accéder à sa demande en perquisitionnant le domicile de l’ex-conjoint, sans mandat, est hors de question. L’efficacité globale des services dépend beaucoup de la bonne répartition des attributions et du respect de la légalité. Il n’y a pas d’exceptions.

Sa place consiste à répondre au téléphone, point barre. Il n’est plus d’active présentement. Il doit se soumettre.

Sentant la situation critique, il n’entend pas ne rien faire. Il dirige en douce un collègue ; qui est aussi son alibi et faux témoin dans sa propre affaire. Celui se rend à la maison du « méchant » pour trouver des indices. Il s’agit de comprendre la destination finale ; fatale ?

En continuant à rompre les règles, il arrive à établir un semblant de contact, très fugace, avec le mari. Et tout à nouveau semble s’écrouler. Les brimborions d’éléments se délitent. Ce qui permettrait de contrarier le sort, se révèle insuffisant. Il s’acharne, cent fois sur le métier… Il rétablit une communication minimale avec l’un ou l’autre. L’angoisse aidant, cela devient un peu désordonné. Tout menace de se déliter, or il y a urgence. Peut-être que son implication de flic est trop forte. Les échanges sont compromis. Il s’énerve. Je vous défie de ne pas être pris dans cette spirale à votre tour et de ne pas être tétanisés à votre tour.

La caméra travaille de manière extraordinaire, en pleine symbiose avec le jeu sobre et puissant de l’acteur. On voit clairement que le personnage est aux limites, que le stress est redoutable, et qu’un rien peut tout faire basculer.

Les gros plans, qui mettent en relief ce qui se passe en dedans, arrivent à point nommé. S’il le faut, l’objectif devient incertain.

Les coups mentaux portés à l’enquêteur, au fur et à mesure qu’il pense comprendre la situation, nous sont assenés à nous aussi.

Et dans les silences qui suivent, on communie avec lui. On reprend notre respiration comme lui, à peine, en partageant largement ses impressions et ses craintes.

Je ne rentre pas dans les détails. Les auteurs ont énormément travaillé le scénario et ce serait une profonde injustice de tout dévoiler.

Sachez juste que ce film est profondément humain et subtile. Il en devient même bouleversant. Et pourtant, croyez moi, il ne verse pas dans le pathos habituel. Au contraire il retient savamment les chevaux. Surtout avec ce parti pris, de ne strictement rien montrer.

On est clairement pris soi-même par l’angoisse du principal protagoniste. On voudrait comme lui, avancer et sauver cette femme. Quitte à prendre certains risques. Comment faire autrement avec une telle situation ?

Au bout d’un moment, on finit par croire dur comme fer à certaines « évidences ».

Alors que rappelez-vous nous sommes dans une devinette et jamais devant des faits attestés ou tout au moins visibles. C’est vraiment troublant au possible !

  • Siménon avait osé quelque chose dans le genre avec cette enquête d’un Maigret restant à la PJ, une urgence sur le terrain, et la résolution d’une énigme à distance dépendant grandement de coups de téléphone, d’enfant et d’une itinérance : Maigret et les sept petites croix.

Le téléphone n’est pas que l’instrument de la « révélation » policière, c’est aussi un portable perso qui nous donne à voir, par petites touches précises, la situation personnelle du « héros ». Incidemment, par exemple, on apprend que sa femme l’a quitté. Il le dit alors que son copain est déjà en train de raccrocher.

Le dernier plan, fort énigmatique, nous le montre en train de s’éloigner en composant un numéro privé. A qui peut-il bien s’adresser ? Ou en d’autres termes, que lui reste-t-il ? Voilà à nouveau du non-dit de grande classe.

Ce film est réellement en chef-d’œuvre. Il a tout pour lui. Il transpire l’intelligence et le finesse à tous les niveaux, que ce soit pour la réalisation, la prise de vue, le montage, l’interprétation ou plutôt l’incarnation, la psychologie, le choix du sujet, l’inspiration, l’exploration de nouveaux chemins, la crédibilité, la surprise…

Et en tant que professionnel, je peux rajouter que même la pathologie est montrée de manière soignée.

Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître. Premier film pour notre futur Mozart du cinéma, Gustav Möller.

Nos critiques locaux, pusillanimes et panurgistes, n’en ont pas beaucoup parlé. Ils attendent sans doute qu’un certain consensus soit là pour oser valider la moindre parcelle de génie. Ils sont plus prompts à trouver quand même quelque chose à un pauvre nanar français. Pauvre pays !

Et vous qu’attendez-vous pour vous lever ? Standing ovation !

https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Guilty

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