The Lighthouse (2019) 7/10

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The Lighthouse (2019) 7/10 pour les gens raisonnables et 8/10 pour les plus fous d’entre nous.

Nous avons là un scénario assez simple en apparence. Vers la fin du 19ème siècle, deux hommes marqués par la vie, qui ne se connaissent pas, sont chargés d’assurer une relève de 4 semaines, dans un phare perdu, sur un îlot froid et désolé. Ces échoués de la vie vont s’entre-déchirer dans un sinistre huis clos qui va durer bien plus longtemps que prévu.

Pourtant, si on n’y prend garde, ce film aquatique et glissant, nous file entre les doigts. Après tout, dans ce qui va suivre, de par le traitement du sujet, ce ne sont que des points de vue subjectifs et passifs, ou que l’un cherche à imposer à l’autre.

Et donc chaque plan est sujet à l’interprétation. On peut s’y perdre, nous tout autant que les personnages in situ.

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D’emblée, le spectateur se trouve enfermé lui-même. C’est du au format inhabituellement carré de la projection. Voilà un cadre véritablement étriqué et suffoquant. Et jamais le champ ne s’élargit.

Ensuite, ce noir et blanc est cru. Il est là surtout pour détruire les nuances et pour nous priver de toute couleur d’espérance. Cela concoure à l’âpreté des lieux et des personnes et c’est bien évidemment voulu ainsi.

Et quand il est artistique, c’est juste pour nous montrer les gueules douloureuses.

La violence est omniprésente. Soit elle est sourde, comme dans cet affreux chemin de croix suivi en silence par le plus jeune. Soit elle fait du bruit, comme pour les phrases cinglantes du vieux qui veut affirmer sa domination absolue.

Et si cela ne suffit pas, il y a la tempête, la rugosité de ce caillou qui inflige des blessures, les chutes, les plaies et tout ce cortège de mots blessants, de menaces. Cette déferlante qui grossit chaque fois un peu plus, précède la franche rupture des digues de la civilité. Et pour finir ce sera coup de pioche sur un corps, tête utilisée comme appât pour poisson, ou corps dévoré par les oiseaux…

C’est donc un film fétide et qui fait mal.

Doit-on parler de psychologie ou de psycho-pathologie ?

Il y a d’un côté le sadisme de ce marin dominateur, incarné remarquablement par un Willem Dafoe buriné et barbu. Pour asseoir son pouvoir sur le novice, il ne respecte aucune limite, bien qu’il se donne la bonne conscience de la noble tache à accomplir. Cela n’a rien d’un bizutage. C’est une escalade gratuite dont la logique extrême tend vers l’absurde. Elle est servie par une intransigeance paranoïaque, avec toute l’analité qui va avec : claire volonté d’humiliation avec ce transport d’étrons, exigence de propreté absolue, incessantes menaces de « retenues » de salaire…

De l’autre côté, il y a la soumission douloureuse de l’impétrant trentenaire. Il répétera inlassablement les pires corvées. Il ira jusqu’à se mettre à genou.

Et quand il se révoltera, il tentera à son tour d’humilier le plus possible. Un rôle trouble bien interprété par Robert Pattinson. Il baladera l’autre en laisse, comme un chien se déplaçant à 4 pattes. Il l’enterrera vivant… Et le pire c’est qu’on s’en accommode !

Qu’est ce qui nous retient de nous en aller ? On peut être tout simplement masochiste et apprécier ce qui n’est pour nous qu’une douleur exquise. Ou bien on peut être gagné par l’esprit de révolte et de vengeance que donne ce sentiment de profonde injustice.

Il y a plusieurs vérités.

Celle du redoutable chef qui considère l’autre comme un dissimulateur, un flemmard et un incapable. Mais finalement on ne sait pas trop ce qu’il pense vraiment et ce que nous devons en penser. Il veut sans doute surtout détruire ce beau jeune homme, qui lui a encore des espoirs et la vie devant lui. Et puis il y a cette influence de l’alcool et l’alcoolisme.

Et même si le livre de bord tend à conforter son jugement excessivement sévère sur l’apprenti. On croit comprendre que dans sa descente en flamme de l’autre, il s’abandonne avant tout au plaisir de ses penchants destructeurs et/ou à sa propre perdition. Dans ses provocations, il s’étonne ouvertement que l’autre ne le tue pas.

Le débutant a un passé trouble, qu’il révèle par inadvertance à l’ancien. Lequel a désormais une arme de plus contre lui. Mais le nouveau est fondamentalement observateur des règles. Bien que fortement blessé par toutes ces attaques, il ne fait pas de vague. Il n’est là que pour l’argent. Une somme qui lui permettrait de poursuivre son rêve de construire une maison. Alors que l’autre est vissé à sa fonction, lui n’est que de passage.

Mais au fond, on n’est sûr de rien. Et donc on a du mal à choisir son camp.

La sexualité est bien présente chez ces hommes. Le vieux a des orgasmes d’une rare intensité en se masturbant à quelques décimètres de l’incandescence du phare. Il en devient jaloux et interdit l’accès à l’autre.

Le jeune fait de même dans la maison et il alimente ses fantasmes avec une statuette de sirène. Le réalisateur nous écrabouille avec la vision d’une femme poisson pleine de désirs, mais avec une répugnante vulve géante et mollusciforme.

La mort nauséabonde rode partout. Une musique malsaine l’accompagne. Et c’est la pourriture qui gagne à la fin.

Aussi curieux que cela paraisse, j’ose dire que cette réalisation du jeune Robert Eggers, qui tend au délire et à l’horreur, possède un certain réalisme. Cette hyperbole montre les êtres humains à leurs limites. Ce n’est pas beau à voir, mais c’est comme cela.

Après avoir écrit ces lignes, je suis tombé sur un article qui prétend que c’est inspiré de faits réels, ce qui ne m’étonne pas. Et donc ce n’est pas un film d’horreur comme on le prétend trop légèrement ici ou là, mais un biopic romancé, qu’on pourrait dire du genre survival, si on veut vraiment le cataloguer.

https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Lighthouse_(film)

Willem Dafoe
Robert Pattinson

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