The spacewalker (Время Первых = Le Temps des premiers) (2017) 7/10

Temps de lecture : 6 minutes

Le bloc soviétique d’après-guerre avait les yeux rivés sur l’Occident. Il ne fallait pas céder de terrain, au propre comme au figuré.

A l’époque du spacewalker, l’URSS était en train de décrocher. Beaucoup de technologies étaient en retard, et les pâles imitations ne valaient pas les originaux.

Pour ne pas désespérer les camarades de tous les pays, à qui on a fait le coup de la merveilleuse modernité du communisme, il fallait un coup d’éclat.

Les soviétiques ont pris des risques inouïs pour être les premiers à faire une sortie spatiale. Rien n’était vraiment prêt. Ils ont quand même osé … et ils ont réussi. Ce fut le chant du cygne.

Plus tard les Américains vexés ont redoublé d’effort. Et grâce à leur technologie plus avancée, ils seront désormais de plus en plus loin devant.

C’est tout le problème de l’imitation (*). On a forcément toujours un temps de retard.

Ce film est aussi une imitation. Ce long métrage grand spectacle a tout ce qui fait la recette d’un blockbuster US (cf Les règles élémentaires pour l’écriture d’un scénario de Blake Snyder)… et ce n’est pas s’en rappeler Apollo 13.

Je développe ici les 15 règles de Snyder.

1. Opening Image. On sait dès le départ l’ambiance qui domine. Ici c’est une métaphore de l’enfant et les étoiles. Clairement ce gosse a un destin. Il marchera dans les cieux. Mais aussi, il saura trouver des solutions par lui-même (œufs et mère oiseau). Tout le récit va le prouver. Snyder nous dit que l’Image initiale est souvent le miroir de l’Image finale. Et avec cet allégorie, c’est tout à fait exact.

2. Theme Stated. On expose la thématique de la conquête spatiale avec son état des lieux et ses enjeux majeurs. Obligation de réussir.

3. Set-up and theme stated. Chaque caractère, son monde et ses lieux principaux sont exposés. On met ces pivots dans nos têtes. Pavel Beliaïev et Alexeï Leonov est le binôme cosmonaute qui sera élu. Et comme il se doit, pour l’instant tout ne va pas très fort. C’est le monde d’avant. Et puis le passé est lourd pour Leonov et ses ascendants. Il faudra forcément une revanche sociale. Il ne sait pas forcément où il va, mais il sait qu’il doit y aller. C’est son destin. Sergueï Korolev lui est le grand patron du programme spatial. Il a pour ainsi dire droit de vie et de mort sur ces troupes. Il joue l’arbitre.

4. Catalyst. Il faut que cela démarre maintenant. Ils sont donc appelés à la rescousse par Korolev qui sent qu’on a besoin de ces véritables gladiateurs prêts à mourir. Il y a urgence car les Américains vont tenter la sortie bientôt.

5. Debate. Questionnement sur le héros Leonov et son acolyte. Les protagonistes eux-mêmes, peuvent avoir des états d’âme. Et puis les chances de réussite sont minces. Ils ont des doutes mais qui ne devraient pas résister pas face à leur foi dans la mère patrie… et leur destin personnel. L’encadrement hésite aussi, Leonov a échoué à certains tests. La première étape Voskhod 2 a été un échec. L’un est blessé etc.

6. Break into two (choix du deuxième acte). Bien entendu nos braves vont prendre les devants et précipiter l’action, qui ne semble alors que reposer sur la conviction des ces deux là. La force de la volonté. Sans ce choix décisif tout ce qui précède n’aurait pas de sens. D’où ce parfum tenace que tout est plié depuis le début.

7. B story. En arrière plan, dans le cadre précité, il y a les femmes qui craignent pour leur mari. On va intercaler des plans mettant en scène leur angoisse et finalement leur acceptation du bout des lèvres. Les enfants jouent un rôle transversal. Il y a aussi Leonov enfant qui semble connaître l’avenir, qui par les épreuves qu’il subit fait écho au caractère trempé et entreprenant de l’adulte. On nous racontera sa détermination à aller à l’école les pieds nus dans la neige. On peut peut-être ajouter aux gêneurs, ce haut gradé militaire qui contredit les initiatives trop « humaines » de Korolev aux niveaux des contrôles terrestres. Mais cela tient plutôt d’une C story.

8. Fun & Games. Un peu de détente est nécessaire dans ce lourd climat. Plusieurs anecdotes vont nous dérider. La mission commence bien. Tout est si beau là haut. Ils sont confiants et joyeux.

9. Midpoint. Et si tout cela n’était qu’une « fausse victoire » ? C’est le point de bascule. A partir de là va démarrer un crescendo de problèmes. Une spirale angoissante dont il semble impossible de se sortir. Le méchant ce n’est pas ici une personne mais cette capsule récalcitrante qui leur fait tant de misère. Dans l’espace il n’y a pas de bad guy stricto sensu, pour faire le contrepoint. Snyder parle avec justesse du démarrage d’une “ticking time clock”. C’est l’angoissant compte à rebours avec une insistance à dériver toutes les solutions aux problèmes à la dernière seconde. Ce « timing » est totalement artificiel et n’a pour but que de nous faire battre le coeur plus vite, tout en évitant qu’on réfléchisse trop aux improbabilités.

10. Bad Guys Close in. Les ennuis en cascade. De pire en pire. On croit le spacewalker perdu. Il n’arrive pas à rentrer dans le sas. Il va mourir c’est sûr. On nous joue le chrono… et à la dernière seconde bien entendu il est sauvé. Mais d’autres problèmes arrivent les uns après les autres, avec toujours le même jeu avec nos nerfs. Fuite de gaz compensée par un excès d’oxygène menant à un quasi coma. Tout est perdu, ils n’ont plus le contrôle. Une milliseconde de lucidité fera que quelques temps après il débranche la sonde fatale. C’est totalement téléphoné et improbable dans les termes choisis.

11. All is Lost. La capsule arrive quand même sur terre avec plusieurs autres suspenses. Mais ils sont au milieu de nul part. Il fait moins 35 degrés, la radio ne fonctionne pas. Cette fois c’est clair « all is lost ». Ils ont perdu. Pour une fois l’espoir disparaît même pour le plus fort caractère. Mais non, fallait pas c’est peut être une fausse dernière défaite.

12. Dark Night of the Soul. « mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonné, et t’éloignes-tu sans me secourir, sans écouter mes plaintes ? ». Le chrono leur alloue quelques minutes supplémentaires avant de mourir. Avec ce maigre butin ils devront sortir de l’Enfer et triompher du mal(chance). Si on additionne toutes ces improbabilités successives on obtient un score rarement atteint. Mais l’émotion l’emporte sur la raison.

13. Break intro three. Nous on leur crie : « mais bougez-vous donc, dans ce genre de film, rien n’est jamais perdu ». Ils vont avoir la solution. Un peu de Morse, une fusée de détresse astucieusement conservée. Et bien entendu ils seront sauvés in extremis.

14. Finale. Nos héros viennent à bout du mauvais sort. Il sont près pour une communion glorieuse. Même celui qu’on croyait mort… bouge encore un peu. Petite larme du spectateur (indulgent).

15. Final Image. L’émotion est à son comble. Les héros sont désormais des initiés qui ont franchi toutes les épreuves avec succès. Ils ont la reconnaissance des leurs. Ils ont changé. Leonov lui a accompli sa destinée (cf image de l’enfant aux étoiles du début)

16. Je serais tenté de rajouté un chapitre 16 avec le générique final qui me semble avoir une grande importance. Le final était en quelque sorte éjaculatoire (ou cathartique si vous préférez). La musique d’après, alors que défilent les noms que personne ne lit, est apaisante et doit résonner en nous comme un hymne à la paix. Les gens restent assis un moment. Ils se sentent meilleurs avec ce sentiment de partage d’émotions. Et alors que les films US se terminent généralement par une musique que les Américains connaissent et qui leur fait du bien.. eh bien les Russes vont faire de même avec leur folklore à eux. C’est rigolo.

https://chsenglishap4.weebly.com/uploads/2/2/5/7/2257880/blakesnyderbeatsheet-explained.pdf

Curieusement il est mis en avertissement final que tous les personnages de ce biopic (avec les noms réels des personnages, avec Leonov lui-même comme conseiller du film) sont fictifs !

Alors que reste-t-il ?

– Un long métrage très bien filmé et agréable esthétiquement parlant. A nouveau on sent un gros potentiel chez nos Russes. Ils ne vont pas tarder avec tellement de talents de faire des films vraiment innovants. En tout cas c’est tout le mal que je leur souhaite.

– Un récit, certes romancé, d’un épisode de la conquête spatiale que l’on connaissait peu à l’Ouest.

– Mais aussi une saga qui parle de la merveilleuse folie exploratoire des hommes. Une tendance qui nous fait avancer plus qu’elle nous perd. Mais dans notre monde de principe de précaution, avons-nous encore le goût et les moyens du risque ?

Et donc ces 150 minutes bien orchestrées, méritent le détour.

Ce film avec des ressorts patriotiques, a beaucoup plu en Russie.

  • (*) En matière d’avancée technique soviétique, la copie approximative était la règle. Ils ont été jusqu’à faire un faux Concorde.
  • Il y a eu quand même de l’innovation. La piteuse Trabant était fabriquée en Duroplast. Pas pour éviter le gaspillage des ressources mais par logique de pénurie d’acier. Son style imite servilement plusieurs modèles européens en réduit, dont la Peugeot 404.

La technologie était quand même à la traîne. Quand il s’agissait de faire de rustiques kalachnikovs, cela allait. On faisait du simple et solide à bas prix. Une bonne recette dans le domaine de l’armement quantitatif. Et puis le marché de la Libération des peuples opprimés, était passablement captif. Il y avait de quoi produire !

Une informatique de pointe est indispensable si l’on veut rester dans la course de l’arme nucléaire, de l’armée dans ses autres composantes et de la conquête spatiale. Une grande partie a alors été complètement pompée sur IBM (dont IBM/360).

Bien sûr, je force le trait. Tout n’est pas si caricatural, mais la lame de fond demeure.

Les retards n’ont jamais été rattrapés et l’Empire a fini par s’effondrer de l’intérieur.

Blockuster pas cher – 7.000.000 de dollars (mais c’est financé en roubles)

https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Spacewalker

Source : version française (VF) d’après le carton de doublage

Envoi
User Review
0 (0 votes)

Laisser un commentaire