Une affaire de famille (万引き家族 « La famille des vols à l’étalage ») (2018) 8/10

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Il y a des films dont on se demande s’ils n’ont pas été spécialement conçus pour tenter d’avoir la Palme d’or à Cannes. Le metteur en scène Hirokazu Kore-eda, qui n’en était pas à son premier séjour dans les Alpes-Maritimes, semble avoir bien compris cette mécanique là. Il a donc obtenu cette récompense, sur ce « coup » non dénué de finesse.

Ce texte à été divisé en deux parties :

Résumé. Kore-eda. Une affaire de famille « vols à l’étalage » (2018) 8/10 Aperçu

Avis. Une affaire de famille. Kore-eda. Film « vols à l’étalage »(2018) 8/10

Pas que ce film japonais soit mauvais, mais plutôt parce que le pathos, savamment développé, semble avoir été travaillé dans un sens qui taquine habilement les (mauvaises) consciences occidentales.

D’ailleurs ce modus operandi est-il réellement japonais ? On pencherait plutôt pour une résurgence nippone du néo-réalisme italien, bien des décennies après la grande déflagration cinématographique.

A ceci près que le rude propos est ici mâtiné d’une bien jolie tendresse, avec ce charme enfantin indéfinissable qui recouvre toutes choses, comme dans les dessins animés du regretté grand maitre Miyazaki.

C’est une œuvre indiscutablement intéressante, que l’on peut prendre comme cela au premier degré, en se laissant guider par les différents « feelings », tel que l’amour, l’indignation…

Mais cela ne gâche rien de garder aussi sa lucidité et d’avoir conscience des rouages bien huilés de cette machinerie.

D’ailleurs les personnages du film eux-mêmes passent par ces deux états, dans un sens puis dans l’autre. Acceptation amoureuse aveugle ou réalité désenchantée et vice-versa.

On avance ici par petites touches, et ce qui nous paraît des certitudes peut se révéler discutable quelques plans plus tard. Et les coupables c’est nous, qui allons trop vite dans nos a priori. Bien sûr, pour nous égarer juste ce qu’il faut, il y a nécessairement un marionnettiste doué là derrière.

– – –

Ici une fillette maltraitée a été laissée sur un balcon du rez de chaussée, en plein hiver, dans un quartier peu sympathique de Tokyo. Deux membres d’une famille de petits brigands passent par là. Ils sont sympathiques. N’écoutant que leur coeur, ils l’embarquent chez eux. Déjà pour qu’elle échappe au froid. C’est prévu pour une nuit au départ.

Ceux qui vont l’héberger forment un clan soudé de voleurs à la petite semaine et/ou d’employés peu consciencieux. Il y a même une travailleuse de peep-show. Ils vivent sous le même toit. Et si ces enfants « sauvés » n’étaient qu’une main d’œuvre opportune ?

Mais avant de penser à mal, il faut considérer qu’il s’agit d’une grande tribu joyeuse et aimante, malgré leur précarité.

Une sympathique grand-mère touche une petite rente, venant d’on ne sait où, mais la dilapide dans des jeux. C’est elle qui met à disposition la maison.

Un père flemmard, qui travaille de temps en temps sur des chantiers, préfère se porter malade et voler ici ou là.

Il a initié son jeune fils « adoptif » au vol à l’étalage. Ce gosse au beau regard est doué. Les deux « partenaire s » bossent en binôme guetteur-voleur, ce qui optimise leur maigre rapine. Ils volent pour leurs besoins quotidiens : nourriture, shampoing et d’autres petites choses.

Une mère est une ouvrière dans une blanchisserie. Elle fait les poches des vêtements de clients oublieux.

La fille montre ses seins et le reste à des excités qui s’astiquent, cachés derrière une vitre sans tain. Exploiter ses poils pubiens, à 100 francs le kilo, c’est du bon boulot pour nourrir les gosses.

Que ce beau monde soient les vrais vertueux ne peut que plaire sur le Croisette. En tout cas pour ceux, les plus nombreux, qui en sont encore à l’esprit libertaire et pseudo-affranchi des années 60.

Les parents légitimes de la petite ont fini par avertir la police. L’affaire est assimilée à un kidnapping et passe même à la télé. Malgré cela les « gentils » ne veulent pas restituer cette gamine couverte de bleus et de brûlures. Ils finissent par avoir un lien fusionnel avec cette petite qui pisse encore au lit.

Le père d’emprunt et le fils formeront même un trio de voleurs avec le petit bout de choux.

On se doute bien que ces vols foncièrement amateurs, toujours dans le même quartier, sans doute dans les mêmes magasins, vont mal finir.

Et bien entendu l’histoire se complique et bouscule cet arrière plan d’anti-morale attendrie.

Les intentions des uns et des autres vont se clarifier. Personne n’est en fait vraiment de la même famille. Et il y a sans doute des arrières pensées.

Sentant que quelque chose cloche, après qu’on ait enterré la grand-mère dans le salon, le jeune voleur sera ébranlé. Déjà que l’argument qu’en volant dans un magasin on ne vole personne, ne tient plus puisque désormais on vole aussi dans les voitures des particuliers. Conscient qu’il va dans le mur, il se fera prendre volontairement. Et tout sera découvert, ce qui fera exploser cette apparente cohésion. Des réalités plus sournoises vont réapparaître.

La police remettra les choses en place. Nos bienheureux marginaux, petits et grands, vont devoir sortir de ce si curieux jardin d’éden.

Mais ce monde commun, qu’on leur demande de réintégrer, est-il vraiment plus favorable que le monde de substitution, dans lequel ils se sont trouvés si agréablement rassemblés, pendant cette parenthèse enchantée ?

– Pour l’amour para-familial qu’ils ont pu ressentir, c’est loin d’être sûr. C’était mieux pendant la délinquance.

– Pour la raison pure, il est clair que d’enfin aller à la vraie école, pas celle de la rue, ne peut être que bénéfique. Et cela est vrai pour tout ce qui met un terme aux activités illégales.

– Mais pour les romantiques que nous sommes parfois, les borderlines incertaines ont plus d’attraits que le centre consensuel.

Retour, parfois brutal, à la réalité.

Le « fils » saura qu’il a été littéralement subtilisé par son pseudo-père, dans une voiture, sur un parking. Il sera ébranlé d’apprendre aussi, que lors de la tourmente policière, il a failli être abandonné pour de vrai cette fois, par le même.

Ce protecteur qui lui a appris à voler, voudra se punir de tout cela en décrétant qu’il n’est plus désormais « son père », mais son oncle. Rupture déchirante.

Une scène très forte montrera la fillette en danger chez sa vraie mère, à nouveau. On se saura pas vraiment jusqu’à où cela pourrait aller. C’est un remarquable exercice d’insinuation contrôlée.

Et donc à nouveau une balle dans chaque camp, celui des bonnes mœurs et celui des bons sauvages.

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J’imagine le prestigieux jury en train de verser plus d’une larme dans la Méditerranée. Qui n’aurait pas d’empathie pour cette pauvrette battue voire pour ces damnés de la terre « réduits à voler » (sur l’air de « c’est la faute de la société ») ?

Aucune maman, normalement constituée, ne peut voir ce puissant « sans famille » sans craquer. Et c’est justement une d’entre elles, Cate Blanchett, qui a été présidente du jury.

De plus, il y a l’argument de nous permettre de découvrir une prétendue face cachée du Japon « qui n’est pas aussi lisse qu’on le croit ». Un autre traquenard bien véniel.

Ce serait donc considéré comme inhumain de ne pas faire sa B.A. en décernant la Palme. On voit bien le piège, autant « exotique » que « sociétal », qu’on leur a tendu et dans lequel ils se sont précipités. Mais j’avoue que j’ai aimé aussi me laisser prendre.

Il est vrai que ce coup monté émotionnel est cousu de fil blanc, mais cela n’empêche pas un déroulé souvent captivant. Et finalement ce n’était qu’une parabole ?

Le réalisateur Hirokazu Kore-eda connaît bien son boulot, ce qui permet une habile restitution des atmosphères et des caractères. Et ceci est d’autant plus un exploit que l’action tient le plus souvent dans à peine quelques mètres carrés.

Bien que cela ne soit pas un chef d’œuvre absolu, cela se regarde bien. Le réalisateur maîtrise l’art du récit. Et le bonheur se cache ici dans ces tous petits riens, tels qui nous sont servis par ces acteurs de tous les âges, qui savent si bien se montrer authentiques. Grâce à ces talents là, une simple scène de famille heureuse en bord de mer, nous réjouit sincèrement. On pourrait dire que c’est magique, mais en réalité c’est le fruit d’une immense travail, et une opération qu’on ne peut se permettre que quand on a de sérieux bagages. Allez va, moi le pinailleur sceptique, je m’incline, cette Palme d’or est méritée.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Une_affaire_de_famille_(film,_2018)

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