Une femme douce (2017) 7.5/10 Sergei Loznitsa

Temps de lecture : 4 minutes

(Кроткая)

Une création russophone. Mais une coproduction européenne, de l’est comme de l’ouest. Le réalisateur Sergei Loznitsa est ukrainien.

Un film incroyablement dur et étouffant, mais qui n’en est pas moins intéressant.

Un scénario original par son obstination, sans doute caricatural aussi, mais qui reste assez prenant, pendant ces deux heures vingt.

L’héroïne est presque une figurante de son propre destin. Le visage de l’actrice Vasilina Makovceva est perpétuellement triste et anxieux. Telle une mater dolorosa réfugiée dans sa peine, elle ne dit guère plus de trois mots. Elle n’est pas sympathique.

Au départ, elle vit dans une maison délabrée, avec comme seul compagnon, son gentil chien.

Dans cette Russie pauvre et provinciale, la vie est dure. On peut parler de survie. Chacun pour soi. Tout le monde se plaint de tout le monde. La plupart de ces gens dans la détresse, se réfugient dans l’alcool.

Son mari séjourne dans une lointaine prison russe, pour meurtre.

Travailleuse occasionnelle dans une station service minable, elle lui envoie régulièrement ce qu’elle peut.

Et là, sans qu’on lui fournisse de raison, son dernier colis lui a été retourné. C’est le point central de l’histoire. La seule chose vraiment objective. Un teasing complet. Comment se peut-il qu’il n’y ait pas d’explication ? Cela va nous titiller tout au long du film.

Et à partir de là, elle serre les dents et se garde bien de penser. Pas question de sombrer, en s’imaginant toutes les mauvaises choses qui ont pu arriver à son pauvre mari.

L’administration des postes ne se sent pas concernée. Porte close à tous les niveaux. La prison n’a pas bonne presse. C’est un monde où la pitié n’existe pas. Personne n’a envie de lui faire de cadeau.

Elle prend la décision d’aller voir ce qui se passe sur place. C’est un long chemin semé d’embûches.

Là bas dans cette sorte de village frontière, tout est à l’abandon. Les murs sont lépreux. Il y a des carcasses de bagnoles ici et là. Ça pue. C’est triste à pleurer.

Elle découvre rapidement un univers interlope, désespérant et obscur, qui gravite autour et au seuil, de l’établissement pénitentiaire. C’est l’exploitation sordide de la détresse et de la misère. Il y a un peu d’argent à se faire.

  • Inutile de nous rappeler qu’à l’intérieur, c’est déjà l’enfer. D’ailleurs la camera n’ira jamais jusque là.

Les nouveaux arrivants qui cherchent à approcher leur proche prisonnier, sont manipulés par des combinards professionnels. De vieilles rabatteuses qui repèrent ceux qui sont à la dérive. Des petits maquereaux qui détournent les femmes perdues et désargentées. Des sadiques. Des gangs plus ou moins organisés. Des flics corrompus. Mais aussi une foule d’alcooliques dans de minables appartements, avec des bagarres incessantes.

Un vrai cloaque. Cela grouille de saloperies en tout genre. Et curieusement cette « organisation » parallèle reste crédible. C’est sans doute le « génie » humain de s’accommoder de tout et du pire. On a vu cela dans les camps, et sincèrement on n’en est pas loin.

La « femme douce », va se heurter rapidement à ce monde administratif kafkaïen. Elle tente encore et encore de faire passer son fameux colis, son seul espoir de percer de l’inquiétant mystère. Malgré des heures d’attente, rien n’y fait.

Tout est fouillé sans ménagement. Elle, comme le paquet. Il n’y a plus aucune dignité possible. Elle se heurte constamment au règlement.

Les demandeurs comme elle, entassés les uns contre les autres, attendent plus ou moins patiemment leur tour. La tension est énorme. Les anciens réprimandent les nouveaux. Un équilibre malsain règne dans ces masses en attente. Et quand on lui refuse encore et encore son colis, elle n’a plus guère de recours.

Cette « innocente » finit par se mettre à dos les autorités. Des policiers sans scrupules se chargeront de l’intimider. Une sale violence est omniprésente. Mais elle n’a rien à perdre. Elle s’obstine.

Elle a vent d’une permanence de quelques courageux organisés, qui cherchent à promouvoir les droits de l’homme. Mais leur bureau est constamment saccagé, les vitres brisés. Quand ils sortent, ils sont conspués. On écrit sur les murs que ce sont des traîtres à la solde des USA. Elle y dépose sa plainte. Mais même la directrice la prévient que c’est dangereux et que désormais elle sera elle aussi dans le collimateur des autorités.

N’ayant plus d’endroit où aller, elle se réfugie comme tant d’autres personnes perdues, à la gare pour tenter d’y dormir. Il n’y a là que des naufragés de la vie. Des fous, des folles, des mendiants, des égarés, de mauvaises personnes…

Une vieille hallucinée lui fait une mise en garde prophétique. Si tu t’endors maintenant, tu deviendras folle à tout jamais.

Épuisée, elle plonge. S’en suit un grand rêve surréaliste où réapparaissent sous des aspects divers tous les personnages qu’elle a rencontré ici. Ils sont réunis pour un grand festin, afin de célébrer à la manière soviétique, tous les bienfaits du pays. La plupart feront un petit discours, qui contribue à l’absurde onirique de l’ensemble. Et pour cette grande occasion, elle bénéficiera d’une grâce particulière. Va-t-elle enfin pouvoir rencontrer son mari ?

Ce film qui mélange la violence crasse et le sexe vulgaire, maintient une grande tension. Certains pourront la trouver insupportable. D’autres s’accommoderont de sa perversité.

Bien entendu, en première lecture, il s’agit d’un pamphlet contre l’arbitraire et le pouvoir exorbitant. Une mise en cause claire et précise de cet univers carcéral et para-carcéral inhumain. Bien sûr, les auteurs forcent le trait, mais c’est pour la bonne cause.

On peut regretter quelques maladresses et des longueurs. Mais le réalisateur nous gratifie aussi, de toute une foule d’idées et de détails, en avant comme dans les arrières plans. Et telle Charlie, on doit souvent tenter de retrouver la pâlotte femme du prisonnier dans des plans animés et complexes. C’est malin.

Mais il y a aussi une sorte de douleur exquise, dans cet exposé d’un univers démesurément pathétique. Un chant lancinant et profondément slave, qui en appelle à la fatalité et qui va bien au-delà des conjonctures. On pourrait même parler de poésie. Si on a du mal avec ces morceaux de réalité un peu trop concentrés, alors on peut tout simplement le voir comme un conte.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Une_femme_douce_(film,_2017)

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