Usual Suspects (1995) 4/10

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Je vais peut-être vous surprendre, mais je trouve que ce film a beaucoup à voir avec les thèses complotistes.

Pas celles aux ficelles bien visibles, comme dans ce médiocre récit « hold up », qui prétend sans rire qu’on a créé le Covid pour se débarrasser des pauvres, dont on n’aurait plus besoin.

Mais d’une manière plus générale, parce que ce genre capillotracté fait mouche chez ceux qui pensent toujours qu’il y a une réalité machiavélique cachée dans toutes les affaires d’importance.

Avant d’être transposé à l’écran, le scénario tarabiscoté de Usual suspects a été repris de nombreuses fois. Visiblement, l’auteur, qui s’est permis de compliquer les revirements à outrance, se prenait les pieds dans son propre tapis. Et aucun des nombreux producteurs sollicités au début n’en a voulu. Des acteurs célèbres eux-mêmes ont regardé ailleurs. Ce sont quand même des signes.

Il s’agit vraiment d’une œuvre de papier. En ce sens qu’en mettant un récit linéaire sur une simple feuille, on est libre ensuite d’en découper des petits bouts. Ce qui permet de les disposer tout autrement et de jongler ainsi gaiement avec la chronologie. Plusieurs combinaisons sont possibles. Ici, la presque-fin sera au début et des flash-back disposés dans un apparent désordre vont vite en embrouiller la trame. Au point de rendre le tout vraiment sybillin.

Et puis surtout, on rajoute ici ou là des éléments de complexité. Le scénariste peut concevoir à tout moment des personnages réels ou supposés, créés à la volée, juste pour lui faciliter la tache.

On aura donc ici un prince des ténèbres en la personne énigmatique de Keyser Söze. On nous l’agitera devant le nez comme un épouvantail grotesque. Mais il y aura aussi un certain Kobayashi, dont le nom n’est qu’une marque qui figure sur le cul d’une tasse de porcelaine.

Les compromissions des uns et des autres susurreront en permanence que tous sont manipulables, malfrats, polices et juges compris. Rien de ce qui est dit pourra donc être retenu. Le récit des uns et des autres pourrait bel et bien se révéler piégeux. Ouille l’embrouille !

En rééquilibrant le tout, juste ce qu’il faut pour qu’on n’y comprenne toujours pas le dessein général, certes le spectateur sera toujours un peu perdu mais il aura l’obscure conviction qu’il y a forcément là derrière une grande intelligence. Et d’ailleurs, ce sont les gens les plus simples qui marchent le plus. J’ai pu constater ce fait révélateur.

Et bien entendu en étant extrêmement attentif, ou mieux en visionnant une nouvelle fois le film, on est en mesure d’en évaluer la prétendue cohérence. On ne nous ment pas vraiment, mais on nous manipule.

C’est donc une prestation d’illusionniste. Surtout que comme on s’obnubile à débrouiller la trame volontairement embrouillée, et que c’est forcément impossible avant le mot Fin, on n’est plus en mesure d’en évaluer l’invraisemblance ou la piètre qualité.

  • C’est un peu comme dans un Agatha Christie un peu laborieux, où la romancière nous glisse subrepticement une descendance cachée qui explique tout, ou le séjour d’un des personnages dans un endroit qui se révèle au final capital, ou un x-ième testament caché, ou tout autre indice a priori insoupçonnable. Vu de loin cela semble du grand art, surtout chez elle où il y a quand même un vrai talent. Mais à froid cela fait surconstruit et laborieux.

Le spectateur – et bien entendu plus encore la critique suiviste- se sentant l’un et l’autre un peu bête de ne pas tout comprendre d’emblée, seront tenter de jeter un voile d’encre, en criant au génie. Parodions à ce sujet le grand Georges : « Quand les événements du film nous dépassent, feignons d’être dans la confidence»

Cette façon artificielle de faire les thriller est assez datée. On voit cela, mais avec moins de personnages, dans les retournements incessants de Basic Instinct de 1992.

Cela plaisait à l’époque. Le film a eu deux Oscars, celui du meilleur scénario original pour Christopher McQuarrie, ce qui en soit vu de maintenant est proprement hallucinant. Et celui du meilleur acteur dans un second rôle pour Kevin Spacey, dont l’interprétation, en tout cas dans sa version française est confondante de nullité.

Ce qui tend à confirmer mon idée que les critiques n’ont pas voulu passer pour des imbéciles et qu’ils ont primé ce qui leur a semblé d’une formidable complexité. En récompensant la pauvre prestation de Spacey, c’est ce cher Keyser Söze qu’ils ont cru honorer.

Ironie du sort, la grande manipulation, celle qui se la joue comme ici entre la réalité et la fiction, ne s’arrête pas là. Elle se prolonge même dans un curieux hors champ. En effet nos deux oscarisés intègres ont été poursuivis pour accusations d’agression sexuelles. Le réalisateur a été renvoyé des studios et l’acteur a du arrêter sa carrière.

Tel est pris qui croyait prendre.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Usual_Suspects

Gabriel Byrne Kevin Spacey Stephen Baldwin Benicio del Toro Kevin Pollak

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