En général, je n’ai pas trop d’atomes crochus avec ces romances. Mais là, il faut bien le dire, ce n’est pas juste une de ces histoires d’amour de vacances, dans ce conformisme kitsch des amants qui s’enflamment à Venise.
David Lean nous embarque avec talent dans sa belle gondole. Il privilégie une profonde interrogation sur la solitude, le déracinement, l’âge de la résignation et j’en passe.
La grande Katharine trimbale le poids de ces 48 ans. En ce temps là, c’était beaucoup. Son visage est fané et le corps tout maigre qu’on devine n’est pas engageant. On sent aussi une souffrance et une lassitude. Pourtant tous ces handicaps potentiels sont dissimulés par une certaine noblesse et pas mal d’élégance. L’élégance du cœur plutôt que celles du paraître.
D’emblée, on se rend compte qu’elle veut fuir une Amérique, qui ne l’aurait pas satisfaite. Elle s’est réfugiée dans l’idée, qu’elle puisse avoir une révélation dans ce cadre enchanteur de Venise. Un cadre plus propice que dans l’Ohio qu’elle déserte.
Elle n’a pas trop les moyens, mais elle a tout misé sur ce cadre, qu’elle espère magique, ou tout au moins réparateur. Son pari risqué est presque pathétique.
Comme souvent chez les femmes de son âge, elle oscille entre deux pôles bien distincts.
- Soit elle part tête baissée dans cet ultime engagement, dont elle espère sans doute trop. Le chevalier blanc ne disparaît jamais complètement des radars féminins.
- Soit elle reste sur place prudemment et accepte cette défaite qui la condamne pour le reste de sa vie à rester seule et repliée sur elle-même.
L’argument est toujours le même « vous comprenez, j’ai pris tant de coups et j’ai eu tant de désillusions ». Vraiment le truc à ne pas dire, sous peine de faire croire à un éventuel postulant, qu’elle va lui faire porter le chapeau de tous ses échecs passés.
Et le film montre bien cela. Katharine Hepburn est incroyablement à la hauteur de ce rôle souvent ingrat. Elle « habite » réellement cette petite pension de famille si mignonne et si féminine. Mais quand les hotes sont en balade, elle entre à nouveau dans son spleen. Son regard défait en dit plus que toutes les explications du monde.
Dans une sorte de position intermédiaire, elle privilégie d’abord sa relation avec un enfant des rues qui la drive dans la cité lacustre. C’est à la fois tout mignon et cruel. Ce gosse livré à lui-même, fume, vole sans doute et vit de petites combines. On ne voit pas trop comment il échapperait à la délinquance.
Puis vient le bel Italien, et c’est Rossano Brazzi. Il a dix ans de moins qu’elle et toutes les apparences de l’inespéré condottiere.
Ils se rapprochent l’un de l’autre ; lui en conquérant et elle en femme prudente. A priori tout matche à merveille. Mais l’espérance du « pour la vie », qui est une autre marotte des femmes, sera chamboulée. Le gars est marié et lui a caché cela. En plus il l’a « trompé » avec cette affaire de vase de Murano. Mal barré ! Le voilà dans la case des traîtres. La pente va être dure à remonter.
Intelligemment, elle tend vers le compromis. Elle va opter pour un dernier amour, un peu désabusée quand même, celui dit des vacances. Et elle remballera ses sentiments à la fin. Curieusement c’est plutôt lui qui a l’air de le regretter.
Bon tout cela est quand même truffé d’un esprit Nous deux, simplement le parfum de l’eau de rose est remplacé par celui de ce gardénia, qui sert de fil conducteur.
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On a aussi le thème du départ ou de la fuite, vers un ailleurs réparateur et qui effacerait les ardoises. Une démarche que d’aucuns jugent vain, alors que d’autres la conseillent vivement, en tant qu’indispensable ressourcement. N’est pas nomade qui veut.
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Enfin on pourrait disserter sur cette accumulation de photographies et de petits films de touriste, qui n’est pas sans rappeler la mise à distance ou cette mise en boite, occasionnée par les selfies modernes. La fiction permanente neutralise la réalité et la disneyse le plus souvent. Et ce phénomène de captation du moindre détail a juste empiré de nos jours.
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A noter que David Lean est un Européen. Il a compris la veulerie du tourisme de masse, et ne se prive pas de montrer ici des Américains peu cultivés et sans manières.
Ce réalisateur n’est vraiment pas n’importe qui. On lui doit aussi :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Vacances_%C3%A0_Venise
https://en.wikipedia.org/wiki/Summertime_(1955_film)
https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Lean
https://fr.wikipedia.org/wiki/Condottiere