Valley of love (2015) (8/10) Depardieu + Huppert

Temps de lecture : 5 minutes

Le lieu de tournage se situe dans la célèbre Vallée de la mort, d’où le jeu de mot un peu facile (*). Mais ce film est on ne peut plus français !

Si on enlève les deux formidables acteurs que sont Depardieu et Huppert, il ne reste qu’un beau et chaud désert, situé entre la Californie et le Nevada.

Si on remet les acteurs, c’est alors un magnifique duo épuré sur fond clair. Ils ne ménagent pas leurs forces, ils remplissent l’écran. Bravo et merci !

Ces immensités brûlantes ne sont pas faites pour les foules. Il était donc bien avisé de n’y faire tourner que deux personnes (**). En ville, cela aurait moins bien marché.

Le film tient sur une idée simple : un pèlerinage de deux parents sexagénaires, désunis de longue date. Leur séparation, c’était il y a trente ans. Il s’agit maintenant pour eux, de suivre les curieuses recommandations posthumes, de leur enfant. Ce jeune homme s’est suicidé. Il les pousse dans sa lettre, à faire cet étrange périple, selon un plan qu’il a conçu. On ne trahit pas la volonté de son fils mort.

C’est un scénario comme on en voit dans les courts-métrages. Un thème bien central, un peu loufoque sur un point, et de jolies variations stylistiques. Mais comme les comédiens ont du souffle, ils peuvent mener cela sur les 1h30 réglementaires.

Le sujet nous est livré au goutte à goutte, comme à un assoiffé dans le désert, qui doit mesurer ses ressources. I

Il fait incroyablement chaud ici, 50 degrés au moins (« nuit et jour » : dixit Isabelle). Et donc le spectateur sait qu’il va souffrir. Mais pas autant que Depardieu, l’acteur. Il n’y a pas pire que ces marches ultra-caniculaires pour un gros. Heureusement, il y a plusieurs scènes dans une piscine. Ça aide, lui et nous, à tenir.

Le déroulé est bien mené.

En entrant dans ce film, on sait bien entendu, que l’on va y rencontrer nos deux monstres sacrés. On est venu pour cela. Et donc le réalisateur les amène exprès lentement, dans cette intrigue. Un habile teasing, comme on dit là-bas.

  • D’abord, c’est une Isabelle Huppert vue de dos, qui marche. Elle est suivie longtemps par la caméra. Elle déambule en long et en large dans un motel reculé. Le tout donne une impression d’attente et d’ennui, qui permet de bien situer l’action, ou plutôt l’inaction.
  • Depardieu n’arrivera que bien plus tard, en retard, et de loin. Ce sera d’abord une petite silhouette qui s’approche. Il va rapidement occuper l’écran et redevenir le gros machin qu’on connaît. Ce nounours super-obèse s’excusera auprès de son ex femme, qu’il n’a pas vu depuis si longtemps : « j’ai un peu grossi » dit-il.
  • Je ne l’ai jamais vu aussi énorme. Plus loin dans le film, on découvrira cette montagne de graisse vautrée sur le lit, presque à poil. A la limite du regardable. Mais c’est voulu comme cela, et la progressivité est assez bien « pesée » finalement.

Tout le talent se trouve dans les interactions de ces vieux compagnons.

Le temps aidant, ils sont devenus un peu des étrangers.

A l’occasion de ces retrouvailles, ils régurgitent quelques ressentiments, basés sur de vieilles querelles oubliées maintenant. C’est en général sur ces faits d’armes, qu’on s’était éloigné. Le temps à fini par les émousser. Mais il reste toujours quelque chose. Une sorte de présupposé préjudiciel, pas très clair, mais dont on ne veut pas démordre.

Le retour implique aussi le partage de rares bons souvenirs. C’est un rituel nécessaire. L’histoire de ne pas voir tout en noir. Et ils sont quand même là ensemble pour sept jours. Ils ne peuvent pas passer ce temps à se haïr.

Les souvenirs lointains sont moins partagés qu’on ne le croit. L’un peut y avoir attaché une grande importance… mais pas l’autre, qui peut avoir tout oublié. C’est dur !

Il reste quand même un tout petit peu de tendresse, des reliquats d’affection. Mais dans l’ensemble, c’est une certaine défiance prudente qui domine. Les escarmouches restent possibles. Les vieux conflits ne sont jamais totalement éteints. Les plaies ouvertes sont devenues des cicatrices, mais c’est bien là. On connaît cela. Et c’est bien rendu.

Il y a une belle scène d’un furtif baiser équivoque, qui résume toute cette complexité. Bien vu !

Isabelle Huppert incarne à merveille une hyperbole de la femme de son âge, 62 ans ici. Mais c’est aussi une femme de tous les temps, avec son indétermination fondamentale.

Et le principe maternel universel est bien là. Elle veille au salut de la planète, comme si tous les êtres vivant sur terre étaient sa couvée. Ainsi, elle est tombée dans un quasi véganisme. Elle ne mange même pas de champignons, tant elle redoute leur radioactivité.

Ici, elle passe son temps, à faire des doléances vagues et assez incompréhensibles à son ex-conjoint. Comme quoi, il ne serait pas assez ceci ou trop cela. Ce sont les « c’est bien toi, cela ! », sans qu’on sache très bien de quoi il s’agit. D’ailleurs Depardieu en retour, montre bien son infinie perplexité.

Rien ne semble coller pour cette femme qui l’a aimé. Mais c’était déjà comme cela avant. Ce sont plus des intuitions obscures que de vrais reproches. C’est constant chez les femmes qui ne nous aiment plus et même chez celles qui pensent nous aimer encore.

Ce flou récriminatoire est une arme perfide, contre laquelle l’homme « logique » est totalement désarmé. Il est facilement piégé par cela. Elles le savent. Elles en profitent.

Lui, est donc cet homme rationnel. Il fuit les sentiments. Il ne veux pas céder au pathos. Il n’est là, dit-il, que pour tourner la page. Elle insiste, elle lui demande le « pourquoi » du suicide. Non, il ne comprend pas le geste de son fils ! Et d’ailleurs, il n’y a rien à comprendre.

Mais il garde en lui, très enfoui, une petite case d’irrationnel, au cas où. De manière presque instrumentalisée. On ne sait jamais. C’est très pascalien. Et comme il vient d’apprendre qu’il a un mauvais cancer, il a toutes les « raisons » de rester prudent sur l’inconnu et l’au-delà. Il se doit de voir pour croire, il sera servi. Mais c’est loin d’être en avant plan. Bref, c’est un être humain lui aussi.

On peut trouver qu’il y a un peu de flottement dans la réalisation. Est-ce intentionnel ?

Il y a par contre, incontestablement, beaucoup de professionnalisme, dans le jeu d’acteurs.

Ce qui donne un mélange curieux, mais pas inintéressant.

C’est le contraste somme toute assez agréable de la précision, dans un grand flou.

Le scénario semble se construire au fur et à mesure, tant le principal réside dans de subtils dialogues. Mais pour cela, il y a fallu l’interprétation, avec la précision au micron, de nos pointures nationales.

La fragilité des voix, la finesse des intonations, sont remarquables. Je doute qu’une post-synchronisation étrangère, ne massacre pas tout cela. Mais aussi les regards et tout le non-verbal !C’est tellement naturel qu’on peut croire que c’est improvisé. Ce le fût d’ailleurs en partie (dixit Isabelle).

De plus, les deux vedettes nous sont présentées comme telles ! Dans le film, ces deux là sont supposés être des grands acteurs français, mondialement connus.

  • Le lieu de naissance du Gérard à l’écran est Châteauroux, comme pour le vrai Gérard ! Inutile de rappeler que son fils Guillaume Depardieu est mort lui aussi après un parcours pénible (2008).
  • Et Isabelle se prénomme aussi Isabelle.
  • On peut comprendre qu’ils aient du mal à échapper à leur propre rôle, à leur propres individualités. Du cinéma vérité, au sens ontologique ?
  • On a vraiment l’impression que nos deux stars, ont formé un vrai couple jadis, qu’ils ont eu des enfants ensemble. Ah, la magie du cinéma !

Petit bémol. Il y a quand même là derrière, la prise de tête à la française. Mais ici, c’est mené avec intelligence et une certaine grâce. On pardonne facilement.

Il m’est interdit de livrer le fin mot de l’histoire. D’abord parce comme je l’ai évoqué, le scénario est volatile. Il se fait en direct sous nos yeux. Il est tout entier contenu dans la bouche de acteurs. Il n’y a pas d’influences externes à proprement parler.

  • Et ceci pourrait n’être que le voyage mémoriel obligé, de deux anciens complices. Avec à la clef, une paix retrouvée et leur rapprochement ou non.
  • Mais cela pourrait être aussi un conte fantastique, un peu « fabriqué », et qui cherche à ébranler nos certitudes. Si c’était le cas, cela n’aurait pas tellement d’importance.

En réalité, quel qu’en soit le cadre, le principal est dans la peinture de ces deux êtres et de leur relation, dans une configuration inhabituelle. Et là le contrat est très bien rempli.

  • (*) Depardieu dit dans le film qu’il ne lit pas les scénarios dont le titre est mauvais. Heureusement qu’on ne fait pas comme lui.
  • (**) On ne compte pas les rares figurants américains, ici ou là. Juste aussi nombreux que les rares SUV. Ils n’interviennent pratiquement pas. Souvent, ils sont très naturels et ne sont peut être alors que de vrais passants.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Valley_of_Love

Isabelle Huppert
Gérard Depardieu


Guillaume Nicloux
Réalisateur
Envoi
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