Violette Nozière (1978) 7/10 Chabrol s’améliore.

Temps de lecture : 5 minutes

Je n’ai pas trop dit de bien sur les deux Chabrol suivants. Merci pour le chocolat (2000) et Que la bête meure (1969).

Mais là sur Violette Nozière (1978), je m’incline (un peu). C’est plutôt un film intéressant.

Le film tente de suivre scrupuleusement les moments importants de l’affaire pénale.

Une des premières affaires criminelles soumise au tribunal médiatique. Avec des ténors du barreau, des policiers de grand renom, un juge de premier plan. Tout ce qui faut pour partager en deux une opinion avide.

Et la politique va s’en mêler. L’écrivain communiste Aragon va la présenter comme une victime du patriarcat ! Et bien d’autres intellectuels vont se mêler imprudemment de cette histoire. On est dans les mêmes eaux troubles que le tristement célèbre « Sublime, forcément sublime » de Marguerite Duras sur l’affaire Grégory. J’y reviendrai.

Le scénario est étrangement indécis sur la parricide Violette elle-même. On ne sait plus trop s’il faut la plaindre ou non. Il y a une volonté certaine de ne pas trancher, mais cela en devient maladroit par moment.

Le réalisateur plus factuel que psychologue, ne nous donne pas assez de matière pour pouvoir juger nous-mêmes. Il place des indices, mais les neutralise par la suite. Un coup à droite et un coup à gauche. Le tout sans que cela soit virtuose. Cela ne sert pas vraiment notre intérêt pour le film. C’est déroutant et un peu désagréable.

Le doute favorable à l’accusée voudrait que Violette se soit vengée de son père. C’est la thèse de la défense. Il aurait abusé d’elle en continu. Et ainsi l’assassinat de son père n’aurait pas pour motif de capter l’héritage rapidement. Cela ne tient guère pour de nombreuses raisons. En particulier parce que sa mère était aussi visée. Et qu’elle n’a été sauvée que parce qu’elle n’a pas fini son verre.

De plus on sait qu’après son procès, en 1937 Violette Nozière s’est rétractée quant aux accusations d’inceste. Donc grâce à ses aveux, on peut dire sans hésiter qu’elle était coupable d’un crime crapuleux. Alors pourquoi nous sortir aujourd’hui cette incertitude toute fabriquée ?

Et que penser de sa réhabilitation officielle !

A cette occasion, un autre « penseur » imprudent, André Breton, prend la défense « surréaliste » de Violette Nozière.

Il y a eu aussi René Char, Paul Éluard, Salvador Dalí, Yves Tanguy, Max Ernst, Victor Brauner, René Magritte, Hans Arp et Alberto Giacometti…

Cela aurait été autrement courageux de faire un film sur les égarés de ce calibre, sur l’apparition de ce nouveau conformisme visant à la défense inconditionnelle, de supposés opprimés.

Ou comment mesurer l’influence des ces jugements d’autorité d’intellectuels lourdement médiatisés et qui en ce domaine sont largement dans leur zone d’incompétence.

Il y aurait beaucoup à déballer sur la suffisance de ces artistes « visionnaires » d’extrême gauche, qui donnent leur avis péremptoire sur tout et qui cultivent le paradoxe et la provocation. Ils se sont déjà lourdement en politique. Certains ont encensé Staline et plus tard Mao… les plus lucides se sont rétractés par la suite.

L’extrême droite n’a pas fait mieux.

L’étude de ces manipulations de haut vol et des ces illusions fantasmatiques serait un sujet très intéressant et encore d’actualité. Peut-être que maintenant on pourrait avoir ce courage.

Pour revenir à Violette.

Comme à l’habitude chez Chabrol, les émotions sont un peu fabriquées. Mais ce côté dissocié colle avec le personnage d’Isabelle Huppert. Et donc ça marche !

On ne saura pas beaucoup plus ce qu’il y a dans la tête de cet « ange noir » qui a empoisonné ses parents, à 18 ans ! On a des photos. Huppert est plus angélique et plus jolie que la vraie. Ce qui fausse un peu le sujet.

C’est à nous de nous débrouiller en explorant les éléments factuels de sa biographie.

Les professeurs émettent rarement des jugements définitifs. Pourtant ils disent d’elle en conseil de classe : « Paresseuse, sournoise, hypocrite et dévergondée. D’un exemple déplorable pour ses camarades » La messe est dite. Qu’on ne nous dise pas, comme dans le film, que les parents ne se doutaient de rien !

Pourtant ce n’est pas si grave, car au final c’est plus un film sur la psycho-sociologie de ces années d’avant-guerre qu’un film policier. Et ce qui compte ici, ce sont les brillants acteurs et ces belles scènes dans ces décors souvent lépreux et étriqués.

J’ai vu avec plaisir ces trois marches de pierre qui mènent à la demeure familiale des Nozière. Elles sont joliment usées par des décennies (des siècles?) de passage. Dans notre siècle qui se veut tout propre, on pourchasserait cette magnifique patine.

En vrai son immeuble a une plus jolie façade.

Les acteurs sont de qualité et ce sont eux qui tiennent le film. Isabelle Huppert mi-pute, mi-soumise a justement été primée pour sa prestation. Elle est aussi marquante quand elle est aveuglée par son idéal masculin, que quand elle est rebelle contre à peu près tout le reste de l’humanité.

Son côté habile manipulatrice et menteuse imperturbable, est bien rendu dans le film.

Diagnostiquée syphilitique si jeune, elle ne semble pas s’en soucier. Elle n’a sans doute pas la maturité pour comprendre la croix qu’elle va porter. Ou bien le scénario fait l’impasse sur cette problématique.

Sa tentative de suicide aurait pu être l’occasion de nous éclairer, mais le film passe vite dessus.

Quant aux crimes, elle paraît étrangement distante, dans ce rôle de psychopathe sans remords.

Il y a là sans doute une concession à la réalité dans ce personnage trop passionné et en même temps trop froid. Les psychiatres la déclareront normale.

Stéphane Audran joue bien ce rôle de mère à l’ouest, un peu consciente, un peu complice et joliment manipulée.

Jean Carmet est parfait en papa indulgent, chaud lapin et « amoureux » de sa fille.

La très directe Bernadette Lafont en codétenue, est toujours aussi moderne dans son jeu.

Fabrice Luchini en jeune étudiant est une surprise. On retrouve, à l’état embryonnaire, certaines de ses particularités de futur acteur accompli.

Le critique gastronomique Jean-Pierre Coffe ne s’en tire pas si mal en médecin bourgeois de l’époque.

Curieuse reconnaissance de tous bords politiques qui apparaît au générique de fin :

« Condamnée à mort le 13 octobre 19341, Violette Nozière fut graciée le 24 décembre par le président Albert Lebrun et sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité. À la suite de sa conduite exemplaire en prison, le maréchal Pétain ramène sa condamnation à douze ans. Résolue à prendre le voile dès l’expiration de sa peine, libérée le 29 août 1945, puis graciée le 1er septembre par le général de Gaulle qui signe en sa faveur un décret annulant les vingt-cinq ans d’interdiction de séjour auxquels elle était condamnée. Violette Nozière épouse finalement le fils du greffier comptable de la prison, qui lui donnera cinq enfants. Ils ouvriront un commerce. En 1963, peu avant sa mort, la Cour de Rouen, fait unique dans l’histoire de la justice française s’agissant d’un condamné à mort de droit commun, prononce sa réhabilitation. »

PS : J’ai visionné le film de Chabrol et me suis documenté sur le cas Nozière. J’ai rédigé le texte ci-dessus sur ce sujet.

Il se trouve qu’après je suis tombé sur une émission (Nedjma Bouakra) de 2 fois 30 minutes sur Violette Nozière en différé sur France Culture.

Gourmand, je me suis empressé d’écouter, dans l’espoir d’opinions intéressantes et novatrices sur le thème.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Violette_Nozi%C3%A8re_(film)


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