X-men, l’Apocalypse (2016) 5/10

Temps de lecture : 9 minutes

Ce genre se donne des grands airs, mais cela reste très gamin en fait. Ce sera surtout pour nous, l’occasion de discuter d’une certaine pensée magique qui fleurit un peu partout dans le cinéma.

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Il s’agit à nouveau de sauver le monde. Et pour une fois ce n’est pas une menace écologique, le dérèglement climatique, les atteintes à la biodiversité et patati patata. Ouf !

Non, la mission sacrée consiste à essayer de contrarier un gars d’une autre espèce, pas très sympa, qui veut tout dominer et qui en a les moyens. Pour cela, on fait s’affronter quelques assistants mutants méchants et quelques mutants gentils. Les uns et les autres sont dotés de ces pouvoirs extraordinaires qui nous seraient bien utiles à tous et qui plaisent tant au grand public.

On ne peut qu’être agréablement surpris par la technique très aboutie, avec ces somptueuses images de synthèse et ces animations redoutables. C’est chromo et kitsch à souhait.

Mais cela ne suffit pas à masquer l’incurie de ce scénario composé de bric et de broc, de clins d’œils forcés et d’emprunts innombrables.

La musique et les voix nous envoient des signaux pavloviens qui ont été définis une fois pour toutes dans les canons du cinéma.

  • Le ténor des méchants aura la voix lente et caverneuse, comme il se doit. Il est accompagné à chaque fois d’une orchestration faite de basses lentes et profondes. Merci le THX ! Son masque facial tire obstinément la tronche. Ses vêtements sont désespérément sombres. Il veut juste être maître du monde et sacrifie tout à cet objectif.
  • Pour les gentils, c’est le contraire.

L’histoire démarre en Égypte 3600 ans avant notre ère. Un très vieux chef mutant, le monstrueux En Sabah Nur – un nom lovecraftien – tente de se régénérer une nouvelle fois, dans l’esprit et le corps d’un autre. Cela se passe avec tambours et trompettes, au sein d’une gigantesque pyramide, dernier cri de la technologie. Des jaloux font échouer la manœuvre de cet Hiram diabolique. Tout s’effondre. Mais le gaillard est relativement préservé. Sous d’énormes gravas, il rentre dans une sorte d’hibernation.

La situation est figée jusqu’à notre époque.

Grâce à quelques rayons de soleil accidentels mais bien placés, le maudit peut à présent sortir de cette pyramide affaissée. Il s’étire et sort de son repos millénaire comme si de rien n’était. C’est une variante du bien connu retour de la momie, mais en moins poussiéreux.

Pour ce faire, on verra monter de l’or alchimique en fusion dans les canaux-circuits-imprimés d’une sorte de gigantesque carte électronique. La magie de l’incompréhensible électronique donne facilement le change.

  • Ils auraient eu le même effet sidérant, avec les électrovannes d’une machine à laver, vus de près. Certes sous certains angles. L’hermétisme du dieu technique nous amène facilement à nous prosterner. Ça donne à penser.

Le chef dark-side, qui a l’air bien benêt par moment, a besoin de collaborateurs. Il recrute des mutants aussi dépravés que lui. Les épreuves qui leur fait passer, ou les pouvoirs qu’il leur transmet par imposition des mains, regonflent les candidats. La diversité des situations permet de remplir les trous du scénario. Pas de raison de trop se fatiguer à de la finesse ou de la psychologie.

Les mutants sympa font à peu près la même chose. Ils collectent les bons éléments eux aussi.

La première moitié du film sert à cette présentation. La deuxième partie sera le combat jusqu’à l’Apocalypse final. Enfin juste avant.

Quels sont donc les pouvoirs des mutants ? Ils sont variés et complémentaires. Ce qui est bien utile quand on a besoin d’unir ses forces. De nombreux personnages de comics, dont on est supposé connaître les caractéristiques, sont convoqués.

A la base, il y a forcément une composante de force brute, la plus spectaculaire possible. Ici elle se décline en plusieurs registres. Ces puissances, principalement commandées par le mental, ont en commun d’épuiser la personne qui l’exerce. En tout cas chez les gentils. Les méchants n’ont pas l’air si fatigués après l’effort.

  • Sans doute parce que la prime à la sueur et au dur labeur est éminemment morale. C’est une vieille tradition du spiritisme, comme avec les tables tournantes de Jersey d’Hugo, à Tintin et Madame Yamilah, la voyante extra-lucide dans Les Cigares du Pharaon. Ils sont tous crevé après. Il faut aussi donner l’impression qu’on en a pour son argent. Plus tu sues, plus tu mérites ta récompense.

Quelques exemples de mutants :

« Magneto » a un pouvoir d’attraction sur la matière et sur le métal en particulier.

Contrairement à la vraie puissance magnétique, celle-ci s’exerce indépendamment de l’inverse du carré de la distance. Quelle que soit la distance – si cela reste à portée de vue – le principe s’exerce. Oui je sais, je chipote, je fais mon Saint Thomas.

  • Ce gaillard sera dans l’entre-deux, en ce qui concerne son obédience. Il s’orientera plutôt vers les méchants au début, contrairement à ce que pourrait laisser penser son franc regard et ses implications familiales. On aime bien ramener au bercail la brebis égarée, dans notre civilisation christianisée. Et puis cela fait du bien au scénario d’avoir un indéterminé.
  • Il n’exercera pas son talent à tordre des cuillères comme Uri Geller, mais à déplacer de gigantesques morceaux de métal et quelques autres babioles. Tant qu’à faire !

Un autre aura des yeux rayonnants qui peuvent focaliser un faisceau de destruction massive sur à peu près n’importe quoi (thermovision?). Le truc est assez indiscipliné et dangereux. Heureusement qu’on lui a trouvé des Ray-Ban (sic) spéciales, en quartz-rubis. Cela évite les accidents de chasse et lui permet de contrôler.

  • Plusieurs protagonistes sont donc capables de détourner des masses colossales – au moins des dizaines de tonnes – et d’autres peuvent d’envoyer de titanesques rayons destructeurs. Certains bravent toutes les lois de la pesanteur et se déplacent dans toutes les directions.
  • Je ne voudrais pas me lancer dans de barbants calculs scientifiques (W = F × D × cos (θ) pour les cas simples), mais la quantité de travail (W) gigantesque nécessite une dépense énergétique « inhumaine ». Et ici il n’y a pas de Kryptonite (Superman) ou de réacteur ARC (Iron man). C’est tout du fait main, sans apports extérieurs.

Il y en a un mutant qui me plaît bien. C’est celui qui est tellement rapide qu’il semble s’immiscer à pas normal, dans des scènes ultra-ralenties. Ce qui lui permet d’intervenir largement dans les processus. Comme déplacer des personnes en danger lors d’une explosion. Il a le temps de sortir successivement tout un collège.

  • Un peu comme le temps des moustiques qui ne nous laisse aucune chance, tant nous sommes lents dans leur monde.
  • Dans le film ce personnage se déplace assez tranquillement alors que tout le reste est dans un ralenti énorme. C’est une belle réalisation, à défaut d’être une trouvaille. Cette aptitude lui permet de résoudre à peu près tous les problèmes, quand on y pense. Il est forcément chez les gentils.
  • L’affreux sceptique tiendra compte de la vitesse initiale de l’onde de choc d’une explosion, 7 km/sec, ce qui est déjà supersonique. En un dixième de seconde, la bâtisse qui occupe moins d’un km est rasée. Or les déplacements pour sauver les jeunes coincés à l’intérieur, les uns après les autres, doivent durer au moins dix de nos minutes à nous. Et encore je vois serré. Je vous laisse calculer son incroyable vitesse relative ! Qu’il s’entraîne encore un peu et il va atteindre la vitesse de la lumière.
  • Mais je peux comprendre que vous n’en ayez rien à faire des théories scientifiques et que vous vous êtes là pour rêver, et vous échapper au sens propre.

Il y a bien d’autres talents et je ne peux les énumérer tous. Il y a de la téléportation, de la transmission de pensée et du mentalisme, de la mémoire extrême, plusieurs sortes de télékinésie, de la lévitation, du vol supersonique, de l’invulnérabilité, un passe-muraille, des transformations corporelles magiques comme ces ailes en métal… A noter les réalisateurs s’abstiennent de les doter d’une immense intelligence, car ils n’en ont pas tant eux-mêmes.

Les confrontations titanesques entre les humains et les super-catégories ne se placent jamais au plan des idées. Ce ne sont que des prétextes à de puériles bagarres. Pauvres hommes sans imagination ! Pauvres scénaristes en panne ! Décidément, le cinéma grand public est un art mineur, avec un tout petit a.

Le film cède à cette navrante convention qui fait que les combats seraient toujours « à armes égales ». Ce qui ne l’est évidemment pas quand le rapport de force est aussi énorme que celui qui va du pistolet à la bombe atomique. Mais pour les besoins scénaristiques, il faut sacrifier au rite du combat loyal. La séquence est toujours la même : d’abord une confrontation d’apparence équitable, puis une félonie du méchant qui fait tomber le preux chevalier, et enfin un miraculeux rétablissement qui mène au triomphe du champion du bien. Avec des épées ça marche, mais avec l’attirail disproportionné de nos gaillards, cela ne tient plus debout.

Les auteurs ont puisé dans tout ce qui a déjà été envisagé au cinéma et dans les comics. Batman, Captain Marvel, The Flash, Green Lantern, Hawkman, The Spectre, Wonder Woman. The Submariner, Human Torch, Captain America…

Mais il y a aussi des emprunts assumés dans la banque de personnages récurrents de leur maison de production et ailleurs. Je vous laisse juge, moi je ne connais pas trop ces caractères :

  • Charles Xavier / Professeur X – Erik Lehnsherr / Henryk Gurzsky / Magnéto – Raven Darkholme / Mystique- En Sabah Nur / Apocalypse – Hank McCoy / le Fauve- Moira MacTaggert – Jean Grey- Scott Summers / Cyclope – Peter Maximoff / Vif-Argent- Ororo Munroe / Tornade – Kurt Wagner / Diablo – Betsy Braddock / Psylocke – Warren Worthington III / Angel- Alex Summers / Havok – William Stryker – Jubilation Lee / Jubilee- Caliban (caméo)- Fred Dukes / le Colosse (caméo)- James « Logan » Howlett / Wolverine / l’Arme X (caméo) – Pestilence – Famine – Mort – Guerre…

Mais ils ont aussi pompé l’endurance et le permis de tuer de James Bond et de quelques uns de ses clones, la belle couleur bleue du peuple Na’vi dans Avatar de Cameron, les collégiens d’Harry Potter, la pseudo mystique des aventuriers de l’Arche perdue, les engins de La guerre des étoiles, les mythes chevaleresques comme dans Ivanhoé et tant d’autres…

Il y a bien sûr aussi la mythologie et ses facéties. On retrouve toujours à la base des thèmes bibliques et d’autres mystiques, dont les miracles de Jésus et de ses prédécesseurs. On aura aussi un peu de Gilgamesh, d’Hercule, d’Achille, de Jason, d’Orphée, de Prométhée, de l’Alchimiste, les sociétés secrètes comme les discrètes, la quête du Graal avec ou sans Dan Brown, de l’hermétisme égyptologique et ses malédictions, les incompréhensibles runes (futhark)… autant de remugles. Mais pas que cela.

  • A noter qu’Ulysse est lui aussi confronté à des créatures extraordinaires qui le dépassent. Mais en simple mortel, quoique aidé des dieux, il peut surmonter cela juste avec ses petits bras. Il n’a que faire de la technologie transhumaniste.

Bien que cela soit sans doute inconscient, l’esprit de Nietzsche n’a pas été oublié dans cette évocation explicite du surhomme. En Sabah Nur dit ce Nietzsche pense. Pour lui les faibles se sont emparés de la terre, il faut que cela cesse.

La psychologie dans le film, se résume à prendre l’air investi et/ou constipé. La moraline, comme on dit maintenant, fait le reste. C’est aussi un concept nietzschéen.

Tout le reste n’est que flatterie de nos tendances à gober le surnaturel.

Sur la question fondamentale du recul de la raison au profit de la superstition, dans nos sociétés modernes :

  • Curieux qu’alors que l’éducation semble globalement progresser, on assiste à de sérieuses tentatives de prise de pouvoir de l’irrationnel le plus crasse.
  • La méthode scientifique et les lois de la logique sont relativisées ou même niées. Les experts sont contestés. On ne se fie de plus en plus qu’à son intuition et/ou la doxa. On parle de sciences dures et de médecines douces agrémentées de perlimpinpin. Si les idéologies politiques et les religions ont perdu du terrain, c’est au profit de nouvelles croyances, auxquelles les membres vouent un véritable culte et qui sont servies par des dogmes simplistes. Dont une certaine pratique d’écologie « religieuse » pleine de totems, tabous et coercitions, le retour en force du créationnisme ou l’obscurantisme des antivaccins.
  • La superstition n’a pas perdu de terrain. Elle se transforme tout simplement. Elle est sans doute plus intimement liée à la nature humaine, qu’à ce qu’on nous met dans le crâne. La problématique actuelle n’est plus tant de savoir si l’on croit à la vie après la mort (plus de 30% y croient encore). La question est différente maintenant. Il s’agit de savoir si notre vie sur terre est guidée par un destin inéluctable ou non. Et cela nous arrangerait que cela soit prévisible. C’est du pragmatique en quelque sorte.
  • 90 pour cent des journaux contiennent des horoscopes. 50% des lecteurs admettent leur faire confiance. Et je ne parle pas ici de l’obstinée croyance en sa bonne étoile, qui fait perdre régulièrement de l’argent aux joueurs de loto et autres jeux de hasard. Mais qui assure des revenus fixes avec une précision mathématique à ses organisateurs.
  • Sur ce terreau d’ignorance fertile, il a fini par se créer un codex parallèle, basé sur un parti pris para-logique. C’est notre sujet précisément avec ce film. On y met tout ce qui conforter de supposées énigmes. L’ennemi c’est l’explication. Cette crédulité systématique est tellement constante dans sa forme, qu’elle a fini par engendrer des blocs irréductibles de croyances diverses. Des structures répétitives dans lesquelles les candides se reconnaissent, grâce à quelques mots clefs, et qui ont fini devenir des « réalités » indiscutables, à prendre pour argent comptant.
  • Dans le temps, un ami d’enfance me bassinait avec son Robert Charroux, un romancier qui s’était spécialisé, à trouver de l’inconcevable archéologique, un peu partout. Des fantasmagories, qui reposaient sur de simples intuitions approximatives, aux antipodes de la zététique.
  • Mais comme il est épuisant de chercher à déjouer les tropes inconsistants et les âneries, les esprits avertis leur laissent le champ libre. Comment prouver ce qui n’existe pas ? C’est le grand problème des rationalistes. Et c’est pourquoi les plus fervents croyants ne démordront jamais de cette conviction que les géoglyphes de Nazca sont des pistes d’atterrissage pour extra-terrestres. De la même manière qu’il est impossible de prouver qu’un E.T. ne vient pas de passer dans le jardin, pendant que vous avez eu le dos tourné.

Revenons sur Terre.

Les scénaristes doivent avoir un algorithme permettant de tout mixer et de ressortir les rares cases inexploitées. J’ai le sentiment qu’on ne doit pas être très loin de l’épuisement des combinatoires… et surtout du public.

Cette abondante matière fantasmatique, mythologique ancienne et moderne, est donc arrangée pour conforter l’ignorance créative les lecteurs peu exigeants. Des couches successives sont rajoutées tout au long de ces épuisantes 144 minutes. Qu’une bande composée principalement d’ados soit supposée sauver le monde, cela ne dérange personne.

En plus ils ont rompu tous les fils qui les reliaient à un peu de vraisemblance. Plus de sources d’énergie, plus de corps adaptés aux exploits, plus rien. Tout a explosé dans une superbe incohérence. Ce n’est plus qu’un défilé d’images. Du premier degré reptilien à l’état pur.

Ils n’ont peur de rien. Ils ont même amalgamé ces délires cosmiques avec des scènes de sensiblerie familiale bien plan-plan et des interventions de la CIA et de G.I.’s. et autres banalités.

Ces films seraient faits pour que l’on s’amuse ? Il ne faudrait pas chercher trop loin, pour ce qui ne serait qu’une distraction comme une autre. Détrompez-vous, ces films sont pris très au sérieux par les spectateurs. Ce sont des rituels qui confortent des valeurs. Bien entendu pas celles des méchants ! Et quand on y regarde de près, ces choix de l’obscurantisme et du conformisme, ne sont guère plus présentables.

Maintenant chacun fait ce qu’il veut. Cela ne me dérange pas plus que cela.

Que la Force soit avec vous !

https://fr.wikipedia.org/wiki/X-Men:_Apocalypse


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