Gabriel et la montagne – Film Avis. João Pedro Zappa – Résumé. (2017) 8/10

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Il y a quelque chose qui me touche dans ce biopic, sur les derniers 70 jours de cet étudiant franco-brésilien, car je ne suis pas loin d’avoir fait jadis le même parcours.

Ce Wanderer a décidé de faire un long voyage autour du monde, à la manière des néo-nomades des années 70. C’est à dire, les mains dans les poches, avec un minimum de moyens, en gardant les yeux grands ouverts, en toute confiance malgré les dangers, et en ayant autant que possible le cœur sur la main.

On pourrait parler d’une sorte de pèlerinage initiatique dépoussiérant, juste avant d’entamer sa carrière d’homme inséré.

Ce voyageur a déjà été très loin en 10 mois. Il revient d’Asie et le périple se termine maintenant en Afrique de l’Est.

  • On sait dès les premières images qu’il va mourir d’épuisement dans un dernier trekking solitaire et raté.

Bien qu’il cherche à sortir des sentiers battus, ce jeune garde son côté touriste individualiste. Il se fait plaisir en accumulant comme des trophées, les photos-souvenirs le mettant en scène dans les sites emblématiques du Kenya, de la Tanzanie, de la Zambie et du Malawi.

Ce jeune homme pressé, va vaincre le Kilimandjaro, presque à lui tout seul et surtout dans un temps record. Pour cela il presse son guide. Mais c’est ce dernier qui le motivera pour la dernière étape. Il est toujours aux limites, mais ne cède pas car il veut en voir le plus possible. Ce n’est pas tant l’exploit qu’il cherche que la quantité. Cette gourmandise, qui tend à l’empiffrement, est un peu étrange. Ce n’est compréhensible que si on se met dans la peau d’un touriste qui veut cocher toutes les cases. Il y a de cela, mais il y a aussi autre chose (*)

  • J’ai vu de ces passionnés qui se consacrent à un trekking extrême, qui se veut exclusif, et cela chaque année, lors de leurs congés payés. On ne sait pas trop s’ils luttent avec eux-mêmes par ces défis où s’ils éprouvent une sorte de plaisir au retour à l’état sauvage. Plaisir relativement solitaire d’ailleurs. Sans doute un « cheap thrill » « middle class », qui leur donne l’impression d’échapper à la contingence, et de faire partie des « happy fews »,pour quelques petits milliers d’euros.
  • En tout cas pour moi, cela reste curieux.
  • Mais entre-eux, ils adorent se raconter leurs épreuves ou leurs tartarinades.

Il visite les Maasaï et cherche leur amitié. Ce qui est toujours un peu ambigu, puisque lui est celui qui a des fonds, certes modestes, et eux attendent toujours quelque chose des touristes. Mais des liens se créent quand même. Et ils ne sont pas dépourvus d’une certaine sincérité. D’ailleurs en Afrique, il n’est pas rare qu’on donne son amitié rapidement.

Sa copine va le rejoindre et ils continueront ensemble leur exploration. Avec bien entendu la visite des sites mythiques, comme les chutes Victoria en Zambie.

Ils font un mini safari. Il va se plaindre d’avoir été trompé par les guides. Ils lui ont fait miroiter la migration des gnous pour augmenter les prix et sont trop flemmes pour aller vraiment les chercher là où ils se trouvent. De plus il se fait pigeonner par les mêmes, qui ont un peu détourné sa carte bancaire.

Mais il garde le moral et son profond appétit d’images insolites et de paysages grandioses. Les autochtones ne sont jamais méchants. C’est juste de la débrouille. Et à leurs yeux, c’est sans doute légitime de profiter de ceux qui viennent des pays riches.

Il y a peut-être un biais là. Dans toutes sociétés il y a des personnes foncièrement mauvaises. Et dans ces zones, on ne peut pas trop compter sur les protections policières. On peut juste dire qu’il a eu la chance de ne rencontrer pas d’individus dangereux. Et que ses plus grands malheurs ne sont dus qu’à son obstination.

Il y a des scènes d’amour fusionnel entre les deux jeunes gens et aussi des disputes. Leurs grandes études respectives ne leur donnent la même vision des choses. En particulier lui tend vers le mondialisme, le multiculturalisme et la défense des pauvres. Une démarche qui n’est pas dénuée d’innocence mais qui semble sincère. Il veut se mettre au même niveau que tous ceux qu’il croise. Et cet abord presque primitivement « chrétien » semble marcher. Cela marche aussi pour nous, car n’est pas du tout fabriqué et c’est montré sans moralisme primaire.

Le couple se délectera des récits que leur font les personnes rencontrées. C’est d’ailleurs un des grands mérites de ce type de voyage. Les individus n’hésitent pas à se raconter devant ceux qu’ils ne verront sans doute plus jamais.

Le réalisateur a voulu coller au plus près de la réalité, en utilisant à plusieurs reprises les vrais personnages qui l’ont côtoyé, et en les remettant dans les mêmes situations. Et bien sûr, le tournage se passe sur les lieux précis de son voyage. L’acteur principal porterait même les vêtements du défunt. Et il faut dire qu’il y a une série d’accoutrement bizarres.

Il n’est pas inutile de préciser que l’étudiant fut l’ami d’enfance du réalisateur. Nous avons donc un exercice très inhabituel qui tient de l’hommage affectueux, du reportage, du biopic et de la fiction réaliste.

Les deux acteur principaux Joao Pedro Zappa et Caroline Abras jouent merveilleusement bien leur rôle et les Africains qui ont été enrôlés, se débrouillent très bien eux aussi.

Il y a une bonne critique de ce film dans le journal Le Monde : https://www.lemonde.fr/cinema/article/2017/08/30/gabriel-et-la-montagne-traversee-africaine-pour-un-ami-defunt_5178220_3476.html

J’emprunte au rédacteur Jacques Mandelbaum, ce portrait du personnage principal que je trouve très fin :

  • (*) « Court-circuitant les a priori et les différences, Gabriel cultive le dépouillement, la simplicité, l’abord humble et joyeux des villageois rencontrés en chemin, dont il adopte le mode de vie et dont il gagne aussi l’amitié. Une force de vie, une éthique de la rencontre, un respect de l’altérité élèvent sa démarche au niveau d’une fête des sens et d’une grâce spirituelle.

  • Quelque chose se brouille. Qui tient aux raisons intimes, non dites, de ce voyage, à la sourde volonté qui se manifeste à travers lui tout à la fois d’un fol orgueil, d’un suspens de l’être, d’une possible, et pourquoi pas définitive, disparition.
  • Car à l’enthousiasme prométhéen de Gabriel se mêle une radicalité inquiétante, un désir dévorant de régénération, une volonté de pousser tellement loin le sentiment de la vie qu’il atteint d’un même mouvement son exténuation…»

https://fr.wikipedia.org/wiki/Gabriel_et_la_Montagne

João Pedro Zappa
Caroline Abras

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