L’appât (1995) 8/10 Valérie Subra, Marie Gillain, Tavernier

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Un bon film de Bertrand Tavernier.

Cette histoire criminelle est vraie. Elle est racontée très méticuleusement, par un réalisateur à la rigueur bien connue.

On a pourtant une impression très curieuse, si l’on compare l’affaire Hattab-Sarraud-Subra dans ce film, et telle qu’elle est racontée dans une émission de type « Faites entrer l’accusé »

A priori, ce trouble ne vient pas du fait, que le cinéma nous livrerait un récit trop romancé, ou porterait un jugement orienté. Comme c’est souvent le cas par ailleurs.

C’est plus complexe et repose sur le principe même des « fictions ».

Dans ce film, lorsque l’on présente les jeunes protagonistes, avant les drames, ils sont réellement innocents. Et on a le temps de se « familiariser » avec eux. C’est à dire qu’ils sont susceptibles d’être intégrés dans notre cercle. Il se peut que se développe une sympathie pour certains. (*)

Alors que les émissions criminelles jettent à nos pieds des coupables. Et le déterminisme affiché du genre, cherche en permanence à établir un enchaînement de raisons, qu’il y aurait à leurs actes. Il faudrait forcément que leur psychologie et leur passé, expliquent ce qu’ils vont devenir. Ce besoin d’identifier des causes, de penser qu’il existe pour tous une pente fatale, un chemin de travers à éviter, est très humain. C’est en fait plutôt culturel. Cela tient à l’idée du péché et au décalogue.

De plus, on se refuse tout ce qui pourrait paraître une complaisance avec les criminels. Il est donc hors de question de les montrer sous des dehors sympathiques, par exemple souriants lors de leur bonheur passé (**)

Le 3 personnages :

Laurent Hattab est incontestablement le chef du trio. Bien que très jeune, 19 ans, ce fils de commerçant du sentier, s’est déjà pris une belle gamelle.

Son père qui avait jadis plusieurs magasins de vêtements, s’est ratatiné suite à une procédure fiscale. Le fils, bien qu’inexpérimenté, a tenté à son tour de faire prospérer une boutique. Retentissant échec.

Là, il ne fait pas grand-chose à part de paraître dans les endroits à la mode et d’exercer son pouvoir de séduction sur ses amis. Le roi de la frime. Son père décide de lui couper les vivres pour qu’il cherche à nouveau un travail.

Mais Laurent ne veut pas se salir les mains. Il est imprégné de poncifs commerciaux sans doute associés à son milieu ou à sa famille. Pour lui, alors qu’il n’a aucune compétence, il n’y a que la réussite à grande échelle aux USA, comme les frères Naf-Naf. « Il faut voir grand » dit-il, phrase sans doute empruntée à son père du temps de sa gloire.

Imbu de lui même et croyant au seul mérite de l’obstination, il ne s’encombre ni de grandes réflexions, ni d’une élémentaire prudence. Il ne parle même pas l’anglais, mais réfute cet obstacle. Il apprendra, voilà c’est tout.

En fait, avec cette croyance bornée à sa bonne étoile et à ses pouvoirs, il se piège progressivement dans des illusions de plus en plus énormes. Son entourage lui, est de plus en plus fasciné, ce qui renforce encore sa fuite en avant. C’est le devenir banal de l’escroc.

Et comme il lui faut 10 millions de francs pour démarrer sa première boutique aux States. Il estime légitime d’aller se servir chez les riches. Les deux autres applaudissent. Belle emprise !

Olivier Sitruk incarne très bien ce personnage (***)

Jean-Rémy Sarraud, 21 ans, est un paumé, qui dormait dans les rues. Il se sent redevable d’être hébergé et de pouvoir rêver avec eux d’un autre monde. C’est le faire valoir.

Valérie Subra, le bel appât, est la copine de Laurent. Elle est sous son charme. Elle aime vraiment ce héros aux belles paroles. Frissons d’amour.

Marie Gillain joue cette fille magnifique et naïve de 18 ans. Une interprétation remarquable qui va de la petite fille en pleurs, recroquevillée sur son nounours, à la jeune femme fatale. Chapeau ! (****)

  • Un homme normalement constitué et en état de marche, qui n’éprouverait aucune attirance pour ce canon d’alors, à la plastique parfaite, ne mériterait pas de continuer à lire ce texte… C’est comme ça.

Elle joue un jeu dangereux avec les riches hommes mûrs, qu’elle rencontre dans les bars branchés. Elle se proclame vendeuse-mannequin, et se verrait bien vedette de cinéma. Ce qui semble une proie facile pour les vieux beaux. Mais elle a tendance à ne pas céder, et se contente le plus souvent d’enrichir son réseau, ses contacts.

Laurent veut arriver à ses fins. Il a besoin d’argent. Il s’agit de braquages. Il lui met la pression, et alterne le chaud et le froid. Avec une légèreté considérable, la belle épluche son carnet d’adresse pour dépister ceux qui sont réellement pleins aux as. Elle allumera les futures victimes, ira dans leur appartement. Et au moment venu, les deux autres acolytes masqués ligoteront le candidat et chercheront à lui faire dire où est son coffre.

S’en suivent de petits braquages, soit avortés, soit peu fructueux. Il n’y a pas de coffre et les présumés nantis, n’ont en réalité pas grand-chose au domicile.

Les erreurs commises sont considérables. Ils n’ont aucune expérience et n’ont pas assez réfléchi. Ils apprendront un peu de leurs fautes. Mais pas assez. De de toute façon, ils ont déjà laissé trop d’indices flagrants derrière eux. En plus, il y a un vice à la base, puisqu’il est facile de lier Valérie aux victimes, et la belle aux deux hommes.

En laissant échapper le nom de Valérie devant une de leur proie, ils révèlent qu’ils la connaissent. Dès lors, ils se sentent obligés de tuer, puisque de toute façon, ils sont grillés. Par la suite, ils font n’importe quoi et commettent ainsi un deuxième meurtre. Tout s’emballe.

Elle n’assistera pas directement aux deux meurtres. Elle est à côté, écouteurs de walkman sur les oreilles.

Même lorsqu’elle sera prise, elle n’aura pas parfaitement conscience de ses responsabilités. Dans le film, dans le dernier plan, elle demande même aux inspecteurs, avec une absence de jugement désarmante, si elle sera libre pour Noël.

Bertrand Tavernier est décidément un grand réalisateur. Mais aussi un cinéphile averti et redoutable. Ses films ont la chance d’être sous cette double influence. Une démarche classique de réalisateur, mais qui n’est jamais que ça, car elle s’inscrit sciemment dans le devenir du cinéma. Il est « politique », et très à gauche, incontestablement. Mais sa narration n’est jamais bêtement militante.

  • A l’occasion de la sortie du très recommandable « voyage à travers le cinéma français », j’ai eu la chance de pouvoir échanger avec lui quelques phrases, en particulier sur son confrère Tarantino. Généreux, toujours en verve et plein d’anecdotes, il ne déçoit pas.

(*) C’est le même principe qui fait que dans un journal, l’on montre en boucle une photo souriante du bon politique. Et que si par malheur le même est inculpé, subitement il n’est plus montré que par une photo sinistre, qui semble démonstrative de sa perversité.

(**) Empathie pour les mauvais garçons ? Dans les films qui relatent du vrai, si l’on oublie trop vite qu’il s’agit d’une sordide réalité, on prend même le risque de souhaiter aux méchants, de réussir leurs méfaits et d’échapper à la justice. Bizarre !

Mais il faut quand même dire, qu’on n’a déjà pas trop de mal avec cela, dans les authentiques « fictions » policières. C’est ne plus pour de vrai, c’est un jeu. On nous a habitué à ça.

(***) Olivier Sitruk qui joue avec conviction et réalisme, aura une nomination pour le César du meilleur espoir masculin.

(****) L’excellente prestation de Marie Gillain, lui vaudra des récompenses. Ours d’or du Festival de Berlin. Nomination pour le César du meilleur espoir féminin. Prix Romy-Schneider.

https://librecritique.fr/meilleurs-films-de-criminels-en-serie-serial-killer-8-10/

https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27App%C3%A2t_(film,_1995)

Marie Gillain
Olivier Sitruk
Bruno Putzulu
Richard Berry

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