Rembob’Ina – Apostrophes avec Georges Simenon – (1981 …) 8/10

Temps de lecture : 4 minutes

Patrick Cohen a un véritable talent. Il sait nous faire revivre d’importants épisodes de notre histoire de France semi-contemporaine. Pour cela il s’appuie sur d’anciennes émissions de télévision, de catégorie supérieure.

Le principe est simple. Exhumer des pépites télévisuelles, qui synthétisent un débat de société majeur, un personnage emblématique, une émission phare… Il les rediffuse dans leur intégralité. Puis il oriente savamment l’intervention actuelle d’un (ou deux) protagoniste de l’époque. Une approche vivante, exigeante, et non-polémique.

Ici il s’agit d’un incroyable portrait en « live », de Simenon par Pivot. Déjà, on sent que les deux ont potassés avant de se voir. Les interviews de l’écrivain sont très rares. Ce témoignage réfléchi et travaillé, est une perle.

On apprend que l’auteur a tout fait pour ne pas avoir le prix Nobel, cette « médaille de concours agricole » (selon lui).

Il ne se considère pas du tout comme un intellectuel, mais il sait qu’il sent les choses. Et cela bien entendu, il le retranscrit comme personne d’autre.

Ils sont plus nombreux que l’on croit, ces artisans de génie qui deviennent de grands hommes aux yeux de tous. Mais la plupart des Français ont du mal avec ce concept. Ces « cartésiens » veulent des « explications ». Pour eux, un grand artiste – et surtout un écrivain – ne peut être que penseur et théoricien.

A ses débuts, un flic l’a pris sous son aile, pour lui expliquer ce qui n’était pas techniquement juste dans ses premiers romans. Il a été confronté à ces réalités plus d’un mois. Il a grandi. Il a toujours su bien se faire conseiller.

Simenon est particulièrement en phase avec le petit peuple. Et bien qu’il ait été très riche après avoir été pauvre, ces fantaisies, comme ces Rolls, c’était, dit-il, juste pour voir. Mais dans le fond cela ne l’intéressait pas vraiment. Il a d’ailleurs fini dans une toute petite maison, lui qui avait un « château ». On devine facilement chez lui, cet appétit méticuleux et systématique d’expériences de la vie.

Il écrit un livre en quelques jours. Mais au prix d’une tension extrême et de litres de sueur. Il est en transe dans ces moments.

Sa seule morale serait la sincérité.

Il est rongé par le suicide de sa fille Marie-Jo. Et il a essayé de comprendre ce qu’il lui était arrivé, tel un Maigret. Une entreprise logique et sans doute vaine de ce fait. Dans ces romans, transpire une sourde culpabilité, il ne pouvait en être exempt.

Grâce aux interventions intelligentes d’Assouline, on cerne davantage encore l’auteur. Il faut dire que c’est son biographe « officiel ». Il a eu l’immense privilège d’avoir la clefs de ses archives posthumes. Dont une immense correspondance. Il écrivait plus de 30 lettres significatives par jour. Il gardait tout, même ses ordonnances. Ce qui a permis de voir qu’il travestissait un peu la réalité affichée.

Chacun de ses personnages a un peu de nous mêmes. C’est cela qui nous parle tant. Le pauvre type qui commet son crime, presque par accident, autant que les innocents. D’ailleurs il laisse filer plusieurs coupables, comme si au fond, ils ne l’étaient pas tant que cela.

Il écrit avec peu de vocabulaire, mais quand il dit « il pleut », on sent vraiment l’atmosphère. D’ailleurs, dans un pays scandinave, on apprend le français avec « le chien jaune ». Écriture simple et lumineuse.

Il ne conçoit pas qu’on puisse écrire un livre – une telle mécanique, sans avoir fait d’apprentissage. Et il raconte la progressivité de son œuvre, en parallèle avec celle de sa vie. Si Maigret n’a pas d’enfant, c’est que lui même n’en avait pas au début de sa carrière. Et comme il en a fait un couple stérile, il n’a pas pu revenir en arrière par la suite.

Il parle de ses livres « durs » en opposition avec les récits d’enquêtes, qu’il considère comme plus « faciles ».

Il a arrêté d’écrire des romans, quand le souffle sacré n’était plus là. Il n’est jamais revenu sur sa décision. Il a par contre rédigé son poignant témoignage, « mémoires intimes ».

Un autre extrait télévisé de 1960, montre une rencontre d’Arthur Miller et de Georges Simenon au festival de Cannes. L’année où Simenon était président du jury et ou Miller en était un membre distrait. L’Américain à la libido tenace, n’avait sauté sur l’occasion, que pour venir voir deux maîtresses françaises. Le festival, il s’en fichait.

Simenon a eu l’intuition que le nouveau venu, Fellini avec sa Dolce vita, était un cinéaste exceptionnel et promis à un grand avenir. Alors que personne ne croyait en cet Italien, Simenon a manigancé pour qu’il ait la palme d’or. La voix « extorquée » à Miller a fait basculé le vote en sa faveur.

On ne peut qu’applaudir.

Il devint non seulement un ami proche de Fellini, mais aussi d’Hitchcock. Il était réticent au début à ce qu’on fasse des films de son œuvre. Mais il a heureusement changé d’avis par la suite.

Ce passage cannois est troublant, car il nous montre un Simenon un peu engoncé, presque insignifiant physiquement, et qui joue un rôle. Son apparence modeste et compliquée à la fois, nous fait penser à un personnage de ses livres ou de ses films.

Patrick Cohen nous a livré, là encore, une bonne émission. Elle respecte le fameux précepte classique « Instruire et divertir ».

D’autres Rembob’Ina méritent largement le détour :

  • A signaler la talentueuse émission Rembob’Ina «Les Dossiers de l’écran» sur Pétain (1976), pour la théorie du bouclier contre la volonté de résistance. Vraiment instructif !
  • Il y a aussi le Rembob’Ina « Droit de réponse » (1982) qui nous permet de vraiment réfléchir à nos engagements politiques et à feux les idoles de notre jeunesse.
  • Un sujet aussi curieux que le Rembob’Ina « les jeux de Pierre Bellemare », nous montre que même avec des amuseurs, la télé de jadis avait des exigences. Et surtout que le public suivait !

https://www.lcp.fr/collection/rembobina/289648

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