Capitaine Conan (1996) 7/10

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Bien entendu cela n’a rien à voir avec l’homonyme Conan le barbare. Vous serez sans doute surpris par cette remarque. Pourtant je n’ai pas honte de l’avouer, je suis passé à côté bien longtemps du fait de cette cruelle association.

Je me sens partagé sur ce film donné comme consensuel et je n’irai donc pas au dessus du 7/10. Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ?

Tavernier, je l’aime bien. J’ai eu l’occasion d’échanger avec lui lors de sa présentation Voyage à travers le cinéma français en 1976. Et sur le cinéma, je partage pas mal de ses goûts. Je reconnais sans problème son talent.

Ses options politiques me semblent plus discutables. Mais comme cela ne joue pas plus que cela sur son œuvre, cela n’a guère d’importance. C’est comme pour une grande partie du néoréalisme italien, qui n’est pas réductible aux accointances communistes.

Le cadre c’est la fin de la guerre de 14-18 dans les Balkans. Le saviez-vous, les forces françaises y étaient ?

Le sujet, c’est en partie celui du désarroi de l’armée des appelés, avec pour certains jusqu’à 7 ans dans l’un ou l’autre de ces bourbiers sanglants. Ils n’en peuvent plus. Ils en ont marre et pourtant en France la guerre est déjà finie. Ils ne sont même pas démobilisés et en haut il y a des professionnels placides qui ont tout le temps devant eux. Situation explosive.

Avec ces bisbilles entre l’autorité autoritariste et ces troufions insatisfaits qui veulent au moins profiter du bordel ambiant. Cette apparente bonne foi et abnégation des uns dans des situations extrêmes s’oppose aux ruses et à la mauvaise foi des autres. Et inversement, car chaque camp, gradé ou non, a ses bonnes raisons.

Mais il y a aussi comme épine dorsale du système, l’obéissance absolue, l’intransigeance nécessaire et l’inflexible « raison » militaire. Il faut faire des exemples, la justice a moins d’importance que la traque à l’indiscipline.

De plus, en restant chez les gradés, on traite de la raison du plus haut dans la hiérarchie contre l’étourdissant pouvoir d’un certain panache.

Et enfin on oppose l’humanité fondamentale supposée des humbles contre la froideur des castes dirigeantes, qui elles sont dans le calcul. La mort juste à côté de soi et la lointaine mort arithmétique. En période de conflit, chaque partie ayant ses justifications.

Tout ce mélange fait qu’on est tenté d’y voir pas mal d’autres films et/ou livres qui traitent peu ou prou de ces problèmes. Comme je déteste qu’on aborde un long métrage uniquement en faisant des comparaisons avec les autres créations, je vais me faire discret sur cet angle. Et puis, Tavernier a peut être des défauts mais ce n’est pas un copieur.

  • Mais comme il y un tribunal militaire qui doit statuer et faire des exemples, je vais quand même évoquer un titre, rien qu’un seul : Les Sentiers de la gloire. Mais juste pour dire que le procès du lâche dans notre film est aussi intéressant car moins révoltant finalement, que celui des fusillés de Kubrick.

Les scènes de bataille ne sont pas mauvaises du tout pour l’époque. On est pris dans l’urgence de l’action. Depuis on a fait plus cru et mieux.

  • Là je suis forcé de citer la bouleversante intro du Soldat Ryan.

Ce qui m’a sans doute perturbé dans Conan, c’est une certaine indétermination, voire un flottement. Où veulent-ils en venir ?

Cela finit par atteindre la forme. Mais j’ai sans doute tort sur le fond. Car bien que les situations soient critiques et demandent des décisions fortes, il est sans doute vrai, que même dans ces circonstances, tout peut basculer dans un sens ou d’un autre, sans forcément qu’il y ait de bonnes explications pour cela. Question de caractère, question d’opportunité, question de hasard, question de règlement.

Les acteurs sont formidables, de ce côté il n’y rien à redire. Ils investissent vraiment cette époque, en tout cas autant qu’on puisse en juger. Il faudrait là quand même relire les grands écrivains témoins, pour certifier cela.

Je ne vais pas les citer tous. Mais comme ils sont au centre du film, qu’ils dépassent par leur psychologie certains des aléas exposés de la guerre, qu’on ne voit finalement qu’eux, je m’attarde un peu.

– Philippe Torreton incarne avec panache ce Capitaine Conan. C’est plus qu’un soldat, un véritable guerrier à l’ancienne. C’est dit dans le film et peu de critiques se dispenseront de ce raccourci explicite.

C’est à la fois un héros, dans sa catégorie, qui ne craint pas de prendre des risques calculés contre l’ennemi. Mais c’est aussi un franc tireur lucide, qui sort parfois des clous. Il aime s’entourer de gaillards qui n’ont pas froid aux yeux, voire de des repris de justice.

Ses talents sont multiples : le goût du métier, un courage exceptionnel, une vraie humanité, un sens profond de l’amitié, une grande connaissance des hommes et bien entendu de l’intelligence et de l’instinct.

Mais il est aussi assez borderline quant à la hiérarchie militaire. Il s’affranchit facilement des codes. Il va le plus loin qu’il peut en s’appuyant sur le capital que procure ses faits d’armes. Ce grand chasseur est constamment à la recherche de femelles. Il sait leur parler, il sait les payer et il sait les aimer. J’en profite pour saluer les belles et talentueuses actrices roumaines dont Crina Muresan.

Un tel « morceau » ne peut que perdre les pédales, de retour à l’étriquée vie civile. Le sanglier aura du mal à redevenir un simple cochon.

– Samuel Le Bihan est un lieutenant honnête qui fait le pont entre les deux mondes. Il défend la logique militaire tout en faisant preuve de compréhension et de tolérance pour les soldats qui ont failli. Mais il est sans pitié pour ceux qui ont violé, tué des innocents et/ou pillé. Son jeu ferme et mesuré est vraiment épatant (on parlait comme cela à l’époque)

– Bernard Le Coq nous fait un lieutenant formidable. Intelligent, combatif et prudent à la fois, il donne à voir à merveille ce que peut être un aristocrate au combat. Notre homme est « racé ». Il est surprenant que ce réalisateur clairement à gauche (toute ?) ait eu cette faiblesse pour un tel personnage. Je n’avais pas conscience du potentiel de cet acteur, que l’on voit un peu trop souvent dans des séries pas trop reluisantes.

– Claude Rich nous manque. On peut commencer par là.

Il est ici un vieux général un peu débordé, et par la situation militaire et par son cousinage envahissant. Un beau rôle qu’il tient à merveille.

– Catherine Rich est fidèle à elle même avec ce côté bourgeoise déterminée.

– François Berléand a un pied dedans, un pied dehors, comme à son habitude. Mais cette ambivalence sert son rôle de commandant.

– André Falcon, un vieux de la vieille qui a pas mal roulé sa bosse dans les seconds rôles, est un colonel comme un autre. Il fait le job, comme on dit.

– Claude Brosset nous joue un aumônier attentif et sympathique doublé d’un bon joueur de carte. Parfaitement crédible le bougre.

J’arrive au bout (de ces 130 minutes).

Je ne vais surtout pas chercher un message ou une thèse dans ce film. D’autres céderont à cette tentation, j’en ai aucun doute. On ne manquera pas d’en tirer un « saloperie de guerre », ce qui sera hors sujet à mon avis. Le Capitaine Conan aime indubitablement la guerre. Le personnage incarné par Samuel Le Bihan se débrouille pas mal dans ces circonstances, il y trouve des caractères qui l’enrichissent, lui le licencié en Lettres. Et même s’il a goûté à la fraternité d’armes, bien sûr qu’il préfère la paix et la cité. En dehors de la troupe et des civils, il faut bien avouer que peu de protagonistes détestent réellement le conflit.

Ce n’est donc pas si antimilitariste que cela.

Il faudra quand même se donner la peine de lire le Goncourt éponyme de Roger Vercel (1934) pour se permettre de causer « enjeux ». Mais combien de critiques s’en donneront la peine. Pas moi en tout cas… ou alors dans bien longtemps.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Capitaine_Conan

Philippe Torreton
Samuel Le Bihan
Bernard Le Coq

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