Pour chacun d’entre nous, il est difficile de détrôner le Maigret qui nous a plu en premier. Ainsi, je ne vous cache pas mon parti pris pour l’interprétation de Bruno Crémer.
Ce qui compte ici comme ailleurs c’est d’abord l’oeuvre que l’on doit au brillant Siménon. Avec un minimum de respect, pas mal de versions qui déclinent le travail princeps de l’écrivain sont défendables.
Il en est de même pour les beaux opéras classiques, le premier « flash » est resté gravé dans nos têtes.
- Pour la Flûte enchantée c’est … Taureau Ailé diront certains…
- Pour Don Juan c’est … Don Giovanni (Glyndebourne Festival Opera) Derek Bailey 2001
- Pour La Création de Haydn … Die Schöpfung 1969 Berliner Philharmoniker / Wiener Singverein / Karajan
En réalité ce principe s’étend à de nombreux sujets. Par exemple les voitures !
La Maserati Ghibli 4,9LSS de 1971 s’est vendue 268 200 € en 2016 chez Artcurial. Un chiffre absolument fou pour une voiture bien moins efficace que celles d’aujourd’hui. Il y a bien un fort biais émotionnel.
- C’est le même modèle qui a enthousiasmé ma jeunesse, lorsqu’elle était conduite par Maurice Ronet dans La_Piscine_(film) de Jacques Deray. Les Maserati de maintenant ne m’emballent pas plus que cela. Je fais donc une fixette classique pour ce qui a induit les plus fortes émotions de mon enfance.
D’autres seront bloqués à des époques différentes, selon leur âge et leurs émois.
- On connait le texte fameux de Roland Barthes sur la DS19 en 1957 (*) barthes-parle-de-la-citroen-ds-19
Toutes ses fortes attirances sont en rapport avec un mécanisme d’imprégnation, comme pour les Oies_de_Konrad Lorenz. Notre cerveau porte l’empreinte des premières impressions les plus importantes. Si Lorenz s’affiche en premier devant les oies qui viennent de naître, alors elles le choisiront comme figure maternelle et le suivront désormais partout.
Il y a fort à parier que les neurosciences débrouilleront cela et qu’on en restera pas à cet empirisme de 1930. On sait déjà par la destruction sélective (chez l’oiseau) que ces processus neurobiologiques concernant l’empreinte se situent dans l’hyperstriatum ou HVC. Mais il faut aller plus loin que ces coups de marteau sur le cerveau.
Les choix de Maigret qui suivent seront bien entendu subjectifs et largement conditionnés. Mais en peut-il en être autrement :
(*) Barthes : La nouvelle Citroën tombe manifestement du ciel dans la mesure où elle se présente d’abord comme un objet superlatif. Il ne faut pas oublier que l’objet est le meilleur messager de la surnature: il y a facilement dans l’objet, à la fois une perfection et une absence d’origine, une clôture et une brillance, une transformation de la vie en matière (la matière est bien plus magique que la vie), et pour tout dire un silence qui appartient à l’ordre du merveilleux. La «Déesse» a tous les caractères (du moins le public commence-t-il par les lui prêter unanimement) d’un de ces objets descendus d’un autre univers, qui ont alimenté la néomanie du XVIIIe siècle et celle de notre science-fiction: la Déesse est d’abord un nouveau Nautilus.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Oies_de_Lorenz
https://fr.wikipedia.org/wiki/Empreinte_(psychologie)
https://www.cairn.info/revue-enfance-2007-1-page-35.htm
Neurosciences_et_memoires_collectives_les_schemas_entre_cerveau_societes_et_cultures
https://www.autocult.fr/2015/quand-roland-barthes-parle-de-la-citroen-ds-19/
