Avis. Le Garçu. Résumé. Pialat, Depardieu, pères et fils. Force de la vérité. 8/10

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Avec ce dernier film, Pialat peut nous redire bien en face : « Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus » Comme il l’a fait à Cannes face aux huées avec sa palme d’or en 1987 pour Sous le soleil de Satan.

Pialat est un mauvais coucheur. Il a mis ce titre énigmatique et étriqué, rien que pour nous embêter.

Notre sale époque favorise les crétin(e)s moralistes et autres donneurs (donneuses) de leçons. Il est clair que de nos jours, ce Depardieu dominateur, en particulier en ce qui concerne ses femmes, serait fustigé. Moi je le trouve criant de réalisme et j’apprécie que ce couple Pialat/Depardieu arrive aussi loin.

  • Les films ne sont pas des leçons de morales. Il faut être fou, comme les organisateurs des Oscars, pour penser autrement et s’arroger le droit de stériliser la création.
  • Sous la gouvernance psychique et médiatique de nos nouveaux commissaires du peuple, ne peut subsister qu’un égalitarisme plat. Rangez votre différence, votre personnalité, votre caractère. Qu’importe le consentement mutuel. Ce qui compte c’est le dogme, la norme et son accomplissement. Comme la grande prêtrise joue sa peau avec cela, et qu’au fond il ne s’agit que de petits caporaux prétentieux et stupides, elle ne peut devenir que plus intolérante et radicale.
  • A leur encontre, je peux lancer : « Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus ».
  • Pialat qui affiche nettement sa différence avec le conformisme ordinaire, et qui en reçoit en retour tant d’hostilité, est une sorte de Raymond Aron de son temps (*)

L’intransigeant Pialat change de pays (on lit Mauritius sur la casquette Île Maurice), de ville, sans même nous prévenir. Et la dernière scène du film survient sur un moment anodin, non conclusif, sans « chute » finale. Déroutant pour ceux qui sont intoxiqués aux récits démonstratifs. Ici c’est la vie, et il est très arbitraire d’en délimiter une portion. Je soutiens sa démarche que je trouve très éclairée.

En dehors des scènes les plus dramatiques, il y a des moments ordinaires d’une incroyable intensité. C’est le cas pour pratiquement tous les moments où le petit est filmé. Le cadeau du camion électrique n’a rien d’anodin, quand on voit les implications dans le trio d’adultes. Même la petite scène au bistrot où le gamin est autorisé à récupérer les chutes de jambon sous la machine a énormément d’importance.

Là, Pialat est un Nabi, un visionnaire, il voit l’essence des choses. Comme dans une œuvre de Vuillard, dont Huxley disait le « Dharma-Body se manifeste dans une chambre à coucher bourgeoise » (The Doors of Perception).

Si vous ne percevez pas cela, c’est que vous n’êtes pas encore en capacité de comprendre l’irréductibilité du réalisateur ; ça viendra !

Depardieu « habite » le personnage, comme on le dit communément. Mais là c’est autrement, cela prend un caractère fusionnel. Le Gérard du film est le Gérard réel et les deux sont Pialat. L’auteur pousse la communion à un tel niveau que le fils de Gérard, n’est autre que le vrai fils Antoine de Pialat. D’ailleurs on a rarement vu un tel niveau d’amour paternel/filial, que dans ce trio là. Chacun ayant dans sa tête un questionnement permanent sur son propre passé. Le garçu pouvant être grand-père, père ou fils.

Que le père soit présent ou non qu’importe. Gérard aura de longues absences. « mais Antoine sait bien qui est son père », ce qui est une phrase étonnante compte tenu de la complexité de la fusion précitée.

Revenons à la vie amoureuse de Gérard. Il dit avec sincérité que ce qui compte avant tout c’est l’amour physique. Une passion également, mais dont on a bien du mal à soustraire les autres sentiments. A ce niveau, l’amour uniquement charnel n’existe pas. C’est juste une position de principe pour signifier qu’on refuse l’asservissement sentimental. Et d’ailleurs ses femmes ne s’y trompent pas. Cet être est lourd et envahissant par moments. Mais il est libre et puissant. Il envoie énormément et se montre généreux. Il n’a rien à voir avec l’amant servile de sa femme. Et c’est bien pour cela que cette configuration affective complexe est pertinente.

Ceci aurait des liens directs avec la vie même de Pialat. Ces mises à nu sont donc nécessaires. On ne fait pas du cinéma ici. Mais on touche à l’essentiel. En théorie on devrait s’incliner.

Vu de loin, il semble que Pialat nous montre des situations bien classiques : le triangle amoureux, le coucheries, les petits crises conjugales, les séparations, les rabibochages, les rivalités de coq, les rapports père-fils, les amitiés villageoises, le grotesque funéraire…

Mais il le fait avec concision, sans moraline et même avec un certaine indétermination. C’est très fort. Cela donne une puissance incroyable à son propos. On est loin d’une certaine « gentillesse » de la Nouvelle Vague. Impossible à confondre.

(*) Pialat : « Je ne vais pas faillir à ma réputation, je suis surtout content ce soir pour tous les cris et les sifflets que vous m’adressez. »  « Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus ». « Ce sont des crétins, des sales gens, il faut le dire, on ne dit jamais rien en France »

https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Gar%C3%A7u

https://fr.wikipedia.org/wiki/Maurice_Pialat

https://fr.wikipedia.org/wiki/Raymond_Aron


Géraldine Pailhas
Gérard DepardieuDominique Rocheteau, Antoine Pialat (fils de Maurice Pialat)
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