Confident Royal (Victoria and Abdul) (2017) 6/10

Temps de lecture : 4 minutes

Bon d’accord, c’est sympathique.

Mais ce buzz-biopic me semble un peu trop facile. Et surtout, on sent que l’histoire a été largement contrainte, pour se plier aux besoins d’un film manichéen et clairement grand public.

Il y a sans doute des grandes lignes qui se tiennent, en tout cas espérons le. Mais le récit est surtout anecdotique et fait de petits riens. C’est pourquoi je doute que tout ait été rapporté dans ces termes précis, avec tous ces détails là. Il a fallu en faire des aménagements et du remplissage ! Ils ont manifestement brodés.

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On apprendrait, après déclassification d’archives, un secret énorme et bien gardé. Ça c’est le buzz.

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Passons à ce supposé biopic.

En fin de règne, la grosse et vilaine reine Victoria s’est entichée d’un serviteur indien, qui passait là presque par hasard, alors qu’il était en transit.

  • Ce n’est pas la première fois qu’elle s’entiche d’un domestique depuis son veuvage. Il y a eu précédemment le serviteur écossais, John Brown. Et cela a fait jaser aussi. Mais de cela, on ne parle pas ici.

Elle apprécie « le beau visage sérieux » de ce beau gars, qui a le teint hâlé du « sous-continent » et veut en savoir plus. En raison de quiproquos, elle le prend même pour un Hindou lettré. Or c’est un homme basique et qui est musulman. Il vient même d’une fraction virulente, qui veut en découdre avec le régime colonial. C’est donc un homme potentiellement dangereux, déjà pour des raisons diplomatiques.

Mais lui même – si on adhère au récit – est plutôt un doux romantique épris de belles choses. Il nourrirait une réelle affection pour la vieille. Il se proclameLe Munshi et est reconnu comme tel.C’est à dire qu’il se prend pour un sage oriental éclairé par Allah. Il devient de ce fait, le confident éclairé de la monarque obèse et maladive. Une sorte de gourou modeste qui éclaire sa conscience, sans la bousculer du tout. Il lui parle de belles choses de là-bas et du Taj Mahal avec sa jolie histoire d’amour éternel, à faire pleurer une Lady Diana. Il lui fait connaître les mets de son pays, curry, dahl etc

En finissant par s’incruster, il aurait fini par avoir une position d’influence dans les circuits royaux, au grand dam de la cour et du futur héritier du trône. Mais le film lui rend grâce et en fait plutôt un Raspoutine inoffensif, qui aurait juste permis à la reine de finir agréablement ses derniers moments. Tout cela reste au conditionnel ici, mais est relaté comme une vérité indiscutable dans le film.

Ce qui n’est pas clairement souligné, c’est que cette affaire aurait duré 15 ans. Et que le bonhomme aurait été beaucoup plus intriguant. C’est lui qui aurait réclamé des promotions, en jouant son vexé : il terminera avec le titre de Commandeur de l’ordre royal de Victoria, l’Ordre de l’Empire des Indes, et Compagnon de l’ordre de l’Empire des Indes… plus le cadeau d’une belle concession lucrative aux Indes. Il y a plusieurs magouilles pas claires à son crédit. Ce qui est sûr c’est qu’il devenu très riche.

On présente la reine comme une grande tolérante, en lutte contre un entourage coincé et raciste. Elle arrive à faire front contre les cabales de toutes sortes, visant à faire virer l’Indien et ce malgré sa santé précaire et son grand âge. Elle aurait déjoué une charge visant à la détrôner et qui prétextait sa sénilité. L’argumentation ce se serait appuyée sur les prodigalités et titres qu’elle lui a accordé.

Le long métrage donne l’impression que c’est un point capital de son histoire, alors que sur wikipédia, par exemple, Mohammed Abdul Karim n’occupe que deux lignes dans son très long règne (plus de 63 ans). Et il n’est qu’une sorte de fou du roi madré au sein d’un ensemble de 1 milliard de sujets. C’est loin d’être la seule préoccupation de la reine.

Certes elle va obliquer franchement dans l’orientalisme moghol. Allant jusqu’à se faire une pièce dans ce style avec au centre une reconstitution du trône du Paon. Ce dernier ayant été affublé dans le temps du Koh-I Nor le fameux diamant de 105,6 carats … qui est justement en sa possession. Mais ce n’est pas de cela qui est le plus essentiel de sa gouvernance. C’est juste un « détail » qui n’a pas changé la vie du royaume uni ou de l’empire colonial.

La thèse en faveur de l’affirmation émancipatrice semble bien actuelle et peu crédible pour l’époque. C’est un peu une vieille baby-boomeuse friquée et puissante qui décide de n’en faire qu’à sa tête, dans l’esprit libertaire et relativiste de cette génération. Avec ce que cela suppose comme dédain pour les conventions et la société. Je n’y crois pas plus que cela.

Et puis c’est toujours le même canevas scénaristique. L’entourage de la souveraine est flatteur et obséquieux, mais en réalité il ne pense(rait) qu’à son intérêt. Et puis arrive un être innocent et désintéressé. Et bien entendu, il apporte la fraîcheur et la lumière.

Judi Dench, la M des James Bond, vient au secours de sa majesté et incidemment redore la monarchie actuelle. Du coup les Britanniques ont bien aimé cette OPA de la couronne. Je ne doute pas que Élisabeth II renvoie l’ascenseur et l’anoblisse un jour…

  • … je viens de regarder sur Wikipédia, elle l’est déjà, anoblie ! Elle est même Dame commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique dès 1988 (Knight / Dame Commander of the British Empire). C’est donc Judi Dench qui renvoie l’ascenseur !

La prise de vue est royale, en ce sens qu’elle nous montre de beaux décors, de beaux intérieurs. Mais cela aussi on finit par s’en lasser. On fait mieux d’ailleurs maintenant, en images de synthèse (il y en a aussi dans le film mais pour les plans d’ensemble de type XIXe siècle).

Décidément le réalisateur Stephen Frears est bien inégal.

C’est triste à dire mais n’importe quel épisode de la série Indian Summer vaut cent fois mieux, avec ce goût judicieusement épicé, qui concorde bien davantage avec l’esprit de la colonisation indienne.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Confident_royal

Judi Dench
Ali Fazal
Eddie Izzard

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