Green Book – routes du Sud (2018) 5/10 bien-pensance commerciale

Temps de lecture : 5 minutes

Attention arnaque aux sentiments :

Soutenir la “cause” antiraciste, n’oblige pas à soutenir le film. Méfiez vous de ces amalgames !

Règlement de compte :

Il faut avoir le courage de régler son compte à un certain type de « film-produit ».

On peut parler de produit, quand on devine un peu trop facilement tous les ingrédients d’une recette de box-office facile.

Green Book me semble faire clairement partie de cette catégorie.

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A l’affiche, c’est un film très US, sous la forme d’un biopic prometteur sur un grand artiste noir au début des années 60. Un musicien qui lie dans son art, une sérieuse culture classique et du jazz évolué. Les morceaux que l’on peut écouter dans le film de ce jazz-classique sont d’ailleurs assez brillants.

Cette aussi une itinérance initiatique. Un road-movie qui traverse l’Amérique et permet ainsi de voir les fortes nuances de la ségrégation ambiante, des états du nord plus cool aux états sudistes les plus hard.

Mais c’est enfin l’histoire d’une amitié naissante entre un musicien noir cultivé très upper class et son chauffeur, un italo-américain de la base.

On a organisé ici un choc des cultures et des mondes. La rencontre entre une sorte d’élégant Obama de l’époque, copain avec Bobby Kennedy, et un rude employé de boite, on ne peut plus blanc. Ils vont partager quelques semaines de leur vie, nuits et jours.

C’est au départ le voyage du Prince Tamino et de Papageno, avec l’homme pensant d’un côté et de l’autre l’homme qui se laisse vivre sans se poser trop de questions. Ça pourrait être un bon départ pour un conte philosophique.

Ici c’est plus modeste et chacun fera un pas vers l’autre. Le noir acceptera de partager un Kentucky Fried Chicken bien gras et le blanc finira par faire des lettres à sa femme pleines de métaphores qui se veulent poétiques. Du Shakespeare !

Il y a donc plein de bonnes intentions dans tout cela. Un peu trop pour être honnête, sans doute.

C’est pourquoi on doit se demander si tout cela n’est pas juste l’attirail destiné à nous séduire.

Et en effet, à mon humble avis, le film n’est pas à la hauteur des présupposés.

Deux heures dix de spectacle.

En dehors de l’accélération finale dont nous reparlerons, c’est un film lent, long et somme toute trop plan-plan et consensuel.

Les bons et les méchants sont clairement identifiables par le spectateur du 21ème siècle, à qui on a bien fait depuis la leçon sur les bienfaits de la mixité.

Les situations sont éminemment prévisibles. On sait très bien dès le début qu’il y aura des incompréhensions et des bagarres, qu’on assistera au racisme ordinaire et extra-ordinaire, que la police sera le plus souvent corrompue.

Et comme le voyage dure longtemps et qu’il faut occuper le spectateur, la voiture tombera en panne, il y aura une crevaison, des conditions difficiles et quelques rayons de soleil.

On se doute aussi que le frustre sera progressivement « conscientisé » et qu’au bout du tunnel, il y aura comme dans presque tous les films US de ce genre, une grande messe et un espoir de rédemption.

La Culture avec un grand C, comme elle est vue dans ce film, c’est vraiment un florilège de codes sociaux distinctifs. Rien de plus.

Et même si la musique est souvent bien défendue avec de belles interprétations, elle peut devenir un phénomène de foire culturelle. Comme par exemple, cet étalage de virtuosité de musique classique par le Prince, dans une boite obscure réservée aux noirs. Puis dans la foulée une prestation qui se continue frénétiquement debout au piano à la Jerry Lee Lewis.

Il y a du pathos dans le scénario, en particulier pour celui qui n’est « pas assez noir pour les noirs et pas assez blanc pour les blancs ». Mais aussi quand la police pas vraiment bienveillante, le retrouve en position « délicate » avec un jeune homme blanc.

Dans le fond, c’est à nouveau cette idéologie des bons sentiments qui brisent les digues, l’apologie de la volonté, la survalorisation de l’homme seul qui se dresse contre le système.

Archi-conventionnel et un peu écœurant quand c’est instrumentalisé ainsi. A l’instar des gros gâteaux US trop pleins de crème et de sucre !

Le film veut à tout prix nous émouvoir. Il fait appel à l’injustice démonstrative et criante et donc facilement décryptage par tout un chacun.

Comme dans ce grand restaurant blanc où le musicien noir est attendu pour être respectueusement écouté et applaudi, mais dans lequel il n’a pas le droit de manger. Oh le scandale !

Le chauffeur défendant son patron se fâche tout rouge, car il est là aussi pour nous représenter tous avec sa sainte colère.

Bien sûr que tout cela est vrai ou très plausible et qu’on a un devoir d’empathie. Ce n’est pas bien difficile de s’identifier et d’être du bon côté quand on est au 21ème siècle. Mais qu’en était-il alors chez les spectateurs moyens de sud profond ? Anachronisme et manque d’analyse.

C’est juste une ficelle sentimentale de plus dans ce « produit ».

C’est quasi imparable, quand il y a des bons sentiments, il y a d’une part une prime automatique au film et d’autre part vous êtes en situation très inconfortable pour critiquer. C’est vous qui risquez de passer alors pour le méchant ! D’ailleurs la critique a été globalement très gentille. Imparable ?

Le dernier quart d’heure du film me paraît révélateur.

Il est fait de « petits suspenses » bien orchestrés et destinés à mettre le spectateur en condition pour l’apothéose finale.

Je veux bien croire que les grandes lignes du scénario du biopic ont un rapport avec la réalité. Mais pour ce qui suit, c’est plus douteux. Et pourtant c’est sans doute la plus grande charge émotionnelle du film. Vous avez dit « produit » ?

D’abord on a bien insisté pour nous dire que le chauffeur ne serait payé que s’il assure la présence du musicien à tous les spectacles. Pas un ne doit manquer. Suspense, va-t-il ne va-t-il pas ? Donc on retient son souffle.

Ensuite le chauffeur est supposé assister au final au repas de Noël, dans sa famille. Famille complète qu’il n’a pas vu depuis des semaines. Suspense, va-t-il ne va-t-il pas ? Les obstacles s’accumulent.

La police mobile qui n’a pas été gentille la première fois dans le sud les arrête à nouveau dans le nord, en plein élan. Alors, alors ?

Il y a une crevaison mal venue. Mince !

La neige tombe abondamment, le chauffeur n’arrive plus à conduire, tant il est fatigué. Ah la la ! Que faire ? Comment vont-ils s’en sortir ?

Pour ajouter à la tension, on rajoute le suspense du Noël du Prince noir. Va-t-il être seul ? Sera-t-il avec son boy ? Va-t-il rejoindre la grande messe ? La porte s’ouvre. Ah non, cette fois c’est l’oncle et la tante machin…

Cela finit donc en énième avatar de la cinématographique « magie de Noël ».

On doit quand même s’éloigner de l’histoire originale des protagonistes.

C’est cousu de fils blancs.

C’est en fait un mécanisme de charge pulsionnelle, on ne peut plus classique.

Une sorte de machine à pistons émotionnels, qui vont de haut en bas pour augmenter la pression, dans un rythme de plus en plus rapide, jusqu’à l’indispensable décharge cathartique qui va apaiser le spectateur.

La plupart d’entre nous peuvent se laisser berner. Pourquoi retenir cette petite larme de happy-end ?

En tout cas, dans cette confusion, on peut garder la vague impression, que c’est un film qui serait bon car il a fait du bien à l’âme.

Messieurs les producteurs vous êtes des coquins.

Viggo Mortensen joue bien. Un peu trop italien peut-être pour notre blondinet américain d’origine danoise.

Mahershala Ali me semble assez raide. Une sorte d’Eddie Murphy un brin coincé et un tantinet trop sérieux. Bon d’accord, j’exagère un peu là.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Green_Book_:_Sur_les_routes_du_Sud

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