Il Bidone (1955) 8.5/10 Fellini meilleur illusionniste

Temps de lecture : 4 minutes

Le seul point faible du film est ce titre qui s’avère un faux-ami en français. Franchement personne ne se bidonne ici. Il faut dire à décharge, que la traduction par « l’Arnaque » était déjà prise.

L’incroyable force de ce film tient de cet équilibre subtil, malgré la multiplicité des points de vue.

Nous avons à faire à un trio d’escrocs.

Ils se suffisent à eux-mêmes. Il n’ont pas besoin d’être chapeauté par une grande organisation. C’est du domaine de la petite entreprise.

Vues du bas de l’échelle du brigandage, leurs techniques peuvent passer pour finaudes. Mais considérées à hauteur de caïd, cela reste du travail assez basique et qui ne rapporte pas tant que cela.

  • Les astuces pour soutirer des sous aux naïfs sont bien expliquées et semblent pertinentes. Soit Fellini s’est exercé à cet art jadis, soit il s’est bien rencardé.

En fait nos petits truands rament. Ils rapportent des sous, mais les dépensent assez rapidement. Ils aiment le panache. Ils doivent se mentir à eux mêmes et à leurs proches. Chacun aurait bien voulu se débrouiller autrement. Ils ne sont pas sans talents.

1) Le chef de l’équipe est maintenant plutôt âgé pour ce type d’exercices. (Broderick Crawford)

Dans une arnaque qu’ils ont mis au point il joue un Monsignore. Il a le physique bonhomme de l’emploi.

  • Celui-ci, aidé des ses assistants, apporte une bonne nouvelle à des paysans isolés. Un trésor a été caché dans leur champ par un bandit qui s’est confessé avant de mourir. Pour expier il doit donner ce beau cadeau aux propriétaires des lieux, il a consigné cela par écrit. Mais les légataires devront faire dire 500 messes payantes pour son salut.
  • Les péquenots n’ont pas trop de difficulté à voir que le contenu de ce beau coffre qu’ils exhument, vaut des centaines de fois plus que les messes qu’ils doivent avancer aux prélats.
  • Toutes les objections sont prévues et la bande criminelle arrivent facilement à les convaincre.

Cet ancien a une fille de 18 ans dont il ne s’occupe pas du tout. Elle vit chez sa mère et voudrait entreprendre des études. Il la revoit par hasard, après quelques années. Il l’invite et lui promet monts et merveilles, avec sa faconde « professionnelle ». Il apportera la caution pour qu’elle puisse faire un parcours universitaire.

Il va retrouver un ancien pote de galère, qui lui a superbement réussi dans le commerce de la drogue.

Notre pauvre homme aux aguets, n’arrive même pas à retenir son attention, pour un projet « honnête » qui pourrait lui faire sortir la tête de l’eau.

  • C’est triste à mourir, un peu comme ce repas qu’on refuse à un catcheur qui livre son dernier combat, et dont il a tant besoin tellement il est faible (Jack London)

Plus tard il retourne provisoirement à la case prison, pour une sale histoire de faux antibiotiques, qui ont fait périr un malade pigeon. Il est arrêté devant sa fille, qui est ainsi couverte de honte.

2) Un autre caractère est un jeune homme souriant et avenant. (Richard Basehart). C’est bon pour ce type de combines. Son espoir à lui serait de vendre ses toiles. Mais personne n’en veut. Sa femme est incarnée par Giulietta Masina, la propre femme de Fellini.

  • Comme toujours elle est un pôle d’innocence et de sincérité. Une conscience et une balise, comme dans chacun de ses films.

Elle se doute bien de quelque chose. Et lors d’une funeste sortie en (mauvaise) société, elle va se rendre compte que l’argent qui arrivait, ne tombait pas du ciel, que les affaires de son mari sont plus que louches. La voilà brisée. Comment réparer cela. Le jeune fait la promesse de retourner dans le droit chemin.

3) Le troisième homme est un robuste beau gars. Un séducteur qui n’a aucun mal à embobiner les filles. Une bonne graine de proxénète. Son bagout l’aide grandement dans ses « affaires » (Franco Fabrizi)

Lui se ridiculisera auprès de plus méchants que lui, en subtilisant bêtement un étui à cigarettes en or. Il devra le rendre comme un enfant pris la main dans le pot de confiote. En transalpin cela se dit aller à Canossa.

Chacun aspire à des jours meilleurs, mais se contente de petits forfaits et de gloriole auprès de leurs confrères. Ils font des courbettes devant des engeances qui ont mieux réussi qu’eux. Les principes hiérarchiques sont à peu près les mêmes de l’autre côté du miroir.

Tous ces épisodes sont distrayants et/ou émouvants.

Mais le final à double détente est le morceau de bravoure.

Il nous ramène au point de départ. La même arnaque au trésor est mise en place. Tout a l’air de se passer à peu près aussi bien que la dernière fois.

A ceci près que ces manants ont une fille paralysée qui a eu la polyo. Elle est toute aussi sublimement intacte et pleine d’espérances, que ne l’est la propre fille du vieux brigand. C’est poignant. Elle attend du Monsignor, un miracle. Lui ne peut que détourner le regard tellement il a honte.

Les truands repartent. Le vieux a le butin sur lui. Questionné il prétend qu’il a craqué et qu’il n’a pas eu le courage de déposséder ces malheureux. Il a rendu l’argent.

Ses comparses sont furieux contre lui et ne se gênent pas pour lui faire sentir. Ils n’arrivent pas à croire que ce vieux salaud puisse avoir des états d’âme.

Ils ne savent pas encore que l’ancien en a pour sa propre fille et que maintenant il est prêt à endurer n’importe quoi pour elle.

Cette fin mélodramatique est admirable. On peut la voir et la revoir, tout en connaissant la conclusion, et pourtant à chaque fois être ému et admiratif.

Fellini Maître es-cinéma

Fellini est un des rares grands maîtres du cinéma. Un de ceux qui ne s’exprime jamais pour ne rien dire. Chaque film complémente son œuvre.

Il y en a peu qui arrivent à mettre autant de significations dans leur production. Bien sûr que c’est aussi un saltimbanque, une illusionniste.

En se ressourçant dans ces magnifiques longs-métrages, on mesure la vacuité d’autres films plus contemporains, pour lesquels on a eu des indulgences, faute de combattants.

  • C’est comme quand sa voisine que l’on croyait belle, se trouve à présent très dévaluée en présence d’un vrai canon.
  • C’est comme quand sa voisine que l’on croyait intelligente, se mesure à une vraie intellectuelle.
  • Quelles déceptions ! (« amies » féministes vous avez le droit de décliner cela au masculin)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Il_bidone

https://www.lemonde.fr/archives/article/1956


Broderick Crawford

Richard Basehart
Franco Fabrizi
Giulietta Masina
Envoi
User Review
0% (0 votes)

Laisser un commentaire