Analyse. Sept Ans de réflexion, Wilder, Marilyn, code Hays, morale, monogamie, usure du couple. 8/10

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L’amour dure trois ans ? Sept ans ? … Quelques heures ?

Monogamie et usure du couple.

I) Frédéric Beigbeder nous avait infligé un mauvais film, L’amour dure trois ans, en 2011. Le propos central est basé pourtant sur une intuition assez consistante. Celle d’un amour passion assez passager.

  • Beigbeder restera cinq ans avec sa première épouse, jusqu’en 1996. Un an après son premier divorce, en 1997, il sort son livre L’amour dure trois ans. On peut imaginer qu’il a subi deux dernières années de galère, si l’on suit son raisonnement. Il dit d’ailleurs fêter ses divorces.

Notre touche à tout, qui s’intéresse à la publicité, a su s’emparer d’un slogan bien vendeur.

Il paraît que depuis qu’il a fait ce buzz, il s’est amendé. Il tolère désormais des années de bonheur en plus. Ce qui est sans doute un habile acte diplomatique à géométrie variable, pour ne pas endommager ses relations bien à lui.

II) Plus prudent, le réalisateur Billy Wilder transige sur sept ans, avant la fameuse crise du couple. En 1955, il ne fallait pas aller trop loin. C’était l’époque maudite du code Hays, pendant laquelle il n’était officiellement pas question de flatter l’adultère, surtout précoce. On laisse donc les protagonistes s’écarter le plus possible de la ligne officiel, pour mieux les rattraper, puis les faire revenir dans les rails bien graissés de la morale. Personne de sensé n’est dupe, bien entendu.

Ce jeu subtile et borderline avec la censure donne ce fameux film Sept ans de réflexion (The Seven Year Itch).

III) Poussé à l’extrême l’amour pourrait se résumer à la conquête et s’éteindre très peu de temps après. C’est le donjuanisme.

En fait, ce qui est évalué, c’est la monogamie, avec son corollaire à plus ou moins long terme, l’usure prévisible du couple cadenassé. Pour tenter de contrer cela, les Américains ont inventé les « accessoires » et ce conseiller conjugal qui est chargé de réinventer l’attirance dans l’intimité. Peine perdue. Ce trio avec le professionnel ne marchera pas non plus. Et à moins d’assouvir une perversité, les accessoires seront vains, voire toxiques.

Reste la tendresse… et/ou l’abstinence une fois atteint l’âge de la résignation organique.

En tout cas, je vois les choses comme cela. Je ne suis pas le seul. Confer par exemple Arthur Schopenhauer et sa vigoureuse Métaphysique de l’amour.

***

C’est l’été et l’ascétique Tom Ewell continue à travailler, pendant que sa femme et son fils sont partis en vacances au frais. Il a des principes auxquels il se cramponne. Pas de femmes, pas d’alcool et pas de cigarettes.

Soumis à la tentation, toutes ces barrières menacent de tomber. L’interdit sur les clopes et le champagne sera balayé, lorsque sa voisine Marilyn Monroe entrera dans son champ de vision et qu’elle acceptera son invitation.

Comme d’habitude, l’actrice joue la femme fatale involontaire. Elle est présente dans les revues et à la télé pour une pub de dentifrice, ce qui conforte son statut iconique. Cette femme laiteuse et fortement désirable, a un coeur d’or mais aussi une naïveté inconcevable. Il y aurait donc une « ouverture ». Quel mâle pourrait ne pas en tenir compte ?

Le personnage joué par Ewell, est un homme conventionnel, fidèle et obéissant. Il n’est pas versé dans la drague. Cet Américain on ne peut plus moyen, procède selon des clichés tenaces de son temps. Ses écarts sont contenus à jamais dans ses fantasmes.

Pour aller au delà des limites permises, il mise beaucoup sur le concerto pour piano no 2 de Rachmaninov, dont il pense que les effets romantiques sont imparables. Ce n’est pas faux. Mais pas de bol, elle préfère Elvis Presley. La scène caricaturale vaut son pesant de pellicule en or.

Un autre scène, supposée mythique, montre les deux de sortie, et la belle qui se fait des frissons sous la ceinture grâce, au vent chaud d’une grille de métro. De nos jours cette « audace » indéniablement sexuelle, mais si peu, ferait sourire. Le code Hays qui sévit de 1934 à 1966, commence à avoir du mal à endiguer ce type d’atteinte, quasi insaisissable, à la morale.

Soumis à de si formidables contraintes, le pauvre « Richard », qui a une vie assez théorique et souvent fantasmée, se retrouve avec une paranoïa culpabilisante.

Il se voit dénoncé partout, comme une sorte de satire qui tente inutilement de masquer ses méfaits. Or pour l’instant, il n’a rien consommé du tout. Ce péché par intention est lourd. Il s’imagine être l’anti-héros du Portrait de Dorian Gray (Wilde 1890). Le masque cachant sa profonde lubricité va-t-il tomber ?

Un vieux psychiatre passant par là constate son désarroi, mais voit aussi la beauté de la pin-up visée, dans une revue. Il lui conseille de… l’aborder la prochaine fois sur autre chose qu’un petit siège instable de piano.

Marilyn, qui n’est sans doute pas aussi neutre qu’on le pense, se refroidit en s’exposant à un frigo ouvert. Elle dit avoir 22 ans, mais l’actrice en a déjà visiblement plus.

***

Ce film, qui joue de l’attirance sexuelle et de la frustration, fut un immense succès en salle, avec pourtant une mise de fond modeste. Voilà de quoi réjouir la Fox.

Billy Wilder démontre que la moraline, avec son cortège d’hypocrisie, est susceptible de craquer. Qu’importe que Richard choisisse de se ranger. La digue a reçu un tel coup, qu’elle va finir par s’effondrer. C’est pour cela que le film, qui a ses faiblesses, se voit hisser à la note de 8/10.

A noter que Wilder n’aimait pas son film, pour lequel il s’était senti corseté et sur le choix des acteurs et sur l’élan à donner.

Billy Wilder :

« C’est un film inexistant et je vais vous dire pourquoi. C’est un film inexistant parce que le film devrait être tourné aujourd’hui sans la moindre censure. Ce fut un film embarrassant à faire. A moins que le mari, demeuré seul à New York alors que sa femme et son fils sont partis pour l’été, n’ait une aventure avec la jeune fille, il n’y a rien. Mais vous ne pouviez pas le tourner ainsi à l’époque ; j’étais donc comme dans une camisole de force. Rien n’a fonctionné et la seule chose que je peux dire est que j’aurais aimé ne jamais avoir tourné le film ».

https://fr.wikipedia.org/wiki/Sept_Ans_de_r%C3%A9flexion

https://en.wikipedia.org/wiki/The_Seven_Year_Itch

https://fr.wikipedia.org/wiki/Elvis_Presley

https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Portrait_de_Dorian_Gray

https://fr.wikipedia.org/wiki/Code_Hays

https://fr.wikipedia.org/wiki/Arthur_Schopenhauer

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