La bataille de Paris (2020) Election d’Anne Hidalgo

Temps de lecture : 7 minutes

De la fabrique du vide, du moralisme stérile, à la désertion des politiques .

(Attention, mon analyse est longuette et verbeuse. Et comme critique de « film » c’est un peu tiré par les cheveux – promis, là prochaine fois je rentre dans le rang)

La bataille de l’info.

Les élections municipales, dont celles de Paris, sont a priori un sujet mineur. Le nombre de balayeuses, la propreté des trottoirs , les travaux urbains… autant de thèmes qui ne vont pas changer la face du monde et l’avenir de l’humanité. C’est juste une question d’intendance.

Pourtant, ce scrutin pourrait bien concerner ceux qui s’intéressent à l’envahissant système audio-visuel, dans nos prises de décision.. ou notre grandissante abstention. Il est question là de l’emballement médiatique actuel et de ses conséquences.

Pas question pourtant d’évaluer ici, en profondeur, les « acteurs » ou le « scénario ». Qui se soucie au fond de lui-même, de l’influence supposée d’un Griveaux, Villani, Dati… Buzyn ? En particulier dans notre petite vie provinciale.

La critique du « film » est ici une critique des phénomènes qui l’accompagnent.

Il s’agit plutôt même d’une méta-critique du système d’information. N’ayez pas peur, méta-critique n’est pas un gros mot.

Dans la première bataille de Paris, les premières forces en présence, c’est le quatrième pouvoir. Ce sont bien sûr les différents médias. La question centrale devient : dans cette lutte d’influence, qui va gagner, de la télé, de la radio, des journaux ou d’Internet ?

On assiste bien à un combat et c’est épique. Il faut tenter d’attirer avec un minimum de contenu et de sens, un maximum de téléspectateurs, d’auditeurs, de lecteurs ou de cliqueurs/clickeurs. D’où l’idée d’une inflation d’informations racoleuses et superficielles.

La télé.

La télévision avec sa prétendue déontologie, ne part pas gagnante. Il lui est interdit de montrer par exemple la fameuse sexe-vidéo qui compromet Griveaux. Donc elle tourne autour du pot. Elle fait comme elle peut, ne sachant pas grand-chose au fond. Une sorte de suspense du vide.

Sur ce média, en haut du panier (de crabes?), on a par exemple des aréopages de chroniqueurs, vissés au siège des émissions de « fond ». On peut citer en exemple C dans l’air. Là, ils se donnent des airs de grands témoins savants. Ceux qui auraient du recul. La contre-plongée flatte ces intercesseurs entre le ciel et la terre. Dans le fond, ils regardent de haut cette pauvre humanité. Ils se prennent un peu pour les guides/contremaîtres du peuple. Et je sais bien qu’ils ne sont pas manipulés par je ne sais quelle main visible ou non. Il ne reçoivent pas directement leurs ordres d’en haut. C’est plutôt une sorte d’inconscient collectif, soutenu par une ligne éditoriale, qui fait qu’on tourne en rond d’une chaîne à l’autre. Le règne des commentateurs, au détriment des experts.

Certains d’entre eux, ceux qui fréquentent le gratin du domaine des Dieux, sont à même de nous faire l’honneur d’une confidence off des puissants. Merci beaucoup à vous les Danube de l’info.

Nous autres, les humbles spectateurs applaudissons souvent le brio de ces tragédiens-comédiens. Ils ne sont pas méchants. Certains sont même intéressants. Ils sont professionnels, très actor studio, la voix claire, l’œil savamment plissé… Quand ils feignent de s’écharper entre eux, les répliques sont assez convenues. « je vous ai laissé parlé, laissez moi parler maintenant » etc. C’est un spectacle distrayant, avec ici où là une vraie belle idée tout de même.

Là où on atteint un haut degré de comique, et qui se rapproche de notre sujet, c’est quand ils n’ont rien à nous servir. Faute de grives, ils se rabattent sur un débat sur ce qu’on est en droit de dire ou montrer. Nous, on n’a rien à dire et donc le débat devient, est-ce que les autres ont le droit de parler. Le serpent se mord la queue. Ils peuvent régler leur compte à des médias plus délurés.

Nos vieux chevaux de retour, jouent parfois aux pucelles effarouchées. La position morale tonitruante leur permet d’occuper le terrain, de rester sur la scène. Ils ne parlent somme toute que de ce qu’ils préfèrent, leur monde à eux.

On peut classer dans cette catégorie, les longs reportages décalés. Ils sont supposés nous informer encore plus pleinement. Ils rament davantage souvent. La scénarisation et le story telling leur fabriquent une apparente cohérence.

L’étage du dessous est occupé par les grands rendez-vous de l’info, que sont le journal du matin, le 13h et le 20h. Ils sont courageux, car l’info est déjà bien présente sur Internet, bien avant. Finalement, ils n’apportent pas grand-chose. Et comme de surcroît, ils sont distancés par l’info en continu, ils n’ont comme parade que de mettre des « scoops » en bandeaux, en temps réel. Tous ces commentateurs auront tôt ou tard de la notoriété. Même Monsieur ou Madame météo, deviendra une vedette affirmée et bankable. On se bagarre pour un strapontin. La notoriété nourrit la notoriété, même ou surtout si rien d’autre ne l’alimente (*)

A signaler un certain esprit « fonctionnaire ». Nos vedettes de l’écran se cooptent entre elles. Elles s’attribuent d’ailleurs volonté des médailles. Au bout de quelques années les ficelles sont usées. On voit bien que nos héros sont fatigués et fatigants. On sent qu’ils se forcent dans leur prétendu intérêt sur les sujets qu’ils développent. Mais le problème, c’est qu’ils sont indéboulonnables. L’emploi à vie !

Alors que l’heure est au dégagisme, eux seuls ne bougent pas d’un centimètre. Ils ont développé toute une stratégie pour rester en place. Si on tente de les déplacer, ils crient au scandale politique. Ils sont aidés par leur propre porte voix médiatique. Si l’audimat plonge, ils vont voir cela comme un bien. Ils revendiqueront un certain élitisme. Ils ne sont pas à la portée de tout le monde. Ce n’est pas du tout le cas pour les acteurs comédiens du monde réel. Ceux là, quand ils ont fait leur temps, on les vire et voilà. Sauf peut-être dans le théâtre subventionné.

Les chaînes d’info permanente sont un supplice. Elles ont développé une véritable science de ne rien dire au fond, tout en maintenant une pression constante. Elles sont aidées en cela par une scénarisation catastrophe et une piste sonore volontairement inquiétante et énervante. Ces dealers de l’info font tout pour développer accoutumance et dépendance. On se surprend parfois à chercher, comme des drogués, le nombre croissant de morts d’une catastrophe, ou les anecdotes les plus perverses. Mauvais symptômes, si vous en êtes là, il n’y plus guère à espérer. Peut-être une cure de désintox sans télé, sans média, pendant 1 mois ?

On ne peut pas passer sous silence, en particulier au sujet des scandales, le rôle des émissions humoristiques. Il paraît qu’elles ont de l’influence même sur la vie réelle et donc sur les décisions des électeurs. La prime sera au plus grimaçant. Le fameux esprit Canal + est fait de dérision, de ricanements, de parodies, et de démolition permanente. Ces techniques faciles ont empoisonné l’audiovisuel pendant des décennies. L’esprit de routine et la paresse aidant, le mal semble incurable.

Résultat des courses ? Les médias officiels sont bridés, ils ne peuvent pas tout dire. Et souvent ils n’ont rien à dire mais doivent à tout prix tenter d’occuper le terrain. Faire mousser trois fois rien, simuler une tempête pour le moindre verre d’eau, mettre en scène du vide, pour ne pas disparaître.

De plus ils tendent à privilégier les journalistes les plus brillants de la société du spectacle, au détriment des contenus. On assiste davantage à un défilé d’égos et de flatteries, ou coups de griffes réciproques. On retrouve parfois avec plaisir nos lutteurs de foire.

La radio.

La radio ne fait guerre mieux, puisqu’elle copie les différents modèles précédents. Que ce soit de l’info en continu ou pour des émissions plus poussées. Quant à l’humour il faut quand même signaler le travail croustillant de Laurent Guerra. Il réussit à mettre de la poésie dans une critique acerbe. Et puisqu’on parle des élections municipales parisiennes, il faut signaler son acharnement sur le(a) mair(e) Hidalgo. La mise en cause permanente de la saleté de Paris et des embarras de la capitale auront sans doute un effet. Effet négatif ? Pas certain, il paraît que Chirac a été sauvé à un moment par sa marionnette aux Guignols. Etre critiqué est cent fois plus porteur, que d’être oublié.

Les journaux.

Les journaux nationaux ? Qui en lit encore, en tout cas sur papier ? L’info du jour est celle de la veille au mieux. Combat perdu. Seules restent les chroniques. Là encore, l’écrit bien conçu fait des merveilles. Un petite petite réserve dans laquelle on peut humer de la littérature et du talent. Le seul hic, c’est qu’en fonction du journal auquel on est abonné, on sert toujours le même présupposé d’idées. Un des derniers repères des clivages affirmés gauche / droite.

La PQR (presse régionale) ne tient que par les pages sportives locales, les égos des ténors du coin, et la page mortuaire. Avec cela, elle est d’ailleurs en meilleure santé que la presse nationale !

Internet.

Internet pourrait être le salut du journalisme écrit. Les agrégateurs d’informations, comme Google Actualités, permettent non seulement d’avoir une info relativement fraîche, mais encore de pouvoir comparer ces infos d’un journal en ligne à l’autre. Et donc a priori de croiser les infos, pour s’assurer de leur solidité.

En théorie seulement, car en réalité, on se rend vite compte que les infos et leur hiérarchisation sont partout les mêmes, ou presque. La sinistre réalité, c’est que les journaux, dans leur grande majorité, ne font que retransmettre et enjoliver à leur manière, des dépêches d’agences. C’est vrai pour 99 % de l’info, quel que soit le média d’ailleurs .

Mais Internet c’est aussi la langue d’Ésope, la meilleure et la pire des choses en matière de cancans et bruit de fond.

Ainsi les acharnés trouveront les sources les plus pures mais aussi les torrents de boue les plus scabreux.

D’abord, il y règne plus qu’ailleurs, une désinformation affirmée, quasi institutionnelle. Celle qu’on prête par exemple aux Russes, dans l’inflexion des grands scrutins internationaux.

Ensuite, c’est le niveau de prétendus contre-pouvoirs. Des mineurs/démineurs, des pompiers/pyromanes, du genre de Médiapart. Ils sont tous aussi prétentieux que les médias officiels… dont ils sont issus. De simples successeurs des brûlots quasi institutionnels, de type Canard Enchaîné. De simples déversoirs pour des collaborateurs du pouvoir, en général jaloux, haineux et rancuniers.

Puis, il y a la puissance incroyable des complotistes de la toile, des trolls et autres oiseaux de malheur. Ils prospèrent sur le fumier de la désagrégation du politique et des autorités. Ce sont les fil(le)s du relativisme. Tout se vaut et en particulier son contraire. Ils privilégient l’instinct, la sauvagerie, l’intuition naïve contre le contre-intuitif élaboré. Eux, ils savent. C’est le comminatoire principe d’autorité.

Ils privilégient toujours le raccourci grossier contre la complexité du labyrinthe. On connaît la phrase de Valéry : « Tout ce qui est simple est faux, mais tout ce qui ne l’est pas est inutilisable » ou bien celles de Goebbels, souvent reprises imprudemment par ceux qui n’en connaissent pas la source, «Plus le mensonge est gros, plus il est répété et plus il deviendra la vérité. » et « un mensonge répété mille fois se transforme en vérité ».

C’est un ouragan. A tel point que nos médias officiels ont flairé l’aubaine. Ils ont créé une rubrique contre la désinformation d’Internet.

Enfin, il y a de vraies sources, non officielles cette fois. Comme cette fameuse vidéo de Griveaux en fâcheuse posture. Vous l’avez trouvé, vous ?

Je serais tenté de rajouter ici, un petit post-scriptum : je n’ai pas parlé de l’influence du microcosme des cercles restreints. Les comptoirs sur lesquels on s’échange de la philosophie brute de décoffrage, la tablée d’amis, ces deux oreillers qui recueillent nos confidences, les groupes de discussion… Et pourtant les présentes divagations vont avant tout animer ces canaux. Cette ultime étape de l’information, a-t-elle de l’importance ? Fait-elle avancer les choses ou juste la doxa ?

Je vous épargne un chapitre sur les buzz words dont « porn revenge ». Il y aurait pourtant beaucoup à dire.

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