La nuit des longs couteaux : une tombée dans la barbarie (2020) 8/10

Temps de lecture : 5 minutes

Un reportage très intéressant sur les tenants et les aboutissants de ce week-end sanglant. Les conséquences ont largement dépassé, le simple règlement de compte interne et la réorganisation des instances nazies, avec mise au pas des SA.

  • On ne pas juste se dire, c’est bien comme cela, ces mafieux se tuent entre eux et cela en fait autant de moins.

En réalité cela a été bien au-delà :

Hitler a profité de cette occasion pour promulguer des lois d’exception rétroactives. Ce qui a mené à la dictature absolue.

Il en a aussi fait supprimer dans la foulée des opposants politiques très gênants, qui n’avaient rien à voir avec les SA. Comme l’ancien chancelier Kurt von Schleicher, mais aussi le résistant catholique Erich Klausener et Herbert von Bose, un proche collaborateur de von Papen et clair opposant aux Nazis. Pour ne citer que ces têtes d’affiche.

Röhm chef des SA, est le frère d’armes d’Hitler. Ils s’estiment et se respectent. Ils s’adressent des serments éternels. Certains diront que cela a été son seul ami.

Cet ancien capitaine, en qui il a toute confiance, l’a conduit dans ce putsch raté de 1923 à Munich, lui le caporal. Röhm se faisait des illusions. L’armée n’a pas suivi. Cette erreur de jugement a valu de la prison à Hitler et Hess. Ce qui nous a donné Mein Kampf, comme tout le monde le sait.

Röhm s’est exilé en Amérique du sud. Mais il a été rappelé en 1930 par Hitler, qui considérait qu’il était le seul capable de remettre de l’ordre dans les SA.

Ce service para-militaire était d’inspiration révolutionnaire et anti-bourgeois. Röhm en avait déjà été le chef. Cette reprise en main a été au-delà de toutes espérances. Cette organisation a tellement prospéré qu’elle a compté plus de 4.500.000 de membres, alors que l’armée régulière était limitée à 100.000 selon les accords internationaux. Et donc les revendications « sociales » des chefs d’une telle masse, devenaient inquiétantes.

Hitler, sur les premières marches du pouvoir, avait à choisir entre les conservateurs associés aux chefs d’industrie et à l’armée, et d’encombrants révolutionnaires d’extrême droite, certes en plus grand nombre, mais qui voulaient faire table rase et changer l’ordre de la société en faveur des couches laborieuses. De plus, cette base semait souvent la pagaille dans les villes.

L’extrême gauche avait déjà été supprimée. Soit par assassinat, soit par les camps.

Le Fuhrer n’avait à présent en tête que la revanche et la conquête d’espaces vitaux, par la guerre, et son combat contre les juifs.

L’idéologie révolutionnaire anti-capitaliste, qui s’appuyait sur les ouvriers maltraités, lui avait permis de monter les échelons. Surtout après le grand mécontentement qui a fait suite à la crise économique de 1929. Il y a même eu des revendications quasi bolivariennes vers la fin. Il était question chez les SA, de s’attaquer au pouvoir des grands propriétaires industriels et fonciers et de redistribution de terres.

Mais à présent en 1934, contrairement à Röhm, Hitler considérait cette « révolution » terminée. Il avait plus à attendre du capital et de l’armée. Le choix était simple.

Il a entrepris un important travail préparatoire de fond, pour juguler les SA. Il s’est basé sur les plus fidèles SS – une branche des SA, dont les renseignements de la SD et l’appareil de la Gestapo, pour établir une liste des principaux leaders à éliminer. Il s’agissait de rouages clefs, de personnes susceptibles de lui mettre les bâtons dans les roues.

Heinrich Himmler, Reinhard Heydrich et Hermann Göring ont alors inventé de toutes pièces, une tentative de coup d’état, qui aurait été ourdie par Röhm.

Toutes les antennes SA du pays ont été concernés par les assassinats. Et même si au final cela n’a concerné que de petites centaines de personnes, l’entreprise terroriste a parfaitement rempli son rôle.

Alors qu’il était Chancelier, il est venu lui-même, le pistolet au point, à la pension Hanselbauer à Bad Wiessee (détruite en 2017), pour arrêter Röhm, qui a été jeté en prison. Cette intervention personnelle du chef de gouvernement est absolument incroyable !

D’autres dignitaires ont été tués sur place. La dénonciation de la « trahison » et de l’homosexualité de participants est soulignée par Hitler. Il fera un long discours pour mettre dans sa poche, de nombreux SA, lors de leur réunion traditionnelle à Munich. Là encore ce fut un gros coup de Poker.

Avec au final, la reprise d’un pactole de 4.500.000 militants.

Le documentaire relate aussi irrésistible ascension du Führer, qui a réussi à se faufiler jusqu’au sommet en jouant le jeu des élections démocratiques au départ. Le président Hindenburg a fini par accepter de le nommer à la tête de l’exécutif, mais en lui adjoignant une grande majorité de ministres qui n’étaient pas nazis. Il pensait ainsi limiter les dégâts. Le renard maléfique a parfaitement su gérer la situation, en intimidant les uns et les autres par la rue, dont il était le maître. Les lois d’exception sur l’ennemi intérieur ont fait le reste.

Hitler sentait parfaitement le vent et n’a loupé aucune occasion qui se présentait pour arriver à ses fins. Je ne sais toujours pas si Hitler, ce psychopathe autiste paranoïaque hystérique et haineux, était supérieurement intelligent et calculateur (Asperger?) ou remarquablement intuitif et donc juste opportuniste, ou les deux ? En tout cas dans cette ascension comme dans ces premières annexions, il a été redoutablement efficace (*)

A partir de là l’organisation criminelle nazie a occupé tout l’appareil étatique. Le pays était désormais sans défense. Comme le hurle Rudolf Hess : « le parti c’est d’Hitler, mais l’Allemagne est Hitler et Hitler est l’Allemagne (Die Partei ist Hitler, aber Deutschland ist Hitler und Hitler Ist Deutschland) »

A la mort du président Hindenburg, il en profite pour fusionner la fonction de chef du gouvernement et de président.

Hitler a les mains libres pour passer aux étapes internationales suivantes.

Le récit est habillement composé de morceaux de films de l’époque et de réflexions de chercheurs français, allemands et d’autres pays. Un des Français se lâche dans un psychologisme approximatif et inutile. Mais dans l’ensemble ils sont bons et contribuent à donner une vision d’ensemble cohérente.

Par contre, la voix off féminine est franchement agaçante. Mais qu’est-ce qui leur prend tous, à ces commentateurs occasionnels, à prendre en permanence des accents compassionnels ou moraux ? C’est un mal français cela aussi.

  • On voit cela chez ces couples de « journalistes-troncs » qui égrainent l’actualité dans une connivence triste, comme si les malheurs les touchaient personnellement. Il ferait bien d’adopter cette nécessaire neutralité de leurs homologues de la BBC.
  • On pense au fameux sketch de Coluche : «Quand y a un avion qui s’écrase dans le monde, c’est sur les pompes à Roger Gicquel [présentateur TV de l’époque].» Rien n’a changé depuis !

Ce thème de la nuit des Longs Couteaux est relaté dans l’excellent film de Visconti, Les Damnés (1969)

  • (*) On peut s’interroger comme Semprun (un intellectuel de premier plan, ancien prisonnier de Dora)  sur la “flamboyante modernité du nazisme” ou comme Hannah Arendt sur “la banalité du mal“. Ce sont deux approches contre-intuitives mais essentielles. De la même manière, il n’est pas inutile de questionner “l’intelligence d’Hitler” et/ou son état psychique.
  • Ce n’est évidement pas pour le glorifier, mais pour comprendre comment le piège qu’il a tendu a si bien réussi. Je ne crois pas tant à l’atavisme allemand. D’autant plus qu’on peut chercher les racines de l’antisémitisme et du suprémacisme chez des précurseurs français. Le contexte a bien sûr une immense importance. Mais il a été indiscutablement “the right man, in the right place”, en tout cas pour commettre ses méfaits.
  • Il y a des analyses psychologiques d’Hitler dûment documentées, mais aux conclusions très différentes l’une de l’autre. C’est pourquoi j’ai amalgamé cela dans une phrases que j’augmente régulièrement : “Hitler, ce psychopathe autiste paranoïaque hystérique et haineux, était-il supérieurement intelligent et calculateur (Asperger?) ou remarquablement intuitif et donc juste opportuniste, ou les deux ? En tout cas dans cette ascension comme dans ces premières annexions, il a été redoutablement efficace.”

https://fr.wikipedia.org/wiki/Psychologie_d%27Adolf_Hitler

inspiré de https://en.wikipedia.org/wiki/Psychopathography_of_Adolf_Hitler

il y en a d’autres sur sa santé :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Sant%C3%A9_d%27Adolf_Hitler

https://fr.wikipedia.org/wiki/Nuit_des_Longs_Couteaux

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