Paterson (2016) 7.5/10 Jim Jarmusch

Temps de lecture : 3 minutes

Un film de Jim Jarmusch (*), réservé exclusivement aux poètes amoureux. Pas d’intrigue, pas suspense… rien. Juste une chaleureuse philosophie du quotidien, diaphane et volatile.

Paterson est le titre du film, le nom du caractère principal, et celui de la ville.

Un petit bourg qui a connu quelques vraies célébrités. Dont un poète, William Carlos Williams, dont il est régulièrement question ici. La poésie est l’âme du film.

C’est le récit délicat, de jour en jour, d’un amour serein, que rien ne doit blesser, que tout élève. Surtout les petites choses. Le bon dieu se cache dans les détails.

La femme aimée est bien interprétée par Golshifteh Farahani.


Dès qu’elle en a l’occasion, elle peint de beaux motifs, sur tout l’intérieur du nid. Les rideaux, les murs, les tapis, les coussins, les portes… Toujours à la frontière entre le décoratif acceptable et l’art pur et brutal. Il en est de même de ses plats un peu expérimentaux, comme celui à base de cheddar et de choux de Bruxelles.

Mais pourquoi il y aurait-il une frontière de l’acceptable, dans ces vies cachées de nos maisons ? L’amour dans sa tolérance presque infinie, pourrait abolir certaines barrières. Comme le « bon goût ».


Et puis, elle réussit une vente de ses gâteaux artistiquement décorés, à la foire du week-end. Une fierté immense et communicative, l’envahit. Cette petite chose, a valeur d’exploit héroïque. Lui acquiesce à ça. Pas que l’amour rende aveugle. Mais plutôt que l’amour transcende l’ordinaire. Et c’est bien l’extraordinaire qu’ils veulent approcher.

La jeune amante souhaite une guitare arlequin. C’est sans doute un peu cher.

Et que dire de ce rêve de devenir, grâce à cet instrument et quelques CD, la meilleure chanteuse de country ? En partant de rien ! Une boutade, une parabole, un désir fou ?

Cette demande occasionne un léger froncement de sourcils de l’amant, au salaire modeste. Mais soit… il ne dit rien. Il revient en lui-même et en ressort confiant. Il sait que réaliser ce souhait est essentiel à tous les deux.


Dernière demande de la dame. Que ce garçon poète distrait, dont elle estime au plus haut point le travail, fasse une copie de son carnet de poésie secret. On ne sait jamais.

Mais le temps passe et rien n’est fait.

Et quand ce carnet sera détruit par leur chien – un des rares « évènement » du film – aucun « je te l’avais dit » n’est jamais prononcé. Toujours le désir de ne pas blesser, de part et d’autre.

Et puis, il dit ce qu’il doit dire : « c’était juste des mots ».

La poésie du vivant et de l’ordinaire. Subtile essence.

Lui, est un conducteur de bus à l’écoute. Il est bien interprété par Adam Driver. Il absorbe des bribes de vie dans son autobus. Des songes éveillés, énoncés à haute voix par tout un chacun, sur les sièges de derrière. Avec parfois ces innocentes forfanteries, qui font tant de bien. Des désirs projetés à la face du monde. La belle poésie qui embellit le morne trajet.


Et quand le chauffeur demande à un collègue « comment ça va ? », quelque part il le pense. Et le collègue, en dépit des règles habituelles, le prend au mot. Il lui sort alors toute une litanie de problèmes. La farce des signes et du sens.

Dans ce film, il y a partout ces petits signaux bénéfiques, que s’envoient les êtres. Même les bus se saluent respectueusement, avec de légers coups de klaxon.

La balade rituelle le soir avec le chien est l’occasion de renforcer ce bon liant. Avec cet arrêt au bar, en compagnie d’humbles personnages. Ceux dont la vie, pour ceux qui veulent bien les écouter, font figure d’épopées. Là encore, ce n’est pas un mensonge ou une illusion, c’est simplement la profondeur de tous les êtres. Le génie caché dans le banal.

L’ambiance est soigneusement tricotée, par ces personnes de bonne volonté. La belle vie est à peine troublée un moment, par ce pistolet menaçant, brandi par un soupirant rejeté… mais dont les balles se révèlent en mousse et le revolver est en plastique. Les vagues s’estompent, l’eau redevient calme. Infini pardon, pour cet homme au cœur blessé.

Notre personnage est un poète des mots ordinaires. Pas de rimes, mais de petits haïkus légers, presque imperceptibles. Pas loin du vide, en réalité.

On ne sait pas trop si la traduction nuit au sujet. Et qu’importe. Pour les puristes, les poèmes en anglais sont incrustés à l’écran.

Comme pour conforter qu’il s’agit toujours de ce genre exotique du haïku, c’est un touriste japonais, poète lui-même, qui clôt le film.

Et comme Paterson a refusé de lui avouer qu’il était poète. L’autre qui a deviné son secret, termine par un « hin hin » gentiment moqueur. Et il lui donne un beau carnet vide… la scène, comme tout le film, est une sorte de haïku en soi.

(*) Jim Jarmusch : je recommande vivement son « Down by the law » (1986)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Paterson_(film)

Adam Driver
Golshifteh Farahani

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