Section spéciale. Costa-Gavras et Vichy. Leçons d’histoire. 8/10

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Chic, un Costa-Gavras que je ne connaissais pas encore !

Ce qui est traité dans c’est l’arbitraire d’exécutions d’otages, diligenté par un gouvernement français cynique et pressé. Il s’agit d’ôter la vie à des individus innocents, qu’on prend pour l’exemple, et qui sont sélectionnés au petit bonheur la (mal)chance. Raison d’état.

Il y a donc un côté Sentiers de la gloire. Mais dans notre film nous sommes dans la guerre d’après et les victimes ne sont pas des militaires mais des civils lambda. Et les boches sont désormais du troisième Reich.

Le récit est très bien traité. C’est clair et net, comme toujours avec Costa-Gavras, sans pourtant tomber dans la simplification excessive. Il s’agit de mettre à nu les principaux rouages de cette autre occurrence de Banalité du mal, avec ses dilutions de responsabilité, ses compromissions, ses manipulations.

Comment peut-on en arriver à faire passer sur l’échafaud un quidam qui a collé une simple affichette ou un vendeur de casquette qui s’est emmêlé les pinceaux en changeant d’état civil ?

La précipitation du « gouvernement » français, sis à Vichy, quand il s’agit de punir lui-même des innocents, a de quoi surprendre. Voulait-il, comme il le prétendra plus tard, couper l’herbe sous les pieds des Allemands, ou bien s’agissait-il d’un excès de zèle pour se faire bien voir ?

Il faudrait se référer pour cela à la théorie du bouclier. L’argument avancé consiste à plutôt supprimer soi-même six repris de justice, même s’ils n’ont rien à voir avec les assassinats d’officiers teutons, que de laisser l’occupant zigouiller bien plus de paisibles poissons rouges pris dans les filets. Quoiqu’il en soit, le pouvoir politique et judiciaire va finir par s’asseoir sur des principes fondamentaux, comme la non-rétroactivité d’une loi, l’absence de proportionnalité entre les faits reprochés et la sentence, l’absence de lien entre les actes de terrorisme et les futurs martyrs. Et il paraît que ce petit jeu méphitique a duré toute la guerre.

Il faut rajouter à charge que, nos politiques, qui pensent « purifier » le pays, peuvent plus facilement propager leur « Révolution nationale », grâce à cette terreur qui ne dit pas son nom. Les ministres les plus retors voulaient même des exécutions publiques ! Ce qu’ont refusé les Allemands.

Résultat de ces compromissions, la guerre et le déshonneur.

Les acteurs sont de premier plan et servent à merveille la cause. Le jeu est subtil et montre bien la complexité de la situation. Michael Lonsdale en Pierre Pucheu nous fait un fieffé salaud, Louis Seigner, François Maistre, Pierre Dux, Jacques François, Maurice Gabolde, Claudio Gora,s Claude Piéplu un des pires magistrat, Jacques Perrin, Michel Galabru qui sauve l’honneur, Julien Guiomar, Jean Bouise, Hubert Gignoux, Bruno Cremer, Yves Robert, Jacques Rispal… on a même droit à une courte intervention de Romain Bouteille en soldat allemand ! En étant attentif vous reconnaîtrez aussi Yves Montand, mais il faut faire vite cela ne dure que quelques petites secondes.

On ne présente plus le talentueux réalisateur de Z, L’Aveu, Missing, État de siège… Ce pédagogue occupe un créneau politique sérieux. Il est un des rares à parvenir à nous faire comprendre certains enjeux considérables, grâce à son cinéma très impliqué et très réaliste. Il n’est pas suspect de choisir un camp, à part celui de la justice. Il n’y a pas que l’ultra-droite qui prenne des coups. Il règle son compte avec toutes les dictatures, y compris la communiste, étrangement épargnée par nos intellectuels d’alors.

Section spéciale est une reconstitution historique fidèle à partir d’archives authentiques. Toutes ces personnes ont travaillé pour nous. On se doit d’être particulièrement reconnaissant et attentif.

Une première conclusion ? Aucun des protagonistes ne sera vraiment inquiété. Et les archives françaises sont toujours sous clef.

***

Quelle leçon pour aujourd’hui ? La plupart d’entre nous, une fois passées ses années sombres, ont pensé que c’était la fin de l’histoire, que nous vivions désormais dans un monde apaisé. Cette lutte contre la tyrannie nous paraissait datée. Au mieux années 50-60, au pire l’époque de Louis XVI.

Il faut voir où on en est actuellement, pour comprendre qu’en effet la monopolisation du pouvoir est un risque très sérieux qu’encourent encore les démocraties. On parle désormais de démocratures. On doit donc revenir dare-dare aux fondamentaux si bien soulignés par les Lumières.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Section_sp%C3%A9ciale_(film)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Costa-Gavras

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