Shirley Valentine (1989) 7/10 Lewis Gilbert

Temps de lecture : 4 minutes

Le réalisateur Lewis Gilbert, est connu pour les James Bond. On lui doit “On ne vit que deux fois, L’espion qui m’aimait, Moonraker.”

Révisé ici :


Et là, avec cet opus, il s’est fait un petit plaisir hors limite, loin d’être innocent, et bien plus complexe qu’il n’y parait à première vue.

Comédie ? Romance ?

Pas du tout.
C’est une intrigante perle existentialiste, dans un film pas glamour du tout. Et surtout une leçon de philosophie décontractée.

Shirley Valentine est une modeste femme au foyer, entre deux âges, pas très jolie. Elle n’a jamais vraiment brillé. Ses enfants sont devenus des adultes et sont partis. Elle n’a pour occupation, que de répétitives tâches ménagères. Et elle attend son mari.

Elle habite dans un faubourg de la triste Liverpool. C’est l’usure absolue pour ce couple d’anglais. Ils n’échangent que le strict nécessaire. Ils n’ont plus aucun respect l’un pour l’autre.

Elle est dans la soumission totale et la dépersonnalisation. Elle est pratiquement devenue une chose. D’ailleurs elle parle à ses semblables, les murs.

  • Cette chosification explicite, est un sujet important en philo.

Elle prépare tristement l’immuable repas quotidien, de celui qui a fini par se prendre pour un seigneur :« Moi je travaille, je veux que mon repas soit servi à 18h pile ! ». A chaque jour son menu, et il ne faut absolument pas que cela change. Ces points de détail sont devenus des montagnes. Inverser cet ordre, serait une véritable révolution.

Une première tentative de libération se présente. Elle va servir des œufs, le jour où elle aurait du faire un steak. Le mari dépité, voyant l’ordre cosmique menacé, se conduit en goujat. Humiliation supplémentaire, il lui renverse les œufs dessus. Faisant acte de courage, elle badigeonne avec les jaunes, une affiche de vacances et elle sort de la pièce.

  • “Les Chemins de la liberté” – Là aussi, il y a de quoi philosopher. N’est-ce pas JP ?

Des flash back nous montrent pourtant, que dans son adolescence, elle était déjà une sorte de rebelle.

C’était une mauvaise élève, avec une attitude « nihiliste ». Et tout le monde la voyait comme cela. Et il n’était pas question que cela change. Elle ne pouvait pas et ne devait pas sortir de sa catégorie. Et si un jour elle connaissait la réponse, il n’était pas question qu’elle le montre. Ce point est bien illustré dans une scénette.

  • Nécessité pour sa survie de se conformer à l’ordre des choses. Il y a là matière à penser. Pour Nihilisme et philosophie, je n’ai pas à vous faire un dessin.

Pendant ses études, elle était jalouse et fascinée par les talents d’une jolie blonde, toujours première de la classe et promise à un très grand avenir.


Le hasard a fait qu’elle rencontre la belle, sur un trottoir, bien plus tard. Celle-ci descend d’une Rolls pour se rendre dans un palace. Elle semble parfaitement à sa place. Les deux se feront des confidences. Chacune a en fait rêvé d’être l’autre. Et la plus douée n’a pas du tout eu la belle carrière que l’on attendait. Elle est en fait devenue un prostituée de luxe !

  • Enseignement intéressant quant aux apparences, aux schémas fixes et aux idées convenues que l’on projette sur les êtres.
  • Anecdote : j’ai connu une histoire analogue. A l’école, un élève était toujours le premier de la classe. A un niveau inaccessible pour ceux qui étaient derrière. C’était stratosphérique. De nombreuses années après, je vois un rouquin qui fait la manche place Kléber à Strasbourg. Il me dit quelque chose. C’était lui.

Une amie célibataire vient de gagner une séjour de 15 jours en Grèce. Elle veut emmener Shirley avec elle. Pas question d’en parler au mari, tant elle craint ses remontrances et son opposition.

  • Lorsque sa fille apprendra cela, elle la traitera pratiquement de « salope ». Il faut dire qu’à l’époque, la Grèce était un lieu de tourisme sexuel pour les rombières du nord de l’Europe. Les bien connus Kamakis étaient de jeunes hommes grecs, bridés par les codes moraux très restrictifs du pays. Ils n’avaient comme possibilité que de coucher avec les étrangères. Pour le plaisir ou comme gigolos.

La voilà au soleil de Mikonos, dans un modeste hôtel de la côte. Femme seule parmi les couples et les familles, elle fait tâche. Deux Anglais pleins de préjugés, se croyant généreux, la font s’asseoir à leur table. Ils égrainent les sottises prétentieuses. Du très classique à l’époque. Le mépris de l’autochtone, de sa cuisine et de ses coutumes était la règle chez de nombreux touristes.

  • Xénophobie, un concept grec ? Xénophobie inversée toutefois. Ici, c’est le petit corps étranger qui rejette l’organisme qui l’accueille, et non l’inverse.

« Orgueil et Préjugés » .. ah ça non, c’est du Jane Austen, rien à voir avec la philo.

Elle s’essaye à son rêve de toujours, boire un verre de vin au soleil couchant sur la plage. Mais cette expérience, loin de lui redonner le sourire, la ramène à ce qu’elle est devenue, à sa tristesse fondamentale, à “La Nausée” de sa vie.

  • Du « vécu » sartrien, dans le pays de naissance de la philosophie. C’est très intéressant aussi, cette notion de vie rêvée, de projection, d’espérance et de réalité.

Un restaurateur grec la voyant déprimée, lui propose avec une extrême gentillesse, de lui faire une promenade en bateau le lendemain. Tout en lui promettant qu’il ne va pas la draguer et qu’il ne fait pas ça pour « la baise » (dixit). Bien qu’il n’hésite pas à lui dire, qu’à ses yeux, cette femme (défraîchie) soit désirable. La balade nautique est merveilleuse. Et dans ce climat délicieux, elle cède avec bonheur.

Par la suite on verra que le dragueur sort le même joli texte à toutes les touristes qu’il convoite. Ce qui fera plutôt sourire Shirley.

  • Parler au mur et au rocher, parler à ses semblables, le parler vrai, la communication, la vérité extrémiste proférée par le Misanthrope, la relativité du discours, autres leçons de vie.

Deuxième révolution. In extremis, elle décide de ne pas revenir en UK. Pas qu’elle soit amoureuse du kamakis, mais parce qu’elle est à nouveau amoureuse d’elle même. Et donc que le monde lui sourit.

  • « Connais-toi toi même et tu connaîtras l’univers et les dieux », ce n’est pas un Grec qui a dit cela ? (pas forcément Socrate d’ailleurs)
  • Ou bien :
  • « Le contentement de soi, est en réalité, l’objet suprême de notre espérance. » Spinoza.

Le mari viendra pour tenter la reconquérir, sous ce beau soleil, comme un humble prétendant. Sa femme transfigurée sera heureuse de boire ce verre de vin avec lui, sur la plage, au coucher du soleil. La boucle est bouclée.

  • La roue qui tourne, le recommencement, le ressourcement, le cycle perpétuel… je vous l’avais bien dit que l’on était dans la philosophie.

La philosophie est ici modeste, et donc plutôt cachée. Deux profondes vertus pour certains. Et pourtant Jankélévitch aurait écrit sur l’humilité, que « les Grecs n’ont presque pas connu cette vertu ». Pas de quoi annuler son voyage.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Shirley_Valentine

Envoi
User Review
0 (0 votes)

Laisser un commentaire