Sophia Loren Madame Sans-Gêne. Robert Hossein, Maréchal d’Empire et de Rouffach. 8/10

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Heureuse époque où l’on n’hésitait pas à montrer de belles personnes, en état de féminité intégrale ou de masculinité clairement assumée. Sans omettre bien sûr ce qu’il faut de charme et d’intelligence.

  • A présent la représentation de la femme doit se conformer au type indéfini Sandrine Rousseau, sinistre époque. L’homme bridé d’aujourd’hui doit ressembler à un bredouillant Manuel Bompard ou à un autre sot qui ose tout, comme Louis Boyard. Pour n’en citer que quelques uns.

Ce Madame Sans-Gêne (film, 1961) je l’avais vu jeune. Et je pense que je ne l’avais pas compris à l’époque. Sans doute que j’espérais un film de cape et d’épée, tant c’était en vogue dans ce début des années 60.

Alors qu’à bien y regarder, il s’agit d’une magnifique étude de mœurs, à alibi historique, et servie par de grands acteurs.

Le réalisateur Christian-Jaque réalise une fresque grandiose qui dépasse de loin la réalité historique. Et dont la simplification caricaturale en fait la force. L’ensemble est délicieusement naïf à la manière d’un Henri (douanier) Rousseau. Merci le « Technirama » (?).

A la base, il y a cette Révolution française. L’a priori du scénario en fait une affaire exclusive de sans culottes affamés et égalitaristes. Ce qui est faux, puisqu’elle prend sa source chez les philosophes des Lumières. Mais cet aspect populacier et démagogique est tempéré largement par un Napoléon pragmatique et très détaché des idéaux de masse, et qui a l’intelligence d’empocher le pouvoir, en profitant du fait que tout le monde en a marre de la justice expéditive du « bon » peuple. Et il faut avoir un vrai chef militaire, pour marquer le coup, face aux attaques de l’étranger.

Napoléon a emberlificoté les Français qui s’étant débarrassés d’un roi, se retrouvent avec un empereur. Ce bandit corse, est bien moins bête qu’il n’y paraît.

Pas mieux pour les chefs précédents, ces grands organisateurs… qui se sont entretués.

Les débuts du film se moquent vertement de ce petit homme, jugé sans aucun avenir. Chemin faisant, à grands coups de serpe, et en montant toutes les marches, comme montré sur des bandeaux, le voilà devenu un très grand leader. Contrairement à d’autres Lider Maximo, il garde le contact et pas mal de lucidité. En tout cas aux débuts de son règne… et dans cette quasi fiction.

Les faits vérifiables sont ici répartis en pointillés. Ce qui compte, c’est le rapport entre Julien Bertheau en Napoléon Bonaparte et ce couple sympathique et aimant formé par l’immense Sophia Loren (Catherine Hubscher = « Madame Sans-Gêne ») et Robert Hossein en très modeste Maréchal François Joseph Lefebvre. Cette histoire de sentiments fusionnels « en liberté » n’est pas étouffante. Et même Napoléon dit que l’amour a une grande importance y compris après le champ de bataille. Il respecte le “repos” du guerrier.

Sophia Loren crève l’écran, et de par son physique explosif, mais aussi de par sa faconde, ses réparties et son intensité toute naturelle, à nulle autre pareille. C’est une reine véritable qui nous fait le cadeau incroyable de traverser l’écran pour se mettre sur nos genoux. C’est vraiment quelque chose.

Ce rôle lui va à merveille. Mais il ne l’enferme pas. On sait qu’elle arrive à tout jouer. Et qu’elle est elle-même à la fois populaire et princière. Rien à voir avec la « vraie » Maréchale Lefèbvre, duchesse de Dantzig, qui elle était plutôt lourdingue, à tous points de vue.

Mais cette rebelle virtuelle, telle qu’elle est interprétée par Sophia, transfigure le personnage pour en faire un glorieux archétype. C’est presque la Marianne au sein nu, sur les barricades. Et c’est très bien comme cela.

Dans la vraie vie, la Hubscher eut quatorze enfants. La cantinière / blanchisseuse est morte très riche. On est loin de l’image romantique que fabrique le film. Si Christian-Jaque lui octroie son franc-parler – ce qui est véridique – il arrête pudiquement le récit, avant qu’elle ne devienne une mémé satisfaite et pleine aux as.

Ce qu’on a là, c’est un avatar de Madame Sans-Gêne de Victorien Sardou (1893), qui est déjà bien idéalisée. La regrettée Sophie Desmarets l’avait incarné dans la pièce avec gouaille et talent.

Robert Hossein joue étonnamment effacé et assez gamin. Il le fait bien. Et ce gaillard qui est généralement triomphal nous crée un Maréchal timide, gauche et embarrassé. C’est une très bonne initiative, qui a le mérite de laisser 90 % de la place à sa maitresse femme.

Et sa trajectoire lui a permis de gravir à toute vitesse toutes les étapes de sergent à Maréchal d’Empire. Ce qui est montré dans le film comme une calamité, qui lui tombe dessus à son corps défendant. Permettez-moi d’en douter. Il loupe quand même la dernière marche qu’il l’aurait fait Roi de Westphalie (c’est authentique cette histoire ?). C’est Jérôme Bonaparte qui récupère le bébé.

En vrai, dans ses engagements il a grandement aidé Bonaparte, en soumettant par la force les députés, ce que le film ne montre pas. Il a contribué à l’ascension de l’Empereur, mais aussi à sa déchéance, puis à sa réhabilitation lors des Cent-Jours. En fait il n’a pas arrêté de suivre ses intérêts en fonction du vent du moment.

  • Qu’on arrête de dire du mal de Lefebvre. Je tente d’être neutre étant juge et partie, car le Duc est né à Rouffach, comme moi. Et Madame Sans-Gêne vient de Altenbach (dans le Haut-Rhin également, pas loin du tout de là où je vous écris) –

Avec toutes ses infidélités à l’Histoire et ses simplications abusives, le film n’aurait pas du dépasser 6/10 ou 7/10. Mais la flamboyance de Sophia Loren et le contre-jeu de Robert Hossein permet de le propulser à 8/10. Enlevez ces deux acteurs et le film s’effondre.

Mention quand même pour Julien Bertheau en grand patron dont le comportement rusé, sévère mais juste est exactement ce qu’on attend d’un Napo. Renaud Mary fait l’affaire en Fouché. Ne pas oublier non plus plusieurs actrices méditérannéennes et d’autres horizons, qui enchantent nos yeux.

Bien sûr nos critiques censeurs ont fait et font encore la gueule. Mais les presque 3.000.000 d’entrées devraient les rendre plus lucides et plus modestes : « Et c’est pour ça que je me permets d’intimer l’ordre à certains salisseurs de mémoire qu’ils feraient mieux de fermer leur claque-merde ! Ah ! » – Audiard.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Madame_Sans-G%C3%AAne_(film,_1961)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Joseph_Lefebvre

https://fr.wikipedia.org/wiki/Madame_Sans-G%C3%AAne

https://fr.wikipedia.org/wiki/Royaume_de_Westphalie

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