Trois Étrangers. Peter Lorre, Sydney Greenstreet, Geraldine Fitzgerald. 7/10

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Avec ce Three Strangers, qui se base sur une statuette magique, capable d’exaucer les vœux, et sur un billet de PMU forcément gagnant, il y a de quoi faire s’enfuir le plus petit rationaliste d’entre nous.

La tentation de fermer le poste est grande. Mais les courageux qui restent devant l’écran ne le regrettent pas.

Ces fantaisies irrationnelles concernent surtout le début et la fin du long métrage. En 1946, alors qu’on est encore en temps de pénurie, elles permettent de rêver.

On pardonne. Surtout qu’entre les deux extrêmes, il y a pas mal de psychologie, servie par de bons acteurs.

Tout petit bémol d’entrée de jeu. Les acteurs longilignes à moustache fine, à gabardine et à chapeau, se ressemblent vraiment beaucoup, ce qui pour des Français non avertis peut engendrer des confusions.

***

L’idée maîtresse est de réunir en un pacte, trois personnages étrangers l’un à l’autre et qui n’ont pratiquement rien de commun. Ils doivent apprendre à se connaître pour savoir jusqu’à où ils peuvent aller ensemble. Les spectateurs également en sont réduits aux apparences. En tout cas au début. Nous découvrirons progressivement qui ils sont.

– La classieuse Geraldine Fitzgerald participe à fond de la pensée magique. Elle est persuadée que sa lourde divinité exotique Kwan Yin (*), qui trône dans son salon, a la capacité de satisfaire d’importantes demandes, si l’on respecte certaines conditions.

Il faut d’abord réunir à une certaine heure, un certain jour, trois personnes qui ne se connaissent pas. Pour cela elle feint de tapiner dans la rue en bas de chez elle.

– Elle a déjà fait monter le peu regardant Peter Lorre. Lui, en l’état, ferait n’importe quoi pour de l’alcool. Et puis cette superstition l’amuse.

– Le massif Sydney Greenstreet, une sorte d’Orson Welles / Bernard Blier, est un avocat à qui on ne la fait pas. Il sera plus difficile à convaincre, malgré les suggestives œillades. Il ne croit pas du tout au miracle.

Mais il finira par signer le pacte au verso d’un billet de tirage au sort d’un des chevaux de course, lequel peut être le gagnant par la suite (procédure de PMU, qui est assez complexe finalement).

Le risque est minime, puisqu’il suffit à chacun d’assumer un tiers de la petite dépense correspondant à l’acquisition du billet détenu par Peter Lorre. Lui se réjouit puisque les petites sommes rendues, lui permettront de se saouler à nouveau. Il n’en demande pas plus.

Geraldine est guillerette, croyant dur comme fer, qu’elle bénéficiera de sa nouvelle fortune et qu’ainsi elle pourra récupérer son mari, qui s’est réfugié dans les bras d’une autre.

Enfin l’avocat gestionnaire des biens Greenstreet, renflouerait ses mauvais placements, qui risquent de le mener en prison. Même si à ce moment, il ne croit pas du tout à cette histoire à dormir debout.

La suite nous amène à mieux connaître ses personnages. Ils ont tous de grosses casseroles.

Geraldine Fitzgerald est une sorte d’érotomane, qui pense que son mari, joué par Alan Napier, ne peut qu’aimer qu’elle. Alors qu’il a pris ses distances de longue date et qu’il est venu demander le divorce, pour pouvoir se recaser avec une femme plus normale.

Cette femme gentille en apparence est une peste monumentale.

Geraldine va tout faire pour nuire à l’époux défaillant, pensant le récupérer ainsi. Elle le dénigre intelligemment auprès de sa hiérarchie, pour tenter de l’empêcher de repartir à l’étranger.

Elle va raconter des bobards à la prétendante, allant même jusqu’à dire qu’elle s’est réconciliée avec son mari et qu’elle est enceinte de lui. La pauvrette s’enfuit à cause de ces mensonges.

– Ce brave Peter Lorre est aimé de tous. La bibine est son grand point faible. Il s’est fourvoyé dans un casse qui a mal tourné. Contre un peu de cash, il a accepté de faire le guet. Le chef s’est fait serré. Il est en attente d’un procès et compte sur un faux alibi. Mais pour l’instant Lorre et deux acolytes sont dans une planque.

Curieusement, Lorre est présenté comme un séducteur et il emballera la jeune femme Joan Lorring qui participe à ce petit gang.

  • Ce n’est pas la première fois que dans un scénario, il apparaît comme un tombeur de ses dames. Je suis perplexe. Mais je peux comprendre que le charme combiné à l’intelligence puisse l’emporter sur la simple beauté.

– L’avocat cherche à marier in extremis une riche veuve, qui pourrait le renflouer. Il est dans l’angoisse et finit par éveiller les soupçons de la vieille toupie. Elle amène un comptable tiers pour voir ce qu’il a fait de sa fortune. Or il a perdu une partie de son capital. Ça sent le roussi. Il y a urgence. Ce Sydney Greenstreet joue remarquablement bien.

Au fur et à mesure que les situations se tendent pour ces trois personnages, ils commencent à perdre les pédales. Et l’espoir d’un gain avec le ticket, leur paraît de plus en plus bienvenu.

Kwan Yin se révèle une divinité perverse. Sans doute que les intentions du trio ne sont pas assez pures. Elle leur octroie le bon cheval avec un ticket doublement gagnant, mais elle ne permet à aucun de toucher le gros lot.

Greenstreet qui est acculé a absolument besoin de revendre le ticket de présélection avant la course. Dans cette configuration intermédiaire cela vaut déjà de l’or. Geraldine qui veut respecter les rites et les pactes, refuse catégoriquement. Et cela finira très mal pour elle. Lui deviendra fou, dans un épisode qui vaut son pesant de cacahuètes.

Reste notre Peter Lorre qui ne peut encaisser tout seul le ticket de la fortune, vu qu’au dos sont mentionnés les trois propriétaires. Il brûle le ticket, titillant ainsi le pauvre spectateur. Philosophe il se contentera de sa comparse, qui est à présent libre et débarrassée des malfaisants de la bande.

Jean Negulesco est un bon réalisateur. Ce Roumain naturalisé américain, filme comme on devait le faire à l’époque. C’est clair et net et plutôt britannique dans le ton. La présence de l’Anglais Greenstreet contribue à donner cette ambiance là.

A noter que le grand John Huston est coscénariste. Ceci explique pour partie la bonne tenue de l’ensemble.

(*) Kwan Yin ou Guan-Yi, existe « réellement » dans la tradition bouddhiste. « Celle qui observe toutes les souffrances dans le monde » ou « celle qui entend tous les cris de douleurs du monde » est capable d’assurer une compassion infinie. C’est un peu leur Vierge Marie, à la disposition des nécessiteux de toutes sortes. La fortune et tout le reste, valent bien une petite messe.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Trois_%C3%89trangers_(film,_1946)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Geraldine_Fitzgerald

https://fr.wikipedia.org/wiki/Sydney_Greenstreet

https://fr.wikipedia.org/wiki/Peter_Lorre

https://www.objetschinois.com/la-deesse-guan-yi-la-vierge-chinoise_fr.html

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