37°2 le matin (1986) Beineix paradis naïf, Djian enfer lucide. 7/10

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Une “histoire con“, c’est Philippe Djian  qui le dit !

“Une belle enflure” ? Là c’est le journal Le Monde qui se venge.

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Djian est cet écrivain reconnu qui est à la base du livre du même nom et du récit filmé. C’est un amateur éclairé de Céline. Comme lui, il joue des rythmes de phrases, des sonorités des expressions, du sens des mots et de l’Impressionnisme de sa propre palette. Sa « petite musique », posée sur ces belles images, est à même de faire un bel opéra.

Le réalisateur et co-scénariste Jean-Jacques Beineix a su préserver une bonne partie de ces atmosphères, sans se contraindre à respecter tout le plan initial.

Un film plus cul que culte.

Le début de ce film fortement sexué est mouvementé et étonnant. La prise de vue respire à plein poumons. La vie de ces jeunes sans fortes contraintes, paraît belle et même enviable.

Béatrice Dalle et Jean-Hugues Anglade forment un jeune couple non conventionnel et aimant. Ils vivent une relation passionnée. Nus la plupart du temps, ils « baisent » (*) le plus souvent possible. Les images et les mots sont francs, mes écrits le seront aussi.

Un stérilet veille au grain.

Le jeune homme, qui a une formation de plombier, est aussi un écrivain débutant. Il ne croit pas en son talent. Il est plutôt passif et contemplatif. « j’avais appris qu’on pouvait pas vivre sous un ciel sans nuages et je m’en contentais la plupart du temps. J’aurais échangé ma place pour rien au monde. ».

La jeune femme est entière et énergique. A part son intransigeance, il n’y a pas de gros problème de son côté.

C’est « une fleur étrange munie d’antenne translucides et d’un cœur en skaï mauve ». Voilà qui est bien dit. D’ailleurs elle est ici une comédienne impliquée et remarquable.

Cependant, elle semble se perdre dans le lointain : « il faudrait qu’elle comprenne que le Bonheur existe pas, que le Paradis existe pas, qu’il y a rien à gagner ou à perdre et qu’on peut rien changer pour l’essentiel » – C’est écrit comme cela dans le beau livre de Djian.

Les deux vivotent dans un complexe de cabanes, à Gruissan-plage, au bord de la Méditerranée. La saison touristique est terminée. Ils occupent un bungalow en échange de services.

Comme on l’a vu, ils ne sont pas malheureux.

Le garçon résume ainsi : « Moi la vie m’endormait. Elle c’était le contraire. Le mariage de l’eau et du feu, la combinaison idéale pour partir en fumée. »

Ils se sentent libres et c’est leur valeur cardinale. « Se fixer des buts dans la vie, c’est s’entortiller dans des chaînes. »

Mais la belle supporte mal le manque d’ambition de son Zorg. Déjà que « le monde est trop petit pour elle ».

Elle prend les choses en main. Avec son jusqu’au-boutisme, elle s’attelle à dactylographier ses manuscrits. Elle le pousse à essayer de placer son manuscrit chez un éditeur.

Le propriétaire du bungalow est exigeant. Il veut que Jean-Hugues repeigne tous les logis, en tant que paiement de loyer. Le boulot est énorme. Ce qui rend Béatrice furieuse. Elle n’hésite pas à agresser physiquement le logeur. Elle verse un pot de peinture sur sa DS. N’en pouvant plus, elle finit même par mettre le feu au pavillon.

  • Dans ces années post 68, ceci pouvait passer pour une rébellion libertaire, voire un accès de colère anticapitaliste.

Ils n’ont plus rien à faire ici. Ils se barrent et travaillent désormais les deux dans une pizzeria sous les ordres du bienveillant Gérard Darmon. Ce n’est pas la partie du film la mieux jouée. On pourrait même dire qu’à partir de là le film s’enfonce.

Béatrice montre de plus en plus de difficultés à se contrôler. Pourtant son compagnon s’accroche : « Je comprenais jamais tout à fait ce que les gens pouvaient me raconter, mais elle, je pouvais me balader dans ses silences sans risquer de me perdre un seul instant, c’était comme si je descendais une rue en saluant des visages familiers et souriants dans un décor que je connaissais parfaitement bien ».

De fil en aiguille, ils se retrouvent dans un bled paumé avec la charge de surveiller un magasin de pianos.

De plus en plus intransigeante, elle ira jusqu’à blesser le visage d’un critique littéraire avec un peigne. Il a eu le malheur de refuser vertement le livre de son amant. La violence ne résoud rien. Et cela pourrait même passer pour suspect.

A décharge, Sartre et quelques autres, les têtes pensantes du siècle précédent ont décrété que la vie était absurde, qu’il valait mieux casser la baraque que de tenter de faire avec :

« On était bien tous aussi fous les uns que les autres et la vie n’était qu’un tissu d’absurdités. Heureusement qu’il restait les bons moments, tout le monde sait de quoi je veux parler et rien qu’avec ça, la vie valait quand même le coup, le reste avait pas la moindre importance. Dans le fond, n’importe quoi aurait pu arriver sans que ça fasse une grande différence, j’étais convaincu du caractère éphémère de toute chose… »

La place est libre pour les Erostrate qui veulent tout détruire.

Suite à un test, elle se croit enceinte mais la grossesse ne démarre pas vraiment. Là les choses dégénèrent sérieusement.

Elle se replie sur elle même. Désormais elle entend des voix. Ancré dans les a priori des ces décennies, son homme ne prend toujours pas la mesure du désastre.

Et ce n’est pas : « la vie se met contre elle » comme lui et son époque le croient benoîtement, mais tout le contraire. C’est elle qui se barricade.

Cette fausse couche n’est pas « un drame qui la fera définitivement basculer vers la folie » comme j’ai pu le lire, mais un élément précipitant qui révèle le triste état des lieux.

D’ailleurs le héros se goure du tout au tout. Le réalisateur sans doute aussi. Reste à savoir si l’écrivain s’illusionne de la même manière.

On a l’indice d’un certain recul avec ça : « Elle était comme un cheval sauvage qui s’est tranché les jarrets en franchissant une barrière de silex et qui essaie de se relever. Ce qu’elle avait pris pour une prairie ensoleillée n’était en fait qu’un enclos triste et sombre et elle connaissait rien du tout à l’immobilité, elle n’était pas faite pour ça. Mais elle s’accrochait quand même de toutes ses forces, avec la rage au coeur et chaque jour qui passait se chargeait de lui écraser les doigts. ça me faisait mal de voir ça, seulement je ne pouvais rien y faire, elle se retranchait dans un endroit inaccessible où plus rien ni personne ne pouvait l’atteindre. »

En cela, il me semble que le livre est plus neutre que le film.

Non, la passion amoureuse ne sauve pas de la folie.

C’est souvent comme cela dans la vraie vie. Les proches ont du mal à voir les pathologies mentales et leur étendue. De plus tous ces protagonistes, réalisateur compris, doivent être dans cette mouvance, si commune, qui ne croit pas trop à la psychiatrie.

Notre héros voit dans les difficultés de sa compagne, une résultante des problèmes qui se sont accumulés. Comme cela lui semble conjoncturel, il pense peut être que tout peut encore s’inverser.

Mais en fait c’est l’horreur. La fille s’arrache un œil. Elle est internée. Le pauvre Anglade ne croit pas ce que disent les professionnels. Il est contre tous les traitements qui lui sont administrés. Il est vraiment à côté de la plaque. Mais il faut dire que Beineix fait dire n’importe quoi à ce psychiatre.

Sa belle est totalement a-réactive et catatonique. Plutôt que de la laisser comme cela, et dans cette institution qu’il rejette, il préfère l’euthanasier avec un oreiller.

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Quand on voit la façon dont sont traités les questions psychiatriques au cinéma, il y a souvent de quoi se taper la tête contre les murs (hum).

Ici le point de vue adopté au début, lors du développement de la maladie, n’est pas si mal. On ne sait pas trop de quoi il s’agit au juste et on laisse faire. C’est souvent comme cela. C’est bien de montrer ces errances.

Ce qui est plus embarrassant, c’est cette attitude anti-psychiatrique très convenue, telle qu’elle est exposée par la suite.

S’il s’agit ici, comme on peut sérieusement le penser, d’une évolution schizophrénique, il est bien dommage que les signaux alarmants n’aient pas été l’occasion d’une prise en charge plus précoce.

On n’aide pas les familles non plus, en rejetant sans aucun fondement l’aide réelle que peut apporter la médecine.

Que faire de ce nihilisme désabusé où la folie est la norme : « N’empêche que par moments la vie vous offrait un spectacle abominable et où que vous posiez les yeux, c’était la fureur et la folie. C’était charmant, c’était ce qu’il fallait vivre en attendant qu’arrivent la mort, la vieillesse, la maladie, c’était carrément marcher vers l’orage, faire à chaque fois un pas vers la nuit. »

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Je me doute bien qu’en assenant un constat « médical » aussi glaçant, je vais faire échapper toute la poésie immédiatement. Et ce faisant, les nostalgiques de l’époque verront en moi un vieux con, tueur de rêves.

Je sens qu’il existe une troisième voie, à distance égale de la froide observation clinique et de l’anti-romantisme charnel et naïf du film. J’ai la nette impression qu’il y avait quelque chose de mieux à faire avec de telles bases de scénario. Mais il aurait fallu se débarrasser de tout un fatras idéologique. Ce qui était difficile à l’époque.

Ces deux là semblent nous dire : nous sommes plus libres que vous. Laissez nous nous aimer tranquille. Notre vie doit être un magnifique feu de paille. A nous de choisir aussi notre fin. Mais ce manifeste des années 80, montre à présent ses limites. Cette rébellion n’est pas aussi intemporelle qu’on le croyait.

Nos deux tourtereaux ne sont pas très malins et au fond ils se sont torpillés eux-mêmes. Leur belle liberté a été un sinistre enfermement. Mais il y a encore peu de monde de nos jours pour oser leur dire. C’est dire à quel point l’idéologie relativiste est encore prégnante.

Djian qui a écrit le livre éponyme est sans doute plus lucide : « ce qui m’intéressait était de raconter une histoire con, mais de l’écrire bien »

Il existe une version plus longue d’une heure (3 heures en tout). Je suis inquiet.

(*) Leurs attributs sont montrés en long et en large, ce qui devient parfois gênant. Ce n’est pas une question de pruderie, mais de lassantes répétitions. On n’a pas toujours envie d’avoir un balancier flasque et poilu au beau milieu de l’écran.

Pour l’avis rapide : Avis. 37°2 le matin (1986) Psychiatrie. Djian enfer lucide. Beineix paradis naïf. 7/10

https://fr.wikipedia.org/wiki/Gruissan

https://www.lemonde.fr/vous/article/2009/07/18/37-2-le-matin_1220253_3238.html (une critique assassine et un règlement de compte)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis-Ferdinand_C%C3%A9line

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