Avis. Cuaron. Roma. Film Mexique. Critique, résumé. 8.5/10

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Critique.

Se confronter à certaines œuvres majeures, c’est comme participer à un match au sommet. Il faut tenter d’être à la hauteur.

Pas question de se contenter des superlatifs habituels ou de partir tête baissée dans les comparaisons avec d’autres films.

Il faut faire preuve d’humilité et éviter de chercher la petite bête. Ce serait vil et vain.

Et puisqu’on parle de critiques, à noter que Cannes est totalement passé à côté de ce film, alors qu’il était à juste titre universellement applaudi et primé. Ce qui montre les limites du nombrilisme de la Croisette.

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Pendant plus de deux heures, il ne se passe rien, absolument « rien » qui ne sorte de l’ordinaire… et il se passe « tout ».

Ce “rien” est illustré par cette mise en place « esthétique », qui pourtant ne va pas trop loin dans l’épure et préserve ainsi la simplicité de la scène et des personnages présents.

Ainsi le long premier plan nous montre de l’eau qui s’écoule sur un carrelage. Cette approche nous mettant progressivement en rapport avec le travail quotidien des domestiques indiens, fait de petits riens, mais qui en se cumulant font beaucoup. Ils sont à leur rythme lent, mais font quand même leur boulot et parfois plus. A part ces satanées crottes de chien, qui n’arrêtent pas. Mais qui serait heureux de s’en charger ?

Il ne se passe « rien », avec cette eau qui nettoie le couloir, ça dure, ça dure, ça dure.

Et puis, il se passe « tout » mais comme en toile de fond et non pas forcément d’emblée sur le devant de la scène. Comme pour nous tous qui privilégions nos petits tracas au détriment des grandes causes.

Et le « tout », c’est l’inimaginable qui vous tombe sur la tête, sans crier gare. C’est cette manifestation qui se termine extrêmement mal. Alors qu’on ne faisait que passer par là, pour les courses.

Il y a ce regard transversal sur la situation politique de ces années 70, avec cette police effrayante qui a tous les pouvoirs. Et ces milices para-militaires particulièrement cruelles qui leur viennent en aide.

Le « tout » qui nous submerge, c’est aussi ce mort-né que l’on sort du ventre de sa mère, avec un réalisme jamais atteint jusque là. Et puis on nous le met quasiment dans nos bras à nous.

Enfin, il y a ses enfants désobéissants trop contents de mettre tout de suite les pieds dans l’océan du côté de Veracruz. Bien sûr ils vont trop loin et ils manquent de se noyer. L’occasion de la scène la plus fusionnelle du film.

Mais il y a aussi cet « ordinaire » qui peut arriver à nous tous et qui se situe entre le « grand rien » et le « grand tout ». Comme pour cette mère de famille trompée des beaux quartiers, qui tente de faire bonne figure, qui fait tout pour que le navire familial ne chavire pas, mais qu’on sent à deux doigts de craquer.

Au Mexique, la violence classique des gangs et des forces de l’ordre est doublée de violence sociale. Mais en toile de fond tenace, il y a ces oppositions plus marquées qu’aujourd’hui, entre les riches des beaux quartiers et les pauvres. Chez eux on peut le dire, mais chez nous, avec cette redistribution à nulle autre pareille, cela peut paraître lunaire.

Mais certains comme ici trouvent des accommodements ; les barrières peuvent être volontairement abaissées. Les maîtres et bonnes à tout faire à demeure, vivent dans une relative confiance et une assez bonne entente. Mais bien sûr les différences sociales sont marquées et les petites employées vont chercher les gosses à l’école avec leur tablier de soumises.

Il arrive que le climat se gâte. Même la patronne peut se laisser aller à une cruelle violence verbale. Tout n’est pas aplani, bien entendu.

Qu’importe, semblent dire les soubrettes, vue qu’à la base, la plupart d’entre elles vivaient dans des bidonvilles ! Leur cœur se réchauffe, lorsqu’elles sont assez bien protégés et même aimés par leurs maître. Lesquels sentent leur responsabilité et la nécessité d’une meilleure harmonie sous le même toit. Mais il arrive aussi qu’ils créent des liens affectifs tout à fait sincères.

La simplicité apparente de ces Indios natifs, les rend particulièrement vulnérables. Ils sont à nos yeux d’occidentaux, plutôt naïfs et trop confiants. A voir si cela a contribué jadis à la réussite du siège de Tenochtitlan par Cortés.

Mais de les voir comme ça, ce n’est pas exprimer son racisme, c’est tout autre chose. C’est montrer la vérité fondamentale de ces êtres, qui veulent se situer au-delà des combines, des hypocrisies, des petits calculs. En cela, ils ne sont pas plus vertueux ou moins vertueux que d’autres ; simplement « ils sont » et cet « être » fondamental peut-être bouleversant.

Superlatifs quand même !

Ce film incroyablement équilibré et subtil, est une parfaite réussite. Il n’y a rien de trop et tout est là. 135 minutes intenses ! Il a d’ailleurs été maintes fois primés, preuve qu’on peut encore regarder ce genre d’œuvre avec un regard sans préjugé.

Alfonso Cuarón n’a alors que 43 ans ! Il en est le réalisateur, le scénariste, le « photographe », le monteur, le coproducteur. Voilà un gage de cohérence. Netflix a eu la bonne idée d’en faire la distribution. En 2018, l’entreprise était porteuse d’avancées notables.

Il n’est pas si bêtement emphatique avec les Indiens pour se ranger dans la catégorie woke.

Au-delà de ces liens ancillaires, une fusion des deux mondes est quand même possible. C’est matérialisé dans une des scènes finales où toutes les « ethnies » se tiennent l’une contre l’autre, au bord de la mer, une fois passée l’immense émotion de la catastrophe évitée.

Je ne pense pas qu’un être avec un minimum d’humanité puisse être insensible à cette œuvre. Et là, il n’y a pas de ficelle ou de pathos facile. C’est la vérité vraie et imprévisible, comme elle est dans notre pauvre monde, qui vous assaille.

Pour arriver à ce degré de naturel, avec toutes les équipes et l’encombrante technique, il faut voir loin, très loin et être un surdoué. La photographie et les plans sont parfaits. Le montage est adroitement réalisé. Cuarón agit comme un grand chef d’orchestre, qui sait retenir puis libérer ses musiciens.

Même vu une deuxième fois, ce film reste impressionnant. Il est encore mieux de le voir à deux ou à plusieurs car cette émotion est trop forte pour une seule personne. Pas question d’aller à la messe tout seul. Il faut la partager.

En passant la frontière avec le Mexique, on est à des années lumières de ce cinéma hollywoodien si formaté, si orienté business si prévisible et si mauvais au total. Pas que je méprise les gringos en soi, mais plutôt que je me méfie de leur tentations cinématographiques « impérialistes ».

Le film n’aurait pas été possible, si les enfants n’avaient pas joué aussi « naturel ». Les interprétations enfantines sont sans doute les plus difficiles à maîtriser. Mais là, c’est la liberté des limites et toutes les nuances de ces petits jeux de puissance, qui ne sont jamais totalement terminés. On croirait à une caméra cachée, sans les blancs et sans les passages ennuyeux. Mais plus fort que cela encore, ce réalisateur de 43 ans semble encore branché sur la profonde poésie de la première jeunesse. On croit y être et rien n’est factice. Alors que nous autres avons presque tout oublié.

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Il y a ici la collision de cinq mondes, en fait. Celui des enfants qu’on vient d’évoquer. Celui de cette classe moyenne supérieure représentée par le couple désunis. Celui des riches hautains des haciendas et celui des Indios. Ce qui fait quatre, à quoi rajouter l’omniprésence des chiens.

PS: étant en déplacement à l’époque de la sortie, j’avais lu à l’hôtel international, une critique sensée et particulièrement élogieuse, dans le NYT. J’ai eu donc très envie de voir la film. Comme quoi la critique n’est pas forcement “achetée” et maléfique.

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https://fr.wikipedia.org/wiki/Roma_(film,_2018)

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